Chapitre 66 - Partie 2
–Altesse, pensez-vous vraiment trouver des correspondances de la Cause ? me glissa Magdalena.
Je manquai de froisser le dossier entre mes mains.
–Votre mère trompe la cour depuis près cinquante ans, ajouta-t-elle. Elle est très méticuleuse...
–Je sais... Mais je dois au moins essayer.
Contrairement à ce que j'avais dit à Lunixa, nous étions au pied du mur. Alors s'il y avait la moindre chance de dénicher un indice, aussi infime soit-elle, je devais la saisir. Sa vie et celle de Baldr en dépendaient.
La présence désagréable des pouvoirs de Magdalena pesa à nouveau sur mon esprit, mais elle finit par se retirer sans mot dire et je me reconcentrai sur mes recherches. Rapports, comptes-rendus, demandes de subvention, feuilles de compte, invitations mondaines... À chaque nouveau tiroir, chaque nouvelle étagère, chaque compartiment secret, les mêmes documents défilaient devant mes yeux sans aucune interruption. Je portai une intention toute particulière aux lettres, mais ne négligeait pas pour autant les papiers administratifs. Les ordres pouvaient nous parvenir sous toutes les formes. En dénicher n'était toutefois que la première étape. Si je parvenais à mettre la main sur une missive, il faudrait ensuite lire entre les lignes ou la décrypter. Et sans connaître le code utilisé, cela risquait de prendre du temps. Bien trop de temps.
Un tout autre document interrompit soudain mes gestes alors que je retirais les derniers dossiers cachés dans le contre-fond d'un tiroir de la bibliothèque. Interdit, je le fixai un instant, sans bouger, avant de le récupérer. Il s'agissait d'une photo de Lokia et moi, le jour de mon seizième anniversaire, lors d'une soirée organisée pour affirmer nos fiançailles devant la cour. Comme elles avaient été célébrées alors que nous avions à peine dix ans, ma mère avait jugé bon de rappeler à tous que nous étions destinés à nous marier une fois ma majorité atteinte.
Le feu afflua sous ma peau et mes épaules se tendirent alors que je nous observais l'un contre l'autre : Lokia, le dos lové contre mon torse et moi, une main autour de sa taille pour la tenir au plus près de moi. Lokia affichait un sourire renversant et ses yeux pétillaient d'une joie sans limite tandis que mon expression était bien plus discrète, mais pas moins sincère. Une autre émotion transparaissait également sur mon visage : du soulagement. Ulrich aurait dû être présent ce soir-là, mais Lokia l'avait convaincu de ne pas venir. À l'époque, je tremblais rien qu'en entendant son nom, alors le voir… Je ne m'étais jamais senti aussi reconnaissant envers elle et, pour la première fois depuis la fuite d'Alaric et les coups de son père, mes lèvres s'étaient incurvées et j'avais été heureux. J'aimais Lokia d'aussi loin que je me souvenais, mais découvrir qu'elle avait tenu tête à son père et chef pour moi avait renforcé mes sentiments pour elle. Son geste m'avait donné l'impression que nous formions un couple encore plus solide que je ne le pensais. Que rien ne pouvait se mettre entre nous. Que nous serions toujours là pour nous soutenir l'un l'autre. Que mon bien-être passerait avant toute chose pour elle.
Et tout juste un an plus tard, j'avais commencé à évoquer des réticences vis-à-vis des plans de le Cause et les premières ecchymoses étaient apparues. Me les aurait-elle infligées à l'époque de nos renouvellements de fiançailles si j'avais osé émettre mes doutes à ce moment-là ? Quand était-elle devenue cette femme qui n'hésitait pas à blesser son fiancé ? Un homme qu'elle n'avait pas aimé que pour sa couronne, si j'en croyais les dires de Lunixa et Valkyria ?
–Magdalena ? Vous n'avez toujours pas de nouvelle d'elle ? … Magdalena ?
–Désolée, Altesse, je n'étais plus qu'à peine reliée à vos pensées, répondit-elle après un nouveau silence. Vous avez besoin de quelque chose ?
–Lokia n'est toujours pas revenue au palais ?
–Je ne pense pas. Je suis en train de faire un tour des esprits présents et je ne l'ai pas perçue.
Je me forçai à inspirer lentement. J'avais cru qu'elle reviendrait au palais pour voir de ses propres yeux si j'administrais son poison à Lunixa, mais peut-être attendait-elle l'annonce de sa mort pour faire le déplacement. Quoi qu'il en soit, obtenir des informations de sa part risquait d'être plus ardu qu'avec ma mère. Je ne pouvais pas demander à Magdalena de veiller nuit et jour jusqu'au baptême au cas où Lokia passerait. Elle ne tiendrait jamais et nous aurions besoin d'elle à ce moment-là.
–Et ma mère ? hasardai-je. Elle ne pense pas à leur plan ?
J'eus le temps de ranger le cliché, les documents qui le couvraient et de refermer le tiroir avant qu'elle ne reprenne la parole.
–Non... Mais à chaque fois qu'elle regarde votre épouse, elle se dit que ce sera bientôt fini, ajouta-t-elle après une seconde d'hésitation.
Cela n'aurait pas dû m'étonner, mais je ne pus empêcher mon pouvoir d'échauffer mon sang. Le repoussant à l'aide d'une nouvelle inspiration lente, je me replongeai dans mes recherches.
Hélas, j'eus beau retourner le bureau de ma mère de fond en comble, je ne trouvais rien de rédiger de la main d'Ulrich ou qui ressemblait de près ou de loin à un message codé. Contenant avec peine ma frustration, je rangeai la pile de rapports entre mes mains, puis jetai un œil à la pendule. Il me restait moins d'une demi-heure avant la fin du déjeuner. Cela me laissait juste le temps d'aller farfouiller ailleurs.
–Magdalena, y a-t-il quelqu'un dans les appartements de ma mère ?
Un instant passa.
–Il ne me sem...
Je me téléportai aussitôt là-bas, au cœur du salon. Malgré les voilages tirés pour protéger les meubles en acajou, l’action du soleil à son zénith réhaussait la teinte rouge du bois, faisait étinceler le lustre en cristal, accentuait le contraste entre les pans de mur immaculés et ceux couvert d’écarlate, renforçait le faste des boiseries dorées… Un vif coup d'œil circulaire me confirma que l'endroit était désert et je me transférai dans la salle de bain. J'y récupérai des pinces à cheveux avant de revenir dans le salon, devant le secrétaire. Je n'eus qu'une brève hésitation avant de les insérer dans la serrure. Fouiller dans les correspondances privées de ma mère ne m'enchantait pas du tout ; malgré tout ce qu'elle avait fait ou n'avait pas fait, une part de moi ne cesserait jamais de l'aimer et la respecter comme un fils devait le faire. Cependant, je ne pouvais plus me permettre d'avoir ce genre de scrupules.
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