2

4 minutes de lecture

Je reportai mon attention sur la paroi vitrée. Si Helen avait tenu à descendre de son bureau, c'est qu'Iris devait l'intéresser au plus haut point. Et c'était aussi un problème pour moi parce que la vieille femme comprenait l’allemand, contrairement aux autres… Il fallait que je la joue finement.

— C'est moi qui pose les questions aujourd'hui, dis-je. Tu connais le principe ?

— Oui, le détecteur de mensonges et tout ça ! Mais je n'ai aucune raison de te mentir.

Ce n'était pas ce que me disait mon appareil. Je sentis Helen se rapprocher, il me semblait que la scène du jour de mon arrivée se reproduisait. Et cette fois-ci, j'étais dans le rôle de l'agent.

— Je vais même te confier un secret, continua-t-elle.

Elle se rapprocha de moi pour me chuchoter à l'oreille.

Ma mère m'a envoyée ici avec une mission : préparer le terrain.

Je reculai soudainement et n'entendis pas la suite. Mais rien que la mention d'Ananda m'avait suffi pour comprendre que la Confrérie avait toujours des vues sur Lor. Je jetai un coup d’œil inquiet au miroir avant de revenir sur Iris.

— Je ne peux pas te laisser faire ça, dis-je d'une voix grave.

— Comment peux-tu dire ça ? Tu ne sais même pas de quoi il s'agit !

— Le simple fait que tu fasses partie de la Confrérie était déjà un problème, soupirai-je. Peut-être que j'aurais pu le laisser passer… Mais le sort de Hopper n'est pas anodin. Pas avec ce qu'il est nécessaire de faire pour ouvrir ce portail.

Je m'en voulus de la blâmer ainsi. Après tout, j'avais fait exactement pareil… Mais j'avais à peine eu le temps de prononcer ces mots que j'entendis un léger tapotement sur la vitre derrière moi. La question était claire, ils s'inquiétaient pour moi là-derrière.

Iris s'agitait sur sa chaise, de plus en plus mal à l'aise. Elle dut comprendre que ma décision était prise parce qu'elle me dévisagea un instant, incrédule.

— Tu ne peux pas me faire ça ! s'écria-t-elle, paniquée. Ma mère va m'étriper si je rentre bredouille maintenant !

— Tu m'en vois désolée. Mais…

Helen choisit ce moment-là pour entrer dans la pièce. Elle n'avait jamais interrompu une de mes séances auparavant. Elle était accompagnée de Cidy et Ted qui s'emparèrent d'Iris sans un mot.

— Ne les laisse pas m'emmener ! Dis quelque chose !

Mais je restais là, silencieuse et désemparée. Iris avait été là pour moi quand j'avais eu le plus besoin d'une amie. Et je venais de la trahir.

— Tu as bien fait, me dit la vieille femme. Je savais que je pouvais te faire confiance.

Cela faisait des mois que j'attendais un encouragement de sa part. Pourtant, ces mots ne me procuraient en ce moment aucun plaisir. Elle se retourna pour suivre les trois autres dans le couloir.

— Attendez ! Qu'est-ce qui… qu'allez-vous faire d'elle ?

Helen me scruta un instant de son regard perçant.

— Tu n'as qu'à nous suivre si tu veux le savoir, dit-elle finalement.

Nous sortîmes par l'arrière du bâtiment pour déboucher dans une petite cour grisâtre. Helen s'arrêta face au mur et traça un symbole sinueux contre sa surface. Une partie des pierres s'écarta alors dans un crissement pour révéler l'entrée d'un boyau obscur. La lumière du soleil ne permettait d'éclairer que les quelques premiers mètres d'un escalier vers les profondeurs de la terre. Ted alluma une lampe avant de pénétrer dans le tunnel. Il entraîna Iris, résignée à son sort. Cidy et Helen le suivirent. J'hésitai un moment avant de me presser de rejoindre la tache lumineuse qui s'éloignait.

Le passage s'assombrit jusqu'à ce que je ne puisse plus distinguer que de vagues nuances de gris. Je me fiais au bruit de pas devant moi pour me repérer. La luminosité augmenta alors que j'approchais à nouveau du groupe. Ted tourna dans un autre couloir et changea de direction. Il s'engouffra dans un chemin qui descendait en pente douce.

Nous avançâmes dans le noir, droit devant nous puis à gauche, à droite et encore une fois à gauche ; la lumière éclairait les parois, toutes semblables. Je baissai les yeux, pour observer encore plus intensément le sol sous mes pieds, tous ces griffonnages par terre. Je me penchai, aperçus alors des mots, des messages tracés ici par ceux de passage. Ils étaient tous datés d’il y a fort longtemps sur cette partie du sol et les dates changeaient, revenaient vers le présent…

Nous marchâmes encore longtemps, passâmes plusieurs croisements ; la caverne semblait ne pas avoir de fin. Tout autour de moi, les parois prenaient des couleurs fantomatiques et les ombres ne cessaient de bouger, me faisant croire parfois que l’ensemble de l’endroit était vivant. Mais je ne me décourageai pas pour si peu.

— Où va-t-on ? osai-je demander à Helen.

— Attends un peu, c'est une surprise… Regarde autour de toi, essaie de te souvenir de cet endroit. Tu devras revenir, un jour.

Ted enchaînait les tournants. Ces couloirs étaient un véritable labyrinthe ! J'aurais dû me sentir perdue mais ce n'était pas le cas : j'avais déjà fait ce chemin en rêve, je m'en souvenais maintenant. Et je savais que quelque chose d'exceptionnel m'attendait au bout. Iris tituba dans l'obscurité. Un vertige me saisit et je me retins à la paroi. Le pendentif, qui ne m'avait jamais quittée, chauffa contre ma peau, et me rappela s'il le fallait que je n'avais aucun intérêt à ce que mes collègues découvrent qui j'étais réellement. Je secouai la tête et me dépêchai de reprendre la marche.

J'entendis un rire étouffé de la part de Cidy, qui avançait juste devant moi.

— Eileen, regarde Ted.

Je portai mon attention sur notre guide. Il poussait Iris d'une main tout en tenant la lampe de l'autre. Mais son regard était fixé sur le plafond. Je levai moi aussi la tête pour remarquer le fin ruban noir qui y courrait. La matière sombre brillait dans le rayon lumineux. La texture me faisait penser à quelque chose qui avait fondu là il y a longtemps, un peu comme… mes sorts un jour d'été.

— Qu'est-ce que c'est ? demandai-je.

— Aucune idée. C'est là depuis aussi longtemps que je m'en souvienne. Mais ça sert à baliser le chemin à l'aller comme au retour.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ilsa ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0