Chapitre 80 - Partie 1

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LUNIXA


  La panique s'empara de moi. Alors que j'avais peiné à me libérer du Sirène, je m'en débarrassai soudain d'une poussée, arrachai mon poignard de sa gorge et me relevai en brandissant mon arme. De longs doigts délicats glissèrent sur le bras du soldat blond pour l'écarter. Ce geste le tira de son hébétude et il finit par se décaler de lui-même, dévoilant la Marquise Piemysond. Je cessai de respirer ; ses yeux s’agrandirent. Aussi atterrée que les deux partisans à leur arrivée, elle balaya la pièce du regard, s'attardant sur le Sirène qui poussait son dernier râle, puis sur moi. Ma prise se raffermit sur mon poignard.

  J'aurais dû me jeter sur elle, profiter de sa stupéfaction pour la mettre hors d'état de nuire, mais j'étais incapable du moindre mouvement. Une peur viscérale venait de s’emparer de moi et surpassait mon animosité à son égard. De nouveau, j'avais quitté le salon pour retourner dans la forêt, le soir de mes renouvellements de vœux, et subir tout ce qu'elle m'avait infligé là-bas. Mon poignet brisé, mes côtés fracturées, l'os qui jaillissait de mon bras, mon poumon transpercé...

  Pourquoi était-elle là ? Pourquoi personne ne m'avait prévenu de son arrivée ? Je pensais que Kalor...

  –Mademoiselle...

  La voix du soldat blond me ramena brusquement au palais. La Marquise se remit quant à elle de sa surprise et de perdu, son regard se fit acéré. Ce dernier me fixa avec intensité un bref instant avant qu'elle ne pivote si vite vers ses subalternes que nous eûmes tous un mouvement de recul.

  –Que faites-vous encore là ? cingla-t-elle. Son Altesse a été attaquée au cœur du palais, nom de Dame Nature ! Allez chercher des renforts et prévenir mon père, qu'il organise l'évacuation de sa Majesté et sa famille ! Il pourrait y avoir d'autres intrus.

  Ils la dévisagèrent une seconde, puis l'attention du blond glissa vers moi.

  –La Princesse...

  –Mon père m'a bien entraînée. Je me charge de la conduire à l'abri royal.

  Le ton de la Puissante ne souffrait aucune contestation, mais pour appuyer ses propos, elle s'engagea dans la pièce et leur claqua la porte au nez. Je reculai vivement, mon regard jonglant entre son expression glaciale et le verre de vin entre ses mains. Une arme mortelle pour une Élémentaliste de l'eau.

  Mon cœur s'emballa. Je finis par agripper mon arme si fermement que j'en avais mal aux doigts. J'étais seule, avec elle, sans personne pour...

  La Marquise fit un premier pas. Le battant se rouvrit au même instant et la combinaison des deux me fit bondir en arrière. C'était le Lathos blond. La Puissante s'arrêta pour se tourner vers lui. Ce fut alors que je me rendis compte qu'elle n'avait pas marcher dans ma direction. Sa trajectoire partait vers la gauche.

  –Je suis navré, Marquise, déclara son comparse, mais je ne peux vous laissez seule avec Son Altesse. Je vous sais tout à fait capable de la protéger en cas de besoin, mais il est de mon devoir de garde de l'escorter et la protéger.

  La fille de son chef le toisa un instant, avant d'acquiescer et d'ordonner :

  –Allumez une bougie, nous en avons besoin.

  Le Lathos s'exécuta tandis qu'elle reprenait sa marche. Plantée sur place, j’observais leur progression. Leur route se suivit sur quelques mètres, puis ils se séparèrent, la Marquise allant plus à gauche.

  Frappe la première. Avant qu'elle n'attaque. Avant qu'elle ne te brise. Avant qu'elle...

  J'avais beau me répéter ces mots, j'étais n'avais toujours pas bouger d'un pouce lorsqu'elle s'arrêta devant une ornementation du mur. L'une des rosaces ovales couvertes de feuille d'or qui paraient le salon à intervalle régulier.

  Celle qui permettait d'ouvrir une porte secrète et d'accéder au réseau de galeries dissimulé entre les murs du palais.

  La Marquise appuya au centre de l'ornement. Il n'y eut aucun bruit, aucun mouvement. Cependant, elle glissa les doigts au niveau de la boiserie et la tira vers elle. Suivant le contour du lambris dorée, le mur s'ouvrit.

  Elle me refit face, une main tendue vers moi.

  –Venez, Altesse. Dépêchons.

  Mon arme toujours pointée vers elle, je me risquai à la quitter des yeux pour jeter un œil au passage secret. Dépourvu de toute lumière, il ressemblait à une gueule sans fond prête à avaler quiconque serait assez fou pour s'engager à l'intérieur.

  –Votre Altesse, je vous en prie, le temps presse. Il vous faut rejoindre l'abri royal au plus vite. (Le Lathos se plaça à ses côtés, la bougie en main.) Dame Nature seule sait si d'autre intrus se sont introduits dans le château.

  Dame Nature seule sait ?

  Oh non, elle n'était pas la seule. Elle était loin d'être la seule.

  Encore à des lieux de retrouver un rythme normal, mon pouls ralentit. Le choc dû au sacrifice du Sirène et à l'arrivée de celle qui hantait mes nuits retombaient ; la situation et ses intentions commençaient à m'apparaître.

  –Je comprends que vous ayez peur, Princesse, mais vous ne craignez rien, insista la Puissante d'un ton pressant. Je connais ces couloirs par cœur. En tant qu'ancienne fiancée de son Altesse, on me les avait montrés. Je peux vous conduire en sécurité.

  Un rire nerveux faillit franchir mes lèvres. Me conduire en sécurité ? Autant m'approcher d'un cobra khmet endormi !

  Un cobra khmet, voilà enfin les mots juste pour la désigner. Froide, rusée, vicieuse, mortelle, elle était capable d'attendre un long moment, immobile, que l'occasion idéale se présente avant de frapper. Et alors, elle attaquait, vive comme l'éclair, sans laisser la moindre chance à sa proie d'échapper à ses crocs vénéneux.

  La situation actuelle ne dérogeait pas à cette règle. La Marquise aurait pu s'en prendre à moi tout de suite. Elle aurait même dû le faire – j'avais tué l'un des leurs ! Pourtant, il n’en était rien. Puisque personne ne pouvait se défaire de l’envoûtement d’un Sirène, il lui était inconcevable que j’aie lancé les hostilités. Celui à mes pieds avait dû arrêter de chanter pour que je sois capable de le tuer. Si elle n'avait pas encore déterminé pour quelle raison, au vu de ses dires, elle semblait croire qu'il m'avait agressé – ou du moins qu'il avait essayé – et que je m'étais simplement défendue. Que je ne la contredise pas ou que je ne les aie pas attaqués devait la conforter dans cette idée.

  Aussi, en bon cobra qu'elle était, elle préférait prétendre n'avoir aucun lien avec mon agresseur, gagner ma confiance, m'entraîner dans les profondeurs des couloirs secrets, puis passer à l'offensive au moment où je m'y attendrais le moins. La présence du partisan contribuait à ce stratagème : comme il l'avait dit, aucun soldat ne m'aurait laissée seule après une agression.

  Restait à savoir ce qu'elle comptait me faire. La Marquise souhaitait ma mort depuis que Kalor m’avait passé la bague au doigt, mais elle n'avait encore jamais cherché à me tuer elle-même. Elle avait chargé des hommes de me déshonorer, puis elle avait voulu convaincre Kalor de m'empoisonner... Puisqu'il avait refusé, avait-elle finalement décidé de suivre le plan ? Me voir condamner à mort pour le meurtre de mon neveu était sûrement une excellente compensation. La meilleure qu’elle puisse avoir. En outre, elle devait savoir que Kalor ne lui pardonnerait jamais si c'était de sa main que je perdais la vie.

  Cependant, avant que le Lathos blond ne revienne, elle les avait chassés, lui et l’autre partisan. Elle avait voulu se retrouver seule avec moi...

  Ma tête me faisait mal. J'ignorais les véritables intentions de la Marquise, quand elle comptait attaquer, comment elle avait pu parvenir jusqu'ici sans que personne ne m'avertisse. J'ignorais quelle était la race du soldat Lathos, s'il savait que sa future reine avait cherché à m'assassiner avant le baptême, s'il était resté car elle prévoyait de me maîtriser une fois ma méfiance tomber et qu'il voulait l'aider ; ou au contraire s'il se méfiait d'elle, craignait qu'elle ne tue la pièce maîtresse du plan. Je savais encore moins quoi faire. Différentes explications justifiant l'absence d'intervention de mon époux, de sa sœur ou encore de Magdalena défilaient dans ma tête, plus alarmantes les unes que les autres. La peur et l'envie de faire payer la Marquise pour tout ce qu'elle m'avait fait subir se disputaient en moi...

  –Altesse ?

  J'observai mes deux ennemis. Une Élémentaliste armée d'un verre de vin qui commençait à s'impatienter, et un Lathos dont je ne savais rien, qui jetait de furtifs coups d'œil au corps dans mon dos. De l'incompréhension luisait dans son regard, mais je n'y voyais qu’une faible défiance.

  Deux certitudes s'imposèrent soudain à moi. J'avais beau avoir tué l'un des leurs, ils ne se méfiaient pas vraiment de moi et si je ne les rejoignais pas très vite, la Marquise se lasserait d'attendre. Je perdrais alors l'avantage qu'elle m'offrait inconsciemment : les approcher.

  C'était un mouvement risqué mais qu'il me fallait faire. Avec son vin, la Marquise était tout à fait capable de m'attaquer de loin et c'était peut-être aussi le cas de son pair. Que je tente de fuir ou que je fonde sur eux maintenant, jamais je ne parviendrais à leur échapper ou les toucher. En revanche, s'ils étaient à ma portée, j'aurais au moins une chance de les blesser, de les empoisonner.

  Avec difficulté, je refoulai tous mes doutes, toutes mes angoisses, toutes mes questions. Puis, lentement, je baissai mon bras et fis un pas en avant.

  –C'est cela, m'encouragea le serpent. Venez.


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