Chapitre 15 - Partie 4

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  Le commandant Raspivitch se pétrifia. Il n'appartenait pas au bataillon charger de me soutenir dans les bois mais je n'étais pas surpris qu'il se soit joint aux recherches. À sa place, j'aurais fait la même chose. Ses épaules s’affaissèrent lorsqu’il revint à lui, comme libérées d'un fardeau incommensurable, et il se précipita vers nous. Il aida sa femme à descendre dès que Skinfaxi s'arrêta. Quand il la prit dans ses bras, la serrant de toutes ses forces contre lui en remerciant la Déesse, un mélange de sentiments contradictoires me gagna. J'étais plus qu'heureux pour eux mais je ne pouvais m'empêcher de ressentir une pointe de jalousie.

  –Altesse, me salua l'autre soldat.

  –Altesse ? répéta Dobrota. (Elle se pétrifa.) Oh, Dame Nature ! Vous êtes le Prince Kalor !

  –Occupez-vous d'elles, ordonnai-je. Assurez-vous qu'elles aient de quoi boire et de quoi manger. Essayez aussi de trouver des capes pour les couvrir.

  Wolff et son collègue opinèrent de concert. Ils sortirent prendre les filles en charge, puis les guidèrent à l'intérieur. Toujours hébétée, Dobrota ne me quitta pas des yeux jusqu'à ce qu'elle doive se concentrer sur les marches pour monter les escaliers.

  À côté de moi, le commandant Raspivitch libéra Magdalena de son étreinte.

  –Tu vas bien ? lui demanda-t-il, inquiet. Tes cheveux...

  –Ils repousseront, assura-t-elle. Il y a plus urgent, la Princesse n'était pas avec nous.

  Sans lâcher sa femme, le commandant se tourna vers moi.

  –Voulez-vous les hommes de mon équipe pour vous seconder ?

  –Non, je serais plus rapide et discret si je suis seul. Restez au manoir pour monter la garde et vous occuper des filles jusqu'à ce qu'une autre équipe vous rejoigne. À leur arrivée, arrangez-vous pour qu'ils les conduisent hors de cette forêt au plus vite.

  –Un médecin se tient prêt à les examiner dans chaque centre de commandement établi, m'apprit-il. Des voitures ont également été affrétées des villages les plus proches pour les ramener à la capitale.

  –Parfait. S'il reste encore des hommes disponibles après ça, vous pourrez en envoyer à ma suite et à la recherche de la dernière fille de plaisir. À cause de son absence à priori anormale aujourd’hui, ses collègues doutent qu'elle soit encore en vie mais sait-on jamais. Le Marquis Marcus, l'Illiosimerien qui m'accompagne, doit aussi être en chemin. Il risque de ne pas s'attarder ici, mais je préfère vous prévenir puisqu'il est seul et ne doit pas être confondu avec le ravisseur.

  À l'évocation de cet homme, les muscles du commandant se tendirent brusquement et ses yeux vert olive se mirent à brûler de rage et de haine. Magdalena détourna le regard. Même si je ressentais la même chose que son mari à l'égard de ce salopard, une vague de compassion me traversa. Contrairement à moi, l'animosité de son époux n'était pas seulement due aux actions de l'Horloger mais aussi à sa nature.

  –Mademoiselle Pelkoska nous a décrit le pouvoir de ce Lathos, déclara-t-il d'une voix sombre. La capacité de modifier l'âge des personnes qu'il touche ou le sien... Une telle chose ne devrait pas exister. Que voulez-vous que nous fassions de cette erreur ?

  Le traits tirés, Magdalena ferma les paupières. Nous avions beau savoir que nos proches humains haïssaient notre espèce, entendre de telles paroles de leur bouche ne devenait jamais plus facile. Je me concentrai à nouveau sur son mari pour qu'il ne remarque pas son malaise.

  –Il faudrait l'appréhender, déclarai-je. La fillette que vous venez de voir est Ottilie Hestski, une femme de dix-huit ans. Il faut qu'elle retrouve son âge. Comme nous ne connaissons pas vraiment l'étendue ou la puissance de ses pouvoirs, dites cependant à vos hommes de faire preuve de prudence. Et si sa capture se révèle trop dangereuse, abattez-le.

  –Je ferais passer ce message à toutes les équipes.

  –Bien.

  Alors que j'allais me retourner pour reprendre mes recherches, le commandant reprit la parole.

  –Une dernière chose, Altesse. Nous avons trouvé de violentes traces de lutte et d'importantes tâches de sang dans une pièce.

  L'espace d'un instant, toute chaleur déserta mon organisme. Magdalena m'avait dit que Lunixa était blessée mais comme elle n'avait rien précisé, j'avais supposé qu'elle n'avait rien de grave. M'étais-je trompé ? Je glissai immédiatement mon regard vers Magdalena. Elle secoua la tête.

  –La Princesse n'avait pas de profonde coupure, assura-t-elle. En revanche, de ce que j'ai pu apercevoir, la veste et le cou de l'Horloger étaient couverts de sang.

  C'était donc le sien que les soldats avaient trouvé et il avait dû se rajeunir pour se soigner. Malgré ce constat, la tension qui venait de s'emparer de moi s'atténua à peine. Je ne savais pas avec quoi Lunixa l'avait blessé mais s'il n'avait pas été doté de telles capacités, il serait déjà mort et elle n'aurait pas eu à s'enfuir pour lui échapper. Si elle n'avait pas de grave blessure à ce moment-là, était-ce encore le cas à présent ?

  Mon pouvoir se répandit à nouveau dans ma peau.

  –Merci pour votre aide, Magdalena. Allez vous reposer à présent.

  Elle m'offrit un fin sourire avant de laisser son mari la guider à l'intérieur. Je reportai aussitôt mon attention sur la forêt et baissai les yeux. Des traces de pas plus ou moins nettes marquaient la terre et les restes de neiges. Je m'accroupis pour les inspecter de plus près. Elles étaient très nombreuses aux abords des portes mais deux jeux d'empreintes sortaient du lot. Les traces qui les composaient étaient très espacées, signe que les personnes à qui elles appartenaient avaient courru. Les premières, grandes et profondes, correspondaient à celle d'un homme. Quant aux secondes, plus petites et discrètes, parfois recouvertes par les premières, elles avaient été laissées par une pointure que je ne connaissais que trop bien.

  Lunixa...

  Le feu en moi s'embrasa complètement et se changea en incendie dévorant. La neige sous ma paume fondit tandis que le paysage perdait ses couleurs. Dans ce monde monochrome, l'obscurité n'existait pas vraiment. C'était comme si la lune s'était décrochée du ciel pour venir sur terre et déverser sa lueur dans les bois sans qu'aucun obstacle ne puisse l'arrête.

  Le regard rivé sur cette piste, je remontai en selle et élançai Skinfaxi au grand galop.

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