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Les jours se succédèrent, d’un ennui mortel. Je n'étais pas une apprentie et n'avais aucune occupation utile. Lys restait la seule qui voulait parfois discuter avec moi, les autres m'évitaient avec des regards pleins de sous-entendus.
Elle m'apprit qu'Aidan, du nom de son fondateur il y a plus de deux cents ans, était l’un des trois monastères Sorciers d’Europe. Ce n’était pas le plus grand, loin de là, mais il abritait tout de même plus de deux cents personnes de toutes origines.
Je découvris aussi que certains étaient ici car ils possédaient le Don ; d’autres, de simples hommes ou des fugitifs, avaient trouvé à Aidan un refuge où personne ne posait de questions. Pourtant, tous avaient facilement intégré les règles du monastère et la vie s’écoulait paisiblement dans cet endroit antique totalement coupé du monde extérieur.
Ce matin-là, vers la fin du mois de juin, je marchais tranquillement à l'orée du bois, quand une bande d'apprentis vêtus de bleu me surprit. Je m'arrêtai net, prête à faire demi-tour si les garçons approchaient plus près.
J'avais appris à bien les connaître. En quelques jours à peine, j'étais devenue leur tête de turc. Parce que je ne réagissais pas à leurs provocations, ils passaient leur temps à me ridiculiser. Au début, j’avais cherché à me rassurer : ce n'étaient que des gamins, ils avaient une dizaine d'années de moins que moi. Je n’avais aucun intérêt à me faire remarquer. Ma situation précaire ne me le permettait pas.
Mais ils étaient en groupe. Et ils connaissaient des formules qui ne me disaient rien. Je me retrouvais donc à chaque fois en position de faiblesse, ce qui amusait la bande. Et je commençais à en avoir marre de me laisser faire !
Ce jour-là n'échappa pas à la règle. Édouard, le grand échalas aux cheveux sombres, s'approcha de moi avec un sourire goguenard, suivi rapidement par ses trois toutous. Je soupirai, exaspérée. Impossible d’éviter la confrontation…
— Tiens mais qui voilà ! Ne serait-ce pas la petite peste de la Confrérie qui se promène ainsi parmi nous ?
— Ça vole haut les insultes aujourd'hui, rétorquai-je, une pointe de mépris dans la voix.
— Elle se permet de nous répondre en plus ! renchérit un autre garçon.
Il me donna une bourrade et je reculai d'un pas.
— T'as rien à faire ici ! Casse-toi ! Va rejoindre tes potes de la Confrérie pour découper vos poulets.
Je le regardai, perplexe. Qu'est-ce que des volatiles avaient à voir là-dedans ?
— Ouais, c'est vrai. T'es bonne à rien de toute façon ! Tu fais rien d'utile !
— C'est à se demander pourquoi les Anciens ne t'ont pas encore renvoyée dans ton monde d’humains ignorants !
— Mes parents sont humains, mes amis aussi ! Et je peux vous assurer qu'ils sont bien plus intéressants que vous autres. Fichez-moi la paix ! Allez vous amuser ailleurs avec vos sorts ! m’emportai-je.
— C'est avec toi qu'on veut s'amuser maintenant, sourit Édouard. Voyons, que pourrait-on faire ?
Il prononça rapidement quelques mots. Le soudain coup de vent me renversa.
— C'est pas du jeu ! Je n'étais même pas prête ! m’offusquai-je.
J’époussetai ma cape. Il ricana et m’envoya un peu plus de sable à la figure. J'essuyai mon visage et lui lançai un regard mauvais.
— C'est tout ce que tu sais faire ? demandai-je ironiquement.
— Et crois être plus douée peut-être ? Espèce de sale mutation génétique !
C'en était trop ! Je me relevai, furieuse.
— Tu veux vraiment voir ce dont je suis capable ? menaçai-je d'une voix sinistre.
Cela eut au moins le mérite de le faire reculer. Je me focalisai mes pensées sur l’air environnant. Je savais ce que je pouvais leur montrer mais je ne m'y étais jamais résolue jusqu'à présent.
Une sphère de feu fit son apparition au-dessus de ma paume. Je n'avais pas prononcé un mot.
— Alors, souris-je méchamment, lequel je carbonise en premier ?
Ils reculèrent encore, effrayés cette fois. J'hésitai un instant. Peut-être en avais-je trop fait finalement ?
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