Chapitre 27 - Partie 4
En entendant le trémolo dans sa voix, je ne pus m'empêcher de lui prendre la main. Elle l'étreignit fortement en retour, les yeux toujours rivés sur l'homme de la photo. Sur son père.
–Sans vouloir vous blessez, Magdalena, intervint Kalor. Si la folie la rend aussi dangereuse, pourquoi ne l'avez-vous pas placée en hôpital psychiatrique ?
Elle se tourna vers lui.
–Vous ne l'avez pas vue, mais elle s'en est prise à Freyja en s'attaquant à son esprit, comme je l'avais fait avec celui de la Marquise Piemysond. L'envoyer dans un tel établissement, ce serait mettre tous les patients et ceux qui y travaillent en danger. Et comment justifier aux infirmiers qu'il faut lui injecter de l'havankila pour calmer ses crises ?
Kalor se tendit d'un coup.
–C'est ce que contenait la seringue ?
–Avec un puissant somnifère, confirma-t-elle. Je déteste devoir lui infliger ça, mais je n'ai pas le choix. C'est le seul moyen pour l'empêcher d'utiliser ses pouvoirs lorsqu'elle fait une crise. Heureusement, cela n’arrive pas souvent. La majorité du temps, ma mère est juste un peu folle, simplette. Elle peut tout à fait vivre une semaine seule, même si je fais mon possible pour éviter de telles situations. Il suffit de lui expliquer ce qu'elle a à faire et si elle dit « je promets », on peut être sûre qu'elle s’y tiendra. Avant aujourd’hui, je pouvais compter en sur mes doigts le nombre de fois où elle a eu des crises aussi violentes que celle à laquelle vous avez assistée. Celles qui nous obligent à lui administrer de l’havankila. Et elle est dans cet état depuis dix ans.
Était-ce ma faute ? Parce que j'étais la Créatrice ? Elle avait voulu me parler au point de s'en prendre à Freyja, la meilleure amie de sa fille.
Kalor allait poser une autre question lorsqu'une porte du premier étage s'ouvrit. Deux pas différents se déplacèrent dans le couloir, puis dans les escaliers. Magdalena cilla plusieurs fois pour chasser ses larmes.
–Comment va-t-elle ? demanda-t-elle aux nouveaux arrivants.
–Bien, elle dort, soupira Freyja en se lançant tomber sur la chaise à sa droite.
–Et toi, comment vas-tu ? s'enquit son mari.
–Bien.
Son mensonge guère mieux que le mien ne nous convainquit pas plus. La crise de sa mère l'avait ébranlée et elle avait besoin de se reposer pour s'en remettre.
–Nous devrions y aller, déclarai-je. Encore merci pour votre accueil. J'espère que ta mère ira mieux à son réveil.
–Vous n'avez pas à vous en faire pour elle, marmonna Freyja. Frigg se sera calmée à son réveil et elle ira de nouveau cueillir des pâquerettes ou coudre une robe.
–Mais votre inquiétude nous touche, intervint le commandant, et nous vous en remercions, Princesse.
Magdalena appuya les mots de son mari d'un hochement de tête tandis que Kalor et moi nous levions. Je serrai une dernière fois sa main, puis le commandant nous raccompagna jusqu'au carrosse.
–Lire les lignes du temps..., murmura Kalor lorsque notre voiture se mit en mouvement. J’ai toujours du mal à y croire. Jamais je n'aurais imaginé qu'une telle chose puisse exister.
–D'autres pouvoirs peuvent-ils se retourner contre les Lathos ? m'enquis-je.
–Je ne sais pas, avoua-t-il. C’est la première fois que j'entends pareille histoire. Nos pouvoirs font partie de nous, ils sont semblables à un muscle ou un membre. Nous ne pouvons donc évidemment pas nous en servir inlassablement sans risquer de nous épuiser. Il y a aussi des capacités plus fatigantes que d'autre, comme se téléporter avec un passager ou téléporter un objet d'une main à l'autre pour les Voyageurs. Même si cela peut paraître simpliste, ça demande beaucoup d'énergie et les membres de ma race qui n’en sont pas capables sont nombreux. Mais posséder un pouvoir qui nous est néfaste au point de nous rendre fou...
Je me pinçai les lèvres. Une question me brûlait la langue mais je n’étais pas sûre de pouvoir la poser. Après une longue hésitation et la peur au ventre, je finis par le faire.
–Et les pouvoirs des Stracony ? risquai-je d'une toute petite voix.
À chaque fois que je créais quelque chose, mon corps en pâtissait. Je me vidais de mes forces et maigrissait à une vitesse folle, puis je finissais par saigner du nez et par souffrir de violentes migraines. Notre conversation était idéale pour que je l’interroge sans éveiller trop de soupçons. Cependant, je craignais tant de prononcer le nom « Créatrice », à cause de la réaction de l'Horloger et du Lathos d’il y a neuf ans, que je m'étais rabattue sur « Stracony ». Même avec ce mot, je craignais d'en avoir trop dit.
Mes doutes s'envolèrent en voyant Kalor froncer les sourcils, interloqué.
–Les Stracony ? répéta-t-il. Qu'est-ce donc ? Un terme pour désigner une race lathienne ?
Je cillai plusieurs fois, surprise. Ce mot lui était inconnu ? Alors d'où venait-il pour que l'Horloger et Frigg le connaissent ? Le seul point qu'ils avaient en commun, à part leur folie respective, était... le temps. Mon ravisseur avait vécu dans le passé et Madame Raspivitch avait pu le lire.
–Lunixa ?
Son timbre grave me ramena à l’instant présent.
–Non, pas du tout. En fait, je ne sais pas non plus de quoi il s’agit. La mère de Magdalena les a cités quand elle nous a enfermées. Elle a dit qu'ils souffraient, précisai-je en mentant bien plus efficacement que chez ma femme de chambre. Alors comme nous parlions des pouvoirs qui faisaient du mal à leur détenteur, je me suis demandé si c'était une race de Lathos et si cela les concernait.
Kalor secoua la tête.
–Je n'en sais pas plus que toi, désolé.
Je haussai les épaules, comme si cela n'avait aucune importance, puis me tournai vers la fenêtre. À l’opposé total de mon attitude décontractée, un capharnaüm de questions assaillait mon esprit. Au milieu de cette tempête, l’une d’entre elles surpassait toutes les autres.
Que suis-je à la fin ?
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