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— Qu'es-tu encore allée fabriquer ?
— J'ai rencontré des…
— Oh, et puis je m'en fiche ! m'interrompit-il. Viens te réchauffer avant d'attraper quelque chose !
Il ranima le feu et je m'assis, contente de sentir les picotements dus à la chaleur. Je tendis les mains vers les flammes roses et regardai en direction de l'enfant qui dormait encore. Quel dommage qu'il n'ait pas pu voir les raies lui aussi ! J'étais certaine que cela lui aurait fait bien plus plaisir qu'à moi.
— C'est quoi ça ? me demanda-t-il
Il m'aida à retirer ma veste trempée.
— Je sais pas trop… La raie m'a donné ces feuilles pour apaiser la brûlure.
J'indiquai le bandage. Il défit le linge mouillé. En-dessous, la plaie n'était pas aussi terrible que je l'avais cru, ça semblait même en bonne voie de cicatrisation.
— En tout cas, ça marche bien ce truc, affirma-t-il impressionné. Comment te sens-tu ?
— Bien, je crois. J'ai froid mais je n'ai plus mal.
Il nous entoura tous les deux d'une couverture sèche. Je sursautai mais ne reculai pas. J'évitai de croiser son regard.
— C'est mieux là ? demanda-t-il avec un sourire.
— Bien mieux, oui…
— Et si tu me racontais ce qui s'est passé ?
Je souris moi aussi avant de bailler longuement.
— C'était trop bien ! J'ai empêché les papillons de manger la petite raie alors sa mère m'a emmené faire un grand tour dans la nuit. On voit toute la forêt de là-haut. Et elle est immense ! Je ne sais pas comment on va faire pour la traverser…
— Ce n'était pas prudent. Tu aurais dû me réveiller, soupira-t-il.
— Pourquoi ? Pour que tu m'empêches d'aller voler avec elles ?
Il se raidit.
— Ce que tu as fait était dangereux ! Et si tu n'étais jamais revenue, hein ?
— Je ne…
Je regardai à nouveau Ian. Qu'aurait pensé le petit s'il m'était arrivé quelque chose là-haut ? Je compris qu'Arthur avait raison. Quelques instants passèrent en silence.
— Je suis désolée, dis-je doucement.
— Ce n'est pas grave, soupira-t-il. L'important c'est qu'on reste tous ensemble, d'accord ?
J'acquiesçai, le regard perdu dans les flammes. Un autre cri retentit au loin et je levai les yeux sans voir de prédateur approcher. Je savais de toute façon qu'ils ne reviendraient pas cette nuit, pas après ce que je leur avais fait. Mais rien ne me disait que le problème ne se représenterait pas à un autre moment…
Au matin, je fus réveillée par un petit museau écailleux qui frottait contre ma joue. J'ouvris les yeux pour voir la petite raie de la veille me fixer en souriant.
— Tu es revenue ! m'exclamai-je.
Je repoussai Arthur et quittai la couverture pour m'étirer dans l'air frais. J'inspirai un grand coup avant de me retourner vers ma nouvelle amie. Elle n'était pas venue seule : trois autres adultes l'accompagnaient. Je courus réveiller Ian.
— Ouah ! Elles volent, c’est trop génial !
— Et nous allons voler avec elles, n'est-ce pas ? demandai-je à la raie.
Elle hocha la tête avant d’effectuer une pirouette en l'air. Ian applaudit et j'éclatai de rire.
Elles attendirent patiemment que nous finissions de manger nos dernières réserves. Arthur semblait circonspect à l'idée de voyager sur ces immenses montures aux écailles grises. De près et à la lumière du jour, les raies étaient en effet assez impressionnantes. Mais je savais qu'elles ne nous voulaient aucun mal.
Nous attachâmes le matériel aux piques de l'un des animaux volants. Je laissai Ian s'installer devant moi sur le dos de la même créature que la veille. Arthur monta sur la troisième.
— Prêts ? Alors on y va !
Je poussai un cri alors que nous tombions du bord de la falaise. Le ciel immense s'ouvrit devant nous. La forêt défilait à toute allure sous les ailes de la raie. Je tournai la tête pour voir le sorcier s'accrocher de toutes ses forces aux cornes de sa monture et lui fis un signe de la main. Il me répondit par un sourire crispé et je reportai mon regard sur le paysage devant nous.
Ian s'agitait contre moi, excité comme jamais.
— C'est trop bien ! s'exclama-t-il dans le vent.
— Je t'avais déjà parlé des raies mantas, non ?
— Oui ! Mais tu n'as pas dit qu'on peut voler dessus !
— Je ne le savais pas non plus, souris-je. Regarde Arthur, il ne semble pas s'amuser autant que nous.
Il jeta un coup d’œil à mon ami qui commençait à virer au vert.
— Tu n'as pas quelque chose pour l'aider ? demandai-je à la jeune raie qui volait tout près de nous.
Elle secoua la tête avant d'émettre un son qui ressemblait étrangement à un rire. Le voyage n'allait pas être de tout repos !
La distance que nous aurions dû passer des jours à parcourir défila en quelques heures sous nos yeux. Le décor changea peu à peu, une plaine verdoyante remplaça l’interminable forêt. Des routes et des champs commencèrent à faire leur apparition. Je remarquai les premiers signes de civilisation sous la forme d'éoliennes qui tournaient rapidement dans le vent ainsi que de certaines parcelles de terrain recouvertes d’immenses panneaux solaires.
— Eileen ! Regarde là-bas !
Je fus étonnée devant la taille de la ville. Elle s'étendait en forme de spirale au bord d'une mer d'un bleu éclatant. Je n’aurais pu deviner que le monde de Lor ne ressemblerait plus à ce que Hopper en avait dévoilé dans son journal. Le soleil couchant faisait scintiller l'eau de mille feux et donnait à la cité une allure de carte postale exotique. L'air sentait l'iode et le poisson. Au fur et à mesure que nous approchions, des constructions biscornues firent leur apparition, rapidement suivies par de hautes tours de métal et de verre. Dans le ciel, divers engins volaient en rangs bien ordonnés. Nos montures filaient avec agilité entre ces véhicules pour le moins curieux.
Je jetai un regard étonné à Arthur, un peu perdue. Où avions-nous atterri ?
Les raies piquèrent vers un parc situé en périphérie et se posèrent doucement sur l'herbe humide. Je descendis, ankylosée, suivie de près par Ian. Le sorcier nous rejoignit et m'aida à détacher les bagages.
Personne ne sembla étonné de nous voir débarquer ainsi du ciel. Je regardai plus attentivement les habitants qui se promenaient tranquillement autour de nous. Mis à part leurs vêtements qui étaient faits de tissus chatoyants et colorés, ils n'avaient rien de particulier, c'étaient des humains comme les autres.
Après un dernier coup de museau et quelques signes d'adieu, les raies nous quittèrent alors que la nuit tombait. Nous étions enfin arrivés à destination.
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