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Nous passâmes encore quatre jours sur ce navire, à aider comme nous le pouvions aux travaux de réparation. Un soir, je devinai aux cris surexcités de l'équipage que nous avions enfin atteint la terre. J'en fus soulagée.

Tyr était un port de pêcheurs dont la taille ne pouvait pas rivaliser avec Milasi. Le Manta accosta dans la baie entourée de silence et du noir de la nuit. Nous débarquâmes enfin dans une petite chaloupe. Le navire repartit immédiatement après pour se rendre au hangar le plus proche. Nous étions à nouveau seuls.

— Le sol bouge quand je marche !

— C'est normal, Ian, dit le sorcier. Nous avons passé beaucoup de temps en mer et tu t'es habitué au balancement du bateau.

À la lueur des torches disposées tous les quelques mètres, nous fîmes notre chemin jusqu'à l'auberge située au centre du village. La salle était bondée et il n'y avait plus aucune chambre de libre. J'appris que c'était toujours ainsi durant la saison des tempêtes. Il fallait attendre que le temps se calme pour que les transports reprennent. Pendant ce temps, les voyageurs en provenance de tout l'archipel patientaient dans les gîtes de la région.

Par la fenêtre, je vis les nuages s'accumuler à nouveau. Il y avait aussi quelque chose d'étrange dans le ciel : des centaines de petites lumières y scintillaient comme des lucioles.

— C'est Alma, me dit le tenancier lorsque je lui fis part de mon étonnement.

— Comment ça ? On m'avait dit qu'Alma était une île…

— C'est effectivement une île, dit-il avec un sourire. Une île flottante.

À la lumière du jour, je compris qu'il avait raison. Dans le ciel nuageux, se tenait la chose la plus incroyable qu'il m'ait été donné de voir depuis mon arrivée. L'île était immense ! Elle devait faire des centaines de kilomètres de long. Et elle flottait fièrement à une hauteur considérable. Je me demandai par quel miracle une telle masse de roche et de terre pouvait ainsi se maintenir en l'air.

Nous découvrîmes rapidement la particularité du petit village : c'était bien un port. Mais un port pour des vaisseaux tout à fait spéciaux : des zeppelins ! En temps normal, ils faisaient la navette entre Alma et la terre ferme. Mais pas ce jour-là, ni la semaine qui suivit. Le temps ne permettait pas aux monstres de toile et d'acier de décoller du sol.

Vu que nous ne possédions aucun crédit-temps, je me mis à travailler comme serveuse à l'auberge afin que nous puissions continuer à y loger. Et puis, je n'avais pas envie de recommencer à faire le ménage sur notre prochain moyen de transport. Autant faire un travail auquel j'étais déjà habituée… Arthur trouva lui aussi un emploi sur les quais. Je ne le voyais plus que le soir avant de nous coucher et même à ce moment-là nous étions tous les deux trop épuisés pour parler.

Mais Tyr n'était qu'une étape, un lieu de passage où il n'était pas possible de s'établir. Surtout avec un enfant. Alors, dès que le vent retomba, nous suivîmes les autres voyageurs dans la vallée.

L'énorme champ devant moi était couvert de monde et de machines flottantes. Les zeppelins ressemblaient à des ballons géants avec des cabines métalliques attachées en-dessous. Certains étaient plus grands que d'autres mais tous étaient dans les tons de gris avec des symboles étranges imprimés sur leurs flancs.

J'ouvris de grands yeux étonnés : je n'avais jamais pensé voir un jour ces appareils en vrai. Et aujourd'hui, j'allais même monter dedans !

— Je ne vois rien ! se plaignit Ian.

Arthur se pencha pour soulever l'enfant au-dessus de la foule.

Je souris, tournai mes yeux dans la direction où je me dirigeais précédemment et je le vis. Un zeppelin géant attendait de prendre son envol. Il devait faire au moins deux cents mètres de long sur une cinquantaine de haut, la toile sombre était tendue par la pression du gaz à l'intérieur. Il avait une couleur gris foncé et j'y reconnus le tissu solaire qui composait les voiles des navires. Je ne compris pas le mot écrit en rouge sur la carlingue de l'appareil.

D'où nous nous trouvions, je pouvais apercevoir d'autres zeppelins sur les docks, chacun différent par la taille et la forme. Il y en avait une vingtaine qui se préparaient pour leurs prochains voyages. La plupart semblaient eux aussi s'empresser de s'envoler, tant que le beau temps régnait autour d'eux. Nous devions nous dépêcher avant qu'ils ne partent sans nous !

Ian fut le premier à remarquer le dirigeable que nous devions prendre. Il le pointa tout excité et je pus lire Alma sur son flanc. Il était posé à l'autre bout du champ où cinq autres zeppelins flottaient au-dessus du sol, attachés par d'épaisses cordes. Le nôtre avait une cabine cuivrée et des lanières de la même couleur s'entrecroisaient sur le ballon de part en part.

L'intérieur du dirigeable était assez étroit, malgré sa grande taille, vu que la plupart de l'espace était occupée par la machinerie. C'était cependant suffisant pour embarquer une cinquantaine de personnes dans la pièce principale.

Une large baie vitrée entourait les rangées de sièges. J'entendis le moteur commencer à bourdonner peu de temps après que nous nous soyons installés. Le zeppelin prit son envol et pointa le nez en l'air pour prendre de l'altitude.

Je regardai le paysage avec curiosité. Nous traversions une région montagneuse, et les pics défilaient dans la brume matinale. Le soleil faisait scintiller l'eau des lacs et des rivières. Et nous continuions à monter. Le vaisseau s'inclina vers la gauche de quelques degrés et commença à voler vers le nord, vers l'île que l'on apercevait de plus en plus clairement au loin.

Une voix grésillante se fit soudain entendre dans les haut-parleurs. Je ne compris pas ce que l'homme racontait mais les autres passagers bien. Ils se levèrent pour se promener dans la pièce et s'approcher des vitres. Je les imitai rapidement pour mieux admirer la beauté de la terre qui s'étendait sous nous.

— Regarde en bas, Ian. Qu'est-ce que tu vois ?

— Je vois des plaines, une forêt. Je vois des champs prêts pour la récolte. Et des oiseaux dans les arbres, leurs ailes entourées de brume…

— C'est très bien ! Tu t'améliores. Ça te dit qu'on aille faire un tour sur ce zeppelin ?

— Oh oui !

D'étroits couloirs quittaient la salle des passagers pour se perdre à l'intérieur de l'appareil. Je fis un signe à Arthur avant d'entraîner l'enfant vers l'avant du zeppelin.

Après avoir franchi deux sas, nous arrivâmes dans une petite pièce où un homme aux cheveux noirs arrachés en bas de la nuque nous tournait le dos et fixait l'horizon. La luminosité était plus faible dans cet endroit mais j'en déduisis tout de même que nous devions être dans la salle de navigation du zeppelin. Les consoles étaient faites de bois sombre et ancien rehaussé par des décorations argentées. Des boutons, des interrupteurs et des leviers entouraient une grande barre placée en face de larges fenêtres.

— C'est trop cool ! s'exclama Ian, à la surprise de l'homme.

— Désolée, m'excusai-je, on ne fait que passer…

— Ce n'est pas grave, dit-il d'une voix chaleureuse. Vous êtes nouveaux ? Des Terriens ?

Son accent prouvait qu'il n'avait plus parlé anglais depuis un certain temps. J'acquiesçai. Ian s'était précipité pour admirer les nombreuses commandes présentes dans la pièce.

— Ne touche à rien, l'avertis-je.

— Il n'y a pas de problème, me rassura le pilote. Ces éléments ne sont là que pour la décoration ! C'est simplement pour montrer aux visiteurs à quoi ressemblait le vaisseau avant l'arrivée des ordinateurs.

— Vous voulez dire qu'il y a un pilote automatique ?

— Mieux que ça ! Ceci n'est pas un zeppelin ordinaire, oh non ! Il est spécial.

— Comment ça ?

— Son nom est Aliénor et elle est unique. Elle emploie la technologie la plus récente en matière de propulsion et est entièrement autonome, utilisant une intelligence artificielle pour piloter et naviguer. Regardez !

Il fit un geste de la main et trois écrans holographiques apparurent devant nous. Des symboles et des données défilaient rapidement à leur surface. L'homme les fixa un instant du regard avant de refaire le même geste pour les faire disparaître.

— Aliénor, montre-nous Alma.

Tout de suite, Capitaine, répondit une voix synthétique aux accents féminins.

Une représentation de l'île apparut à la place des écrans. Ian s'approcha pour passer sa main à travers l'hologramme.

— C'est tellement grand ! m'exclamai-je.

— Oui, ce morceau de terre a une superficie de, voyons… En distances terriennes, cela doit faire environ quatre-mille kilomètres carrés.

Quatre-mille-cent-cinquante-quatre exactement, intervint l'ordinateur.

— Merci Aliénor. Où en étais-je ? Ah oui ! Nous allons atterrir ici, à Alma. L'île tient son nom de la ville principale qui se situe ici.

Il pointa un endroit sur la carte et un petit point rouge apparut au bout de son doigt.

— Tout autour, se situent des villages plus petits, les routes les reliant comme le ferait une toile d'araignée. Il y en a sept en tout. Aelia et Ferns sont les plus grands. Ils sont le centre agricole d'Alma.

Deux autres points apparurent sur la carte. Il pointa ensuite d'autres lieux.

— Kemial, Dagos et Hilaz sont les entrepôts, les endroits de stockage de la marchandise et du matériel. Près du grand lac, Silda est ce qui pourrait le plus se rapprocher d’un port sur cette île. Elenial, enfin, n'est pas à proprement parler un village mais plutôt un assemblage de grandes cabanes suspendues aux arbres. Elles constituent un point d’observation idéal au bord de la Mer des Brumes, les nuages en somme.

Je regardai les symboles des noms des villages avec attention et répétai tout bas les sons qu'ils représentaient.

— D'où venez-vous ? demanda le capitaine en indiquant mon médaillon.

— Milasi. C'est le Bureau là-bas qui m'envoie.

Il me regarda avec étonnement.

— C'est la première fois qu'ils envoient quelqu'un d'aussi jeune… J'espère que vous avez bien lu le contrat avant de signer !

En fait… J'étais alors juste trop heureuse de pouvoir échapper aux questions de l'agent pour m'en soucier. Je devais faire une drôle de tête parce que l'homme éclata de rire.

— Vous allez avoir une sacrée surprise alors !

— Pourquoi donc ?

— C'est pas que j'aie quelque chose contre les étrangers, commença-t-il, mais la situation à Alma est quelque peu… désespérante. Des centaines de nouveaux arrivants sont là depuis des mois et commencent à vraiment s'impatienter. Ça ne m'étonnerait pas que tout cela tourne à la rébellion ! Et maintenant, je vois qu'ils envoient une fille aussi jeune que vous pour régler le problème… Vous avez intérêt à être à la hauteur !

Début de la procédure d'atterrissage, l'interrompit l'ordinateur.

— Vous m'excuserez, dit le capitaine, mais j'ai du travail maintenant. Retournez vous asseoir, ça risque de secouer un peu !

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