Juin

— Je ne vois pas trop le rapport avec nos cours, me dit ma meilleure amie en examinant l'ouvrage qui ne me quittait plus.

C'était trois semaines après ma sortie de l'hôpital. Justine et moi profitions tranquillement de la terrasse d'un café assez fréquenté.

Enfin, c'était plutôt elle qui était tranquillement installée. Moi, je me sentais fébrile et je ne cessais de regarder par-dessus mon épaule. Aux vertiges incessants s'étaient peu à peu ajoutés des maux de tête. Ils me surprenaient n'importe quand, que je sois en cours ou à la maison. Je me réveillais de plus en plus souvent la nuit, en proie à des nausées inexplicables. Mon état ne cessant d'empirer, je m'étais résolue à consulter le médecin qui m'avait accueillie aux urgences de l'hôpital.

— Et si je te disais que tous mes problèmes ont commencé quand j'ai acheté ce livre…

— Mais voyons, Céline ! C'est impossible, ce n'est qu'un livre écrit dans une langue bizarre. Et puis, tu es la fille la plus rationnelle que je connaisse.

Je lui jetai un regard désemparé. Elle était la seule personne qui ne s'était pas éloignée de moi quand mes malaises avaient commencé, la seule à qui je pouvais en parler sans qu'on me prenne pour une folle.

— Bon, je sais que tu as eu quelques soucis de santé récemment. Mais c'est pas ça qui va t'empêcher de réussir les examens ! Il suffit que tu te remettes à étudier et ça ira mieux.

— Mais tu ne comprends pas… Je passe mon temps à étudier ! Mais on dirait que ça ne rentre pas dans ma tête, en tout cas plus comme avant. Il n'y a que cette histoire qui y tourne en boucle. Je me sens complètement larguée…

Justine me regarda avec étonnement.

— Attends, ne me dis pas que tu comprends ce charabia… Le coup que t'as reçu à la tête a vraiment dû te détraquer le cerveau !

— Justine ! Ça fait trois semaines que je te dis que je n'ai pas reçu de coup.

— Oui, oui, d'accord, comme tu veux. Et puis, ça parle de quoi de toute façon ?

— En fait, commençai-je, je n'ai pas tout saisi. Le livre est vieux alors il manque plein de morceaux. C'est l'histoire d'un homme, Hopper, qui est magicien… ou un truc dans le genre, tu vois ?

Justine hocha la tête. Ce que je voyais, moi, c'est qu'elle semblait sceptique. Si on ne se connaissait pas depuis la maternelle, elle serait depuis longtemps partie en courant. Je choisis de continuer, j'avais vraiment besoin d'en parler à quelqu'un.

— Et donc, ce Hopper, il a fait quelque chose de mal mais c'est dans l'une des parties effacées, et il s'en veut. Puis, il raconte comment il a fabriqué un… sort. Il est parti dans une autre dimension où il a rencontré des gens qu'il appelle « lorans » et il décrit ce nouveau monde pendant presque tout le livre.

— Et c'est cette histoire à dormir debout qui te met dans tous tes états ?

— Tu ne comprends pas… Il y a plus que l'histoire. C'est comme si le livre… comme s'il essayait de me dire quelque chose…

— Céline, Céline… Je crois que si tu racontais tout ça à ton médecin, il te ferait interner direct !

Son sourire était contagieux et, pendant un instant, j'oubliai tous mes soucis et ris de bon cœur.

— Allez, laissons tout ça de côté, d'accord ? On va étudier ensemble pour rattraper ton retard, cartonner aux exams et puis passer un été mémorable !

***

Août

— C'est la deuxième fois ces derniers mois que tu arrives inconsciente aux urgences. Est-ce que tu prends bien le traitement que je t'ai prescrit ?

Le médecin semblait inquiet. J'avais appris que son nom était Vladimir Kitu et je ne pouvais pas m'empêcher de rire à chaque fois que j'entendais ma mère dire qu'elle m'avait pris rendez-vous chez lui.

— Oui bien sûr. Mais le médicament me donne la nausée…

— C'est l'un des effets secondaires, oui. Je vais adapter le dosage. Comment vont tes révisions ?

— Je ne crois pas que j'y arriverai… J'ai dix examens à repasser en septembre.

— Tu sais, ce n'est pas grave si tu ne réussis pas cette année. C'est tout à fait compréhensible vu la situation.

— Allez dire ça à mes parents… Et puis, de toute façon, ça fait plus de trois mois que j'ai ces vertiges et ces maux de tête et vous me dites à chaque fois que tout va bien ! Qu'est-ce que j'ai, Docteur Kitu ?

— Je ne sais vraiment pas quoi te répondre, dit-il pensivement. Du point de vue médical, les résultats des examens prouvent que tu es en parfaite santé. Chez certains de mes patients c'est psychologique mais chez toi, il n’y a rien de psychologique… quelque chose s'est passé, il faudra qu'on trouve ce que c'est.