Chapitre 24 - Partie 4
Plus détendue, je portai enfin la tasse à mes lèvres. Malgré la peur que César m'inspirait, il avait toujours eu le don de me mettre en confiance et aujourd'hui ne dérogeait finalement pas à cette règle. Il dégageait à nouveau cette douceur qui venait atténuer sa prestance de Général. Certains avaient dû mal à comprendre qu'un homme comme lui puisse en être doté et trouvaient qu’il devrait avoir l’air plus dur, plus impartial. Cependant, mieux valait que cette douceur ne soit pas remplacée par sa froideur implacable. Mon parrain était l'un des meilleurs Généraux de l'histoire d'Illiosimera. Et il n'excellait pas seulement en stratégie ou pour diriger ses hommes. Même si mon père avait envoyé Arès, un membre de l'escadron noir, pour plus de sûreté, César en était tout à fait capable de se protéger seul.
–Par avance, je m'excuse pour l’indiscrétion de mes dernières question, Princesse, poursuivit-il. Mais sa Majesté m'a demandé de vous les poser. Votre mariage a-t-il bien été consommé ?
J'avalai mon café de travers. La quinte de toux qui s'ensuivit accentua la rougeur de mes joues. Mon embarras plus que flagrant eut l’air de beaucoup amusé mon parrain.
–Je... oui, confirmai-je une fois ma crise de toux passée. (Je m'éclaircis la gorge.) Nous avons bien consommé le mariage. L'alliance entre nos deux pays est légitime.
–Et votre union serait-il déjà béni par Dame Nature ?
Je posai ma tasse en secouant la tête, le cœur soudain lourd.
–Non, je suis navrée. Je n'attends pas encore d'enfant.
Il assimila ces informations d'un hochement de tête.
–Merci pour votre franchise.
Mes lèvres se soulevèrent pour la forme tandis je passais les mains sur ma robe. Comme d'habitude, l'évocation d'un futur enfant chimérique avec Kalor me rappelait les miens.
César finit sa tasse, puis la posa sur la table.
–Général, puis-je vous demander quelque chose à mon tour ? me risquai-je en plongeant mon regard dans le sien.
–Bien évidemment.
–Comment vont-ils ?
Il tenta de contenir son sourire, en vain.
–J'attendais que vous me posiez la question, déclara-t-il.
Il se leva et ouvrit sa veste pour sortir une lettre de sa poche intérieure. Mon souffle se coupa lorsqu'il me la tendit et que je vis le sceau qui la scellait. Le sceau la famille Zacharias. Avec une extrême lenteur, je la pris.
–Pas besoin de m’accompagner jusqu’à la sortie, je connais le chemin, me glissa-t-il avant de partir.
Le léger claquement de la porte me ramena brusquement à moi. Je me redressai d'un bon, courus jusqu'à mon bureau, récupérai mon coupe papier, puis ouvris l'enveloppe. Les mains tremblantes, j'en sorti le contenu et le dépliai. Une larme glissa entre mes cils dès que je reconnus l'écriture de Giulia.
Ma chérie,
Ces derniers mois sans toi ont été les plus difficiles à vivre de toute mon existence. Tu nous manques terriblement et ton absence se fait davantage sentir chaque jour. J'ai tenté de me convaincre que l'absence de nouvelle de ta part signifiait que tu allais bien, mais je ne supporte plus ne pas en avoir. J'ai besoin de savoir si c'est vraiment le cas ou si on t'a empêché de communiquer avec nous.
Afin de m'en assurer de mes propres yeux, j'ai essayé de convaincre sa Majesté de me laisser faire partie de la délégation avec les petits lorsque j'ai appris qu'il allait en envoyer une à Talviyyör. Hélas, il n'a rien voulu entendre, peu importe mes arguments. Alexandre et Éléonora sont les jumeaux du siècle, ils ne peuvent quitter le pays. Comme je sais que tu n'aurais pas voulu que je les confis à quelqu'un d'autre, j'ai arrêté de débattre et nous sommes tous restés au manoir. Aussi suis-je obligée de passer par cette lettre alors que j'aurais voulu te parler de vive voix, t'avoir enfin devant moi, entendre le doux son de ta voix...
Comment vas-tu ma chérie ? Peux-tu me parler de ta nouvelle vie ?
Si tu savais comme je m'en veux, Lunixa. Quand j'ai vu que Francesco était revenu sans toi et que le Roi m'a annoncé ton mariage, le rang de ton époux, j'ai bien cru que mon cœur s’était arrêté de battre. Jamais je n'aurais dû accepter que tu montes dans ce carrosse avant d'avoir parlé à sa Majesté. Si je l'avais fait, tu ne te serais pas retrouvée enchaîner à cette vie, à cet homme que tu ne désirais pas. Cette décision, je l'ai regrettée dès que la voiture a commencé à s'éloigner de nous et je la regretterais jusqu'à la fin de mes jours.
Par respect pour toi, j'ai désormais interdit à Francesco de venir nous voir. Je ne sais pas si c'est ce que tu voulais, mais j'ai préféré prendre cette mesure tant que tu ne m'avais pas transmis tes instructions. Quel que soit ton souhait, dis-le-moi et je l'appliquerais, je te le promets.
Que veux-tu également que je fasse par rapport aux jumeaux ? Je ne les ai pas encore mis au courant de ta nouvelle situation et jour après jour, ils me demandent de tes nouvelles. Où est-ce que tu es ? Quand rentres-tu ? Allons-nous te rendre visite ?... Jusqu'à présent, je leur ai menti, leur ai dit que tu étais toujours chez ton ami et que tu ne rentrerais qu'à la fin du mois. Cependant, les mois continuent de s'enchaîner et tu n'es toujours pas à la maison. Si tu es d'accord, j'aimerais leur avouer la vérité. Ils finiront bien par l'apprendre et continuer à leur donner de faux-espoir est mauvais pour eux.
D'ailleurs, en parlant de ses petits monstres, comme il te plaît à les appeler… Je suis heureuse de t'annoncer qu'ils m'ont demandé de se mettre à la musique alors que leurs précepteurs n'avaient pas encore prévu de leur enseigner cette matière avant l'année prochaine. « Pour faire comme Nix », m'ont-ils dit avec sourire. Comment aurais-je pu refuser ? Ils ont donc commencé à étudier le solfège, avec des cours supplémentaires de chant pour Éléonora et de piano pour Alexandre. Ils ont encore beaucoup à apprendre pour atteindre ton niveau dans ces deux arts, mais ils y mettent tout leur cœur. Tu ne pourrais les écouter sans sourire, ma chérie. Surtout quand ils font des duos.
Au risque de me répéter, tu nous manques, Lunixa, et ne pas avoir de tes nouvelles me ronge de l'intérieur. J'espère vraiment en avoir au retour de la délégation. Je me doute que la présence d'un homme aussi haut placé dans le gouvernement que le Général Marcus puisse t'intimider, voir t’apeurer puisque tu ne t’étais jamais rendue au palais d'Illiosimera, mais n'hésite pas à lui confier ta missive. Il m'a promis de te remettre en main propre ma lettre et de me rapporter la tienne.
Je comprends aussi qu'il peut être difficile de savoir à qui faire confiance, surtout avec ton nouveau statut, mais j'espère que tu as pu trouver ou que tu trouveras bientôt une personne avec qui tu peux parler et te confier en toute sincérité, comme tu le faisais avec moi.
J'attends ta réponse avec plus d'impatience que jamais mais s'il te plaît, ne me mens pas pour apaiser ma conscience. Tu sais que j'ai toujours été capable de savoir quand tu masquais la vérité.
N'oublie jamais que je t'aime, ma fille, et que je te soutiendrais toujours, peu importe la distance qui nous sépare,
Giulia
PS : Deux petit cadeaux ont été joints à ce message qui, je l'espère, te réchaufferont le cœur.
Je relus la lettre une seconde fois, puis, sans essuyer mes larmes silencieuses, regardai la dernière feuille. Un rire nerveux m'échappa. Il s'agissait d'un dessin de mes enfants, nous représentant tous les trois dans la forêt du manoir. Je le retournai et le flot de larmes qui recouvrait mes joues augmenta en voyant leur message.
On doit te montrer comment on joue, alors reviens vite Nix ! On t'aime !
Alex et Eli
Giulia ayant mentionné deux présents et sentant encore quelque chose dans l'enveloppe, j'y replongeai la main. Ce que j'en sortis me fis pleurer de plus belle. Je me souvenais de cette photo comme si nous l'avions prise hier. Elle datait pourtant de mon anniversaire, arrivé quelques temps avant mon départ pour Talviyyör. Mes enfants étaient venus dans ma chambre pour me réveiller avec des tenues accordées, comme j’aimais, et tout deux coiffés d'une couronne de fleurs. Ils m'en avaient donnée une dès que je m'étais habillée, puis nous étions descendus dans le jardin, où un photographe nous attendait. Nous nous étions ensuite allongés dans l'herbe fraîche, têtes contre têtes. Le photographe avait eu beaucoup de mal à tenir son appareil au-dessus de nous, mais il était parvenu à nous prendre en photo, immortalisant à jamais notre bonheur, visible à la fois dans nos sourires immenses et dans nos regards étincelants. C'était l'un de mes clichés préférés et Giulia le savait.
Je restai un long moment, seule, à relire le message de Giulia et à contempler la photo et le dessin de mes enfants, avant de les ranger dans l'enveloppe. Essuyant mes larmes, je la posai dans l'âtre, allumai une allumette, puis la lançai sur la lettre.
Du moins, c'était ce que j'aurais dû faire. Effacer toute trace de mes enfants était ce qu'il y avait de plus prudent, de plus sûr. Mais je n'y arrivai pas. Je n'en avais pas la force. L'allumette finit par s'éteindre entre mes doigts et je n'en rallumai pas d'autre.
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