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Ian me regarda, perplexe. Je pouvais comprendre que ce que j'essayais d'expliquer était bien trop abstrait pour un enfant de cet âge. Mais j'avais bien réussi avec l'eau, l'exercice de la chandelle ne devrait pas poser de difficultés une fois la théorie assimilée. Je décidai de tenter une autre approche.
— Tu de souviens de ce que j'avais fait quand la friteuse a pris feu ?
— Oui, ça faisait une grande flamme ! David a voulu jeter de l'eau dessus pour l'éteindre mais tu l'as empêché.
— Et j'ai recouvert le tout d'une grande serviette humide. Sais-tu pourquoi ?
— Je crois… Tu avais dit que ça étouffe le feu. Qu'il n'a plus d'air alors il s'éteint. C'est ça ?
J’acquiesçai.
— Peut-on l'appliquer à notre bougie ? demandai-je.
— La flamme ?
— Oui. Elle a besoin d’air pour brûler ; d'oxygène plus exactement. Tu sais que l'eau est H2O. Comment représenterais-tu l'oxygène ?
— Avec un O ?
— Oui mais ici il n'y en a pas un mais deux. C'est du dioxygène, deux atomes d'oxygène : O2.
J'utilisai un bâton pour le tracer sur le sol en face de nous.
— De quoi a-t-elle besoin d'autre pour brûler ?
— De la cire ! Mais comment ça s'écrit la cire ? demanda Ian en pointant les inscriptions dans la terre.
— Ah, ça c'est un peu plus compliqué. Tu auras plein de temps pour le découvrir. Disons pour l'instant que c'est surtout fait de carbone, qu'on écrit C, et d'hydrogène, H. Ils sont liés ensemble, tout comme H et O dans l'eau.
Je traçai ces nouvelles lettres tandis que je parlais. J'ajoutai ensuite une flèche.
— J'ai une autre question, continuai-je. Que devient l'oxygène que la flamme utilise ?
— Est-ce que… c'est comme quand on respire ?
Il avait donc vu un peu les sciences de base avec Arthur. Cela allait me faciliter la tâche.
— Oui, on peut voir ça comme ça. Il se passe quoi quand on respire ?
— Je sais ! On inspire de l'air et on expire du gaz carbonique.
J'écrivis CO2 de l'autre côté de ma flèche.
— Oh c'est bizarre, dit Ian. Il y a un C, comme là. Et un O aussi. Mais le H, il va où ?
— C'est parce que la flamme libère aussi de l'eau, même si on ne la voit pas. Elle s’évapore avec la chaleur.
Je complétai ma ligne.
— C'est ce qu'on appelle une réaction de combustion, dis-je. Elle n'est pas écrite tout à fait correctement mais ce n'est pas nécessaire pour comprendre la suite. Tout ce qui est avant la flèche, ce sont ce qu'on appelle les réactifs, c'est ce qui réagit ensemble pour que la flamme puisse brûler. Après la flèche, ce sont les produits, ce qui reste donc. Tout se transforme, tu te souviens. Mais il manque tout de même quelque chose, non ?
— Si, il manque la flamme dans ta réaction…
— La flamme, oui. C'est de la lumière et de la chaleur. C'est de l'énergie.
J'ajoutai un E du côté des produits.
— L'énergie est libérée par la réaction parce que les réactifs et les produits se trouvent à des niveaux d'énergie différents. Tu comprends ce que je veux dire ?
— Non… pas vraiment.
Je levai le bout de bois à hauteur de mes yeux.
— Que se passera-t-il si je le lâche ? demandai-je.
— Il va tomber. Ah, c'est parce qu'il est plus haut que le sol ! Donc tout ça, fit-il en indiquant ce qui se trouvait derrière la flèche, c'est le sol. Et là où tu tiens le bâton, c'est les réactifs ?
— C'est presque ça. En fait, les réactifs sont ici…
Je le posai sur le petit rocher contre lequel je m'appuyais.
— Mais il peut tomber de là aussi !
— Non, il ne peut pas. Seulement de plus haut.
— Mais pourquoi ?
Je souris.
— Parce que sinon, la bougie s'allumerait toute seule. Et elle ne le fait pas, n'est-ce pas ?
Il secoua la tête. Je le laissai réfléchir un instant et regardai Arthur. Le sorcier avait l'air de s'ennuyer ferme. Il ne voyait certainement pas où je voulais en venir.
Ian jouait maintenant avec la baguette. Il la lançait en l'air avant de la rattraper. Je me demandai s'il comprenait qu'il faisait exactement ce que j'essayais de lui expliquer depuis le début. Je m'allongeai dans l'herbe, somnolente. Cela faisait quelque temps que je n'avais pas dormi et j'étais épuisée. Je repensai à Jake et à ces mois passés dans la librairie. C'était le bon temps, même si je ne m'en rendais alors pas compte. J'aurais tant aimé qu'il ne disparaisse pas ainsi. Pourquoi avais-je couru ce jour-là ?
Je tournai la tête pour voir le petit scruter ma ligne de texte avec intensité. Il utilisa la branche pour écrire quelque chose… avant la flèche et relança le bâton en l'air. Je me relevai, surprise, et jetai un coup d’œil à l'inscription.
— C'est exactement ça ! m'exclamai-je en voyant qu'il avait rajouté un autre E. Tu as compris, je crois.
Il revint vers moi, souriant.
— Si la bougie ne s'allume pas toute seule, c'est parce qu'il faut de l'énergie pour amener les réactifs jusque-là d'où ils peuvent tomber.
— Oui. C'est ce que l'on appelle l'énergie d'activation d'une réaction.
— Mais je ne sais toujours pas comment on fait pour l'allumer !
— Patience, ris-je. On y arrive. Tu sais maintenant qu'il faut fournir de l'énergie pour allumer la mèche. Cette énergie, c'est de la chaleur. Et il y a un moyen que tu peux employer pour avoir de la chaleur dans l'air au-dessus de la bougie. C'est semblable à ce que tu fais pour rider l'eau.
— Il faut faire bouger de l'air ?
— Le comprimer plus exactement, dis-je en rapprochant mes mains l'une de l'autre. Vois-tu, la température d'un certain volume de gaz dépend de l'espace qu'il occupe. Si on diminue le volume, on augmente la pression à l'intérieur et la température augmente aussi. Tu vois comment faire ?
Il hocha la tête et prit la chandelle. Je ne pouvais pas réellement voir ce qu'il faisait mais je sentais qu'il le faisait correctement. Décidément, il apprenait vite. Je fis signe à Arthur de regarder. Ian passa sa main au-dessus de la mèche. Et, comme je m'y attendais, une flamme fit son apparition tout d'un coup.
— J'ai réussi ! s'exclama le garçon.
Il sautait de joie dans la clairière.
— Calme-toi, dis-je. Recommence.
Je repris la chandelle et soufflai la flamme. Quelques instants plus tard, elle brillait de nouveau. Je lui fis répéter l'exercice cinq fois avant de m'estimer satisfaite. Il saurait le refaire sans aide.
— Tu n'oublieras pas ?
— Non ! Eileen, dis, elle sert à quoi la formule alors ?
— A gagner du temps. En prononçant les mots, ton cerveau suit inconsciemment le même raisonnement. Encore faut-il savoir ce que chaque mot signifie !
— Pourquoi ça ?
— Parce que si tu ne comprends pas les mots, ton cerveau ne sait pas ce que tu veux faire. Prenons un exemple : si je dis « oiseau », tu t'imagines un oiseau. Ce n'est pas forcément un merle ou un pigeon, c'est juste l'idée que tu te fais d'un oiseau. Par contre si je te dis « pasăre », que vois-tu ?
— Je ne sais pas ce que c'est…
— Pourtant « pasăre » signifie la même chose mais dans une autre langue. C'est pareil avec la formule. Arthur y arrive parce qu'il a étudié les mots et qu'il peut se représenter chacun d'entre eux, n'est-ce pas ? demandai-je au sorcier.
Il hocha la tête sans un mot.
— J'ai faim, dit Ian.
Je regardai le soleil. Il était déjà haut dans le ciel, il devait être plus de midi.
— D'accord, on rentre, dis-je.
Nous reprîmes lentement le chemin du retour. Il faisait chaud et même les arbres ne nous protégeaient pas assez des rayons brûlants. Mes pas crissaient dans l'herbe sèche.
Quatre jours. C'était tout ce qu'il me restait avant la nouvelle lune. Je ne pouvais plus me permettre de rester ici à ne rien faire. Je devais prendre une décision rapidement. Arthur se décida finalement à me parler.
— Tout le monde peut faire ça comme ça, sans formule ?
— Mais bien sûr ! C'est bien plus pratique. Les formules rendent peut-être plus fort mais elles sont aussi un danger si on se repose dessus. Je préfère de loin savoir faire quelque chose par moi-même plutôt que d'apprendre un texte que je risque d'oublier dans un moment critique.
— C'est bien une idée de la Confrérie…
— Et je ne vois pas où est le mal, ça se tient comme logique.
— Sans doute. Mais je n'ai jamais essayé, avoua-t-il.
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