Chapitre 66 - Partie 3

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  Le crochetage n'avait jamais été mon fort et il me fallut bien deux minutes pour venir à bout du verrou. Ce temps perdu mit mes nerfs un peu plus à vif et j'abaissai sans aucune délicatesse le battant, qui claqua sèchement.

  –Altesse...

  Je ne répondis pas, le nez déjà plongée dans les tiroirs du secrétaire et les mains dans les missives. Mes yeux les parcoururent l'une après l'autre en diagonale.

  L'écriture d'Ulrich. Il devait bien y en avoir une rédigée par Ulrich.

  –Altesse.

  J'ouvris le premier tiroir caché, n'y trouvai pas plus de lettre de la Cause, puis m'attaquai au second.

  –Kalor.

  Mes mains se figèrent. Un instant passa, puis je fermai les yeux, les dents serrées.

  –Cessez de vous faire du mal, me souffla Magdalena. Vous ne trouverez rien et vous le savez, alors rangez ces lettres et refermez le secrétaire. Votre mère brûle toujours ses correspondances avec la Cause.

  Je rouvris les yeux et mon regard se reposa sur la lettre que j'avais commencé, mais je m'en détournai et obéis à Magdalena. Je dus faire appel à toute ma volonté pour m'exécuter.

  –Je comprends que vous vouliez en apprendre plus, reprit-elle lorsque j'eus rabattu le battant, mais n'en faites pas une obsession. Vous avez besoin de garder la tête froide pour ne pas perdre de vue notre objectif.

  –Je sais...

  Sa présence s'attarda un instant dans mon esprit, comme une main sur mon épaule, puis elle se retira alors que je me détournais du secrétaire. Son départ me laissa un profond sentiment de solitude. Dans un soupir, je m'adossai au meuble, puis refermai les yeux, la tête rejetée en arrière. Magdalena avait raison. J'avais été si focalisée sur le besoin de dénicher un indice que ma mère aurait pu entrer dans ses appartements et me prendre la main dans le sac avant que je ne la remarque. Je devais retrouver mon sang-froid avant de commettre une erreur. Surtout que je devais confronter ma mère, suite à ce deuxième échec. La dernière chose à faire était de lui révéler que j'étais au courant du Marionnettiste sous le coup de la colère. Je devais avoir la situation en main, pas me laisser guider par mes émotions.

  Et pour cela, il me fallait préparer cette entrevue.

  L'idée de confronter ma mère échauffa à nouveau mon sang, mais je repoussai cet afflux de pouvoir, n'en laissant qu’un fragment parcourir mes veines, afin de nourrir ma détermination.

  –Magdalena ? (Son esprit s'insinua dans le mien.) Préparez-vous à vous concentrer sur ma mère. Vers le milieu d’après-midi, elle viendra me trouver dans mon bureau et vous ne devez manquer aucune de ses pensées.

  Une infime sensation – du soulagement ? – me parvint.

  –Il en sera fait selon vos ordres, mon Prince.

  Je rouvris les paupières tout en me redressant d'un mouvement fluide. Mes yeux eurent à peine le temps de se poser sur le tableau face à moi, celui de ma mère me tenant dans ses bras alors que je n'avais pas un mois, rayonnante d'un bonheur sans limite, avant que la photo de Lunixa, posé en appuis contre une pile de documents sur mon bureau, ne le remplace. Sans la quitter des yeux, j'allumai une cigarette et appelai Edgar.

  J'étudiais des comptes de l’armée lorsque mon secrétaire toqua pour m'annoncer l'arrivée de ma mère. Sans me presser, je conclus ma phrase, relevai la tête du dossier, puis finis mon verre avant de l'autoriser à la laisser passer. Il s'était tout juste incliner que ma mère lui passa devant. Sa robe en dama violet bruissa tandis qu'elle avançait la tête haute, le pas fluide et posé. Elle aurait eu l'air parfaitement détendue, si ce n'était son regard agacé et ses doigts crispés sur les documents qu'elle avait en main.

  Bien. Ma convocation imprévue ne l'avait pas laissée de marbre.

  –Magdalena ?

  –Je suis là.

  Parfait.

  Arrivée à mi-chemin de mon bureau, ma mère ouvrit la bouche, sur le point de prendre la parole.

  –Navré de vous avoir demandé alors que vous êtes si occupée, mère, déclarai-je avant qu'elle ne prononce un mot, lui coupant l'herbe sous le pied, mais le sujet ne pouvait attendre.

  Ses yeux s'étrécirent alors qu'elle contournait les fauteuils en face de moi pour s'arrêter à côté de mon bureau.

  –C'est ce que ton secrétaire n'a cessé de me répéter en spécifiant que tu ne voulais voir cela qu'avec moi. J'avais pourtant demandé à ne pas être déranger, Kalor. Le baptême est dans moins de cinq jours. J'ai des invités à recevoir, des préparatifs à terminer, une cérémonie à vérifier. Alors à moins qu'il ne soit question de la Cause, tu...

  Je lui tendis un dossier sans attendre la fin de sa tirade. Elle me sermonna d'un regard sombre avant de s'en saisir. Tandis qu'elle l'ouvrait, je m'allumais une cigarette et me penchais à nouveau sur mes feuilles de compte. J'eus à peine le temps d'étudier les cinq entrée suivante qu'un hoquet surpris résonna dans le silence environnant.

  –La disposition et le nombre de gardes ont été modifiés ?

  –En effet, confirmai-je dans un nuage de fumée. Baldr a beau être un miracle de Dame Nature, sa venue au monde ne plaît pas à tous. Et en réétudiant les mesures prises pour assurer sa sécurité durant le baptême, nous nous sommes rendus compte de quelques manques avec mon frère. Nous en avons alors discuté, afin d’y remédier, puis avons proposé un nouveau dispositif à père. Je vous ai fait appeler dès que nous sommes sortis de son bureau avec son autorisation pour l'appliquer.

  Un silence suivit mon explication. Tirant à nouveau sur ma cigarette, je coulai un regard vers ma mère et me retrouvai face à deux abysses obscurs. Sous le coup de la colère, sa paupière supérieure tressautait aussi au-dessus de sa prunelle gauche et elle semblait se faire violence pour ne pas froisser la chemise que je lui avais remise.

  –Un souci, mère ? Nous avons fait en sorte que les nouvelles mesures ne se heurtent pas à votre organisation, mais vous avez peut-être apporté des modifications depuis vos derniers rapport sur l'avancée des préparatifs. Si vous me dites ce qu'il en est, nous pouvons essayer de rectifier le problè...

  Un ricanement sans joie franchit soudain ses lèvres. L’ensemble de son corps se relâcha.

  –Oh, fils. Tu te donnes bien du mal pour rien.

  –Pardon ?

  –Allons, Kalor, ne me prends pas pour une sotte, me réprimanda-t-elle d'un ton sévère, toute trace de fausse joie envolée. Tu n'as peut-être accusé personne car les nobles humains qui attendaient ta montée sur le trône aimeraient autant que nous voir Baldr disparaître, mais ce n'est pas pour eux que tu as renforcer la sécurité. Tu l'as seulement fait car tu crains que nous cherchions à régler son cas durant son baptême.

  Elle secoua la tête avec dédain.

  –Comme si nous étions assez stupides pour nous en prendre à lui devant l'ensemble de nos convives, alors qu'il sera au centre de l'attention.

  –N'était-ce pas également le cas de Lunixa quand vous avez envoyé un Assassin la tuer lors de la remise du bouquet, à la fin du concert de Dame Nature ?

  Ma mère cessa brusquement de secouer la tête et reposa les yeux sur moi. Nous restâmes ainsi une poignée de secondes qui me parut une éternité. Elle, debout à mes côtés, me toisait et jaugeait d'un regard sombre ; moi, assis et obligé de lever la tête pour soutenir ce regard, la fixait sans rien laisser transparaitre et ressentir la moindre infériorité malgré sa position dominante

  Sans me quitter des yeux, ma mère finit par se pencher en avant, renforçant sa position de supériorité.

  –Quoi que tu penses avoir deviné et quoi que tu mettes au point pour empêcher tes suppositions de s'accomplir, tu es seul, fils. Tu n'arriveras pas à nous arrêter. Alors fais-toi à l'idée au plus vite, oublie ton humaine, ton neveu, et reviens-nous. Épouse Lokia et laisse le conseil faire de toi ce roi auquel j'ai donné naissance. Pour toi, pour la Cause, pour nous tous.

  Alors que je luttais pour contenir mon pouvoir, que ses sombres prédictions avaient attisé, ma mère posa une main sur ma joue, puis embrassa mon front avec tendresse avant de partir. Je lâchai prise dès que la porte se referma dans son dos et le bout de ma cigarette s'embrasa aussitôt.

  –Dites-moi que vous avez quelque chose, Magdalena.

  Un poids et une appréhension que je n'avais encore jamais ressenti avec l'intrusion de son pouvoir envahirent mon esprit.

  Ma cigarette se retrouva instantanément réduite en cendres.  

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