Chapitre 72 - Partie 3
Pendant que je faisais de mon mieux pour ne rien laisser transparaître de mon état, ne pas me retourner et chercher cette menace dans mon dos, la cérémonie poursuivit son cours. Après l'introduction du Grand Prêtre s'ensuivirent la lecture de textes sacrés, tous relatifs aux dons de vie de la Déesse, à la naissance et à l'enfance. Chants et temps de recueillement leurs succédèrent, puis le religieux en chef laissa place à sa consœur. La Grande Prêtresse le remplaça derrière l'autel et invita Thor et Mathilda à la rejoindre. Baldr se mit à pleurer, comme s'il savait ce qui l'attendait, arrachant de tendre soupir à l'assemblée et un doux sourire aux religieux.
–Ne t'inquiète pas, miracle de notre mère à tous, déclara la Grande Prêtresse, tu n'as rien à craindre entre les mains de sa servante. Votre Altesse.
Mathilda déposa son fils à même le bois brut de l'autel et s'écarta d'un pas tandis que la Servante Supérieure levait les bras de part et d'autre de son visage.
–Toi qui n'aurais jamais dû voir le jour. Toi qui es la preuve de la toute-puissance de Dame Nature, mère de toutes vie et de toutes choses. Toi grâce à qui nous savons que notre futur souverain a été touché par la Déesse, comme l’avait été Sa Majesté Odin Ier, ton tout premier ancêtre, en recevant cette marque royale qui orne ta cheville, preuve que Dame Nature lui confiait cette terre et ces habitants. Toi qui nous gouverneras bientôt. Toi, Baldr, Kalor, Friedrich, Leif, Ragnvald, Joseph Talvikrölski, que par l'essence de ta vie, la Déesse sache que tu lui seras éternellement reconnaissant d'être l'une de ses créations et que tu la reconnais comme mère, afin qu'à ta dernière heure, elle te guide à ses côtés, pour vivre pour l'éternité.
Alors qu'elle baissait les mains, une religieuse et un enfant de chœur s'avancèrent vers l'autel. Mes épaules se tendirent. La Grande Prêtresse récupéra des mains du garçon une longue aiguille, puis se pencha vers Baldr. Sa collègue plaça une coupelle contenant de la terre sous la main de mon neveu, puis la Servante Supérieur lui piqua le doigt. Les cris de Baldr emplirent toute l'église tandis qu'une perle écarlate naissait au bout de son doigt. Lorsqu'elle fut trop grosse pour se maintenir en équilibre, elle glissa sur le côté et tomba dans la glaise. Aussitôt, un religieux apparut pour panser l'enfant et l'enfant de chœur s'éloigna avec l'aiguille.
Mes épaules se relâchèrent.
–Grâce à ce sacrifice, la Déesse te reconnaît comme l'un de ses enfants, proclama la Grande Prêtresse. Elle veillera sur toi durant toute ta vie et plus encore.
Émue au larme, Mathilda récupéra son fils et le serra fort contre lui. De nouveaux chants s'élevèrent entre les murs de l'édifice, couvrant les vagissements de Baldr. Lorsque les voix du chœur retombèrent, la Servante Supérieure reprit la parole.
–La vie d'un enfant est précieuse, surtout celle d'un enfant voué à un destin aussi grand que notre Prince. (Elle se tourna vers Thor et Mathilda.) Conformément aux paroles de notre mère qui les aime plus que tout, vous devez vous assurez qu'il ne manquera de rien et que jamais il ne grandira jamais sans parents, même si la Déesse vous appelait à ses côtés avant sa majorité. Afin de vous aider et de vous soutenir dans le cheminement dans la foi de votre fils, dans son éducation et dans votre rôle de parents, qui avez-vous trouvé d'assez dignes pour devenir vos égaux aux yeux de la Déesse ?
–Lunixa et Kalor Talvikrölski, répondirent en cœur mon beau-frère et ma belle-sœur.
Dès que nos noms eurent franchis leurs lèvres, Kalor et moi nous levâmes pour rejoindre l'autel. Mon cœur pulsa de plus en plus à chaque pas qui m'en rapprochait. Baldr allait m'être confié dans un instant. La Cause allait-elle en profiter ?
Arrivée à destination, je ne pus empêcher mon regard de dériver vers l'assemblée, à la recherche du Marquis Piemysond – alors que je n'avais aucune idée de son apparence. Cependant, la suite de la cérémonie me rappela très vite à elle. Suivant le mouvement de Kalor, je m'inclinai devant son frère et Mathilda, puis elle et moi nous rejoignîmes devant l'autel.
–Lunixa Talvikrölski, toi sans qui mon miracle n'aurait peut-être jamais vu le jour, je te confie mon fils, déclara-t-elle solennellement, la voix tremblante d'émotion. Sois sa mère au même titre que moi, et aide-le à grandir et s'épanouir dans cette vie que Dame Nature lui a offerte.
Le cœur battant, je pris Baldr dans mes bras en veillant à ne pas toucher les mains de sa mère. Malgré mon intense anxiété, le sentir blotti contre moi, en cet instant, me noua la gorge et m'arracha un sourire.
–Baldr Talvikrölski, toi mon Prince et futur Roi, je ne suis pas la femme qui t'a donné la vie, mais je t'aimerai et te chérirai comme mon propre fils. Qu'aux yeux de Dame Nature, mère de toutes choses, et de toutes vies, cette eau nous lie tels les liens du sang.
Félicité et angoisse se disputèrent en moi alors que je me tournais vers la prêtresse qui venait de se glisser entre Mathilda et moi, une coupelle d'eau entre les mains. En veillant à ne jamais la toucher, je récupérai le récipient, bus une gorgée, puis le lui rendit afin de pouvoir tremper mon petit doigt à l'intérieur. Je l'amenai ensuite au-dessus de Baldr et laissai tomber quelques gouttes d'eau qui glissèrent de mes phalanges dans sa bouche.
Je rendis ensuite son fils à Mathilda, puis nous retournâmes chacune à notre extrémité de l'autel. Elle le donna alors à son mari, qui s'avança à son tour vers le centre pour le confier à Kalor.
–Kalor Talvikrölski, toi mon frère qui m'a toujours soutenu, je te confie mon fils. Sois son père au même titre que moi et aide-le à grandir et s'épanouir dans cette vie que Dame Nature lui a offerte.
Kalor hocha de la tête avec cérémonie avant de la baisser vers Baldr.
–Baldr Talvikrölski, toi mon neveu et futur Roi ; je ne suis pas l'homme qui t'as conçu, mais je t'aimerai, te chérirai et te protégerai comme mon propre fils. Qu'aux yeux de Dame Nature, mère de toutes chose et de toutes vies, et de toute cette assemblée, cette eau nous lie tels les liens du sang.
Surprise par ses mots, je retins mon souffle alors qu'il répétait les mêmes gestes que moi avec la coupelle d'eau. Les liens mis en place lors du baptême relevaient de l'ordre spirituel. Même s’ils avaient une importance légale, jamais nous ne demandions à l’assemblée d’être témoin de leur création. Uniquement à Dame Nature. Cependant, les partisans de la Cause haïssaient la Déesse. Si Kalor ne s'était adressé qu’à elle, ils n'auraient pas forcément cru à son envie d'être parrain d'un humain. En revanche, en prenant pour témoin le regard des invités, leur regard, Kalor leur faisait comprendre qu'il considérait vraiment Baldr comme son fils.
Lorsqu'il revint à mes côtés, Baldr toujours dans ces bras, il cligna des yeux un peu plus longtemps que nécessaire pour me faire comprendre qu'il était toujours lui-même.
–Tu n'aurais pas dû, soufflai-je.
–Si, il fallait que ce soit clair.
En effet, mais la Cause ne manquerait pas de voir cette déclaration comme une nouvelle provocation de sa part. Sa mère, en tout cas, n'avait même pas pu cacher le dégoût que lui inspirait l'ajout de Kalor. L'espace d'un instant, son sourire retomba et elle foudroya son fils du regard.
De l'autre côté de l'autel, la Servante Suprême leva à nouveau les mains.
–Par cette eau, Dame Nature vous reconnaît à présent comme le parrain et la marraine de cet enfant. À l'image de ses vrais parents, guidez-le sur le droit chemin, protégez-le et aimez-le comme s'il était vôtre.
–Nous avons conscience de l'honneur qui nous a été fait, déclamai-je avec Kalor. Nous ne leurs ferons jamais défaut, ni à notre filleul, ni à ses parents, ni à la Déesse, et nous la prions pour qu'elle leur accorde à tous trois, une longue et heureuse vie.
La Grande Prêtresse acquiesça avec tendresse, puis nous retrouvâmes à nouveau Thor et Mathilda devant l'autel pour leur rendre leur fils. Après qu'ils se furent accordés un court instant pour l'admirer, les yeux débordant de joie, nous nous tournâmes tous les cinq vers l'assemblée.
–Que la Déesse bénisse cette famille ! clama tel un seul homme l'ensemble des religieux.
Dès que les invités eurent répété ces propos avec force, l'orchestre entonna le morceau de sortie, accompagné d'un tonnerre d'applaudissements. Alors que les voix du chœur s'élevaient, la jeune famille, Kalor et moi remontâmes l'allée centrale, de nouveau escortés par des petites filles d'honneur qui lançait leurs pétales tout autour de nous. Mon regard parcourut derechef les visages qui nous entouraient, sans plus de succès.
Notre procession se poursuivit jusqu'à l'extérieur, où une foule plus grande encore qu'à notre arrivée nous attendait. L'euphorie collective explosa en cris de joie à notre apparition au sommet des marches.
Emporté par ces acclamations, Thor récupéra Baldr des bras de son épouse et le brandit devant la foule.
–Mon fils ! Baldr, Kalor, Friedrich, Leif, Ragnvald, Joseph Talvikrölski !
La foule reprit aussitôt son nom en cœur et bientôt, toute la ville sembla le scander avec ardeur.
J'aurais voulu ressentir autant d'allégresse que les jeunes parents et nos sujets, mais si la liesse parvenait à atténuer la tension de mes muscles, elle ne la faisait pas disparaître pour autant.
Nous avions échappé à une attaque durant le baptême, mais la journée était encore loin d’être terminée. D'ici quelques instant, Thor et Mathilda allaient s'approcher des habitants afin de leur permettre de toucher leurs fils prodige. Puis nous allions parcourir la ville en carrosse durant une paire d’heure avant de retourner au palais, où la réception, le moment que nous redoutions tant, commencerait.
Tant d’occasions pour que quelqu’un souhaitant du mal à mon filleul essaye de s’en prendre à lui. Qu’il soit un partisan de la Cause ou non.
Et en ce qui la concernait, puisqu’elle n'avait pas agi durant la cérémonie, en dépit de la présence de l'un de ses chefs, pouvions-nous enfin en déduire que tout allait se jouer au palais ?
–Magdalena ? murmurai-je endu bout des lèvres.
Du coin de l'œil, je vis la mâchoire de Kalor se contracter.
–Elle a trouvé son esprit, mais il ne songeait pas à leur plan, souffla-t-il d'une voix tout aussi inaudible et en illiosimerien. Les seules pensées qui le traversaient était la certitude qu’il était vraiment grand temps d’intervenir et que d’ici la fin de la journée, le lien que j’ai forgé avec Baldr ne m’avilirait plus.
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