Chapitre 81 - Partie 4

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  –Poudre d'havankila, articula péniblement le Furtif.

  Les yeux bleux de son chef s'agrandirent et il n'eut qu'à tonner « La porte ! » pour que le valet court la refermer.

  –Mais... votre fille, réalisa ce dernier lorsqu'il l'eut fait.

  Tremblante comme une feuille, je créai un poignard tandis que le Marquis se tournait vers le Furtif.

  –Votre fille... Elle... (Une quinte de toux l'interrompit.) Perdu contrôle.

  La mâchoire du Marquis se contracta. Il jeta un bref regard sur le mur désormais clos, puis son visage se referma en un masque impénétrable.

  –Dès que nous aurons rejoint le salon beige, rassemble une équipe et fais le nécessaire pour la récupérer, Detlef. Il n'y a de toute façon rien que nous puissions faire pour le moment et cela devrait lui servir de leçon. Je lui avais interdit d’être ici.

  Puis, sans s'attarder plus longtemps sur ce problème, il rapporta son attention sur moi. Son regard me transperça aussi sûrement que la sanglante lance de sa fille l'avait fait.

  –Je me doutais que Kalor allait poser problème. Mais vous ? Vous êtes définitivement pleine de surprises, pour une humaine.

  Il se baissa et me redressa sans autre forme de procès. La douleur me terrassa, mais je frappai, visant juste en dessous de son sternum.

  D'un même mouvement, le Marquis para, me désarma, me contourna et emprisonna mes deux mains dans le dos. Ses doigts broyèrent tant mes poignets que je glapis de douleur et mes genoux flanchèrent.

  –J'aime les surprises, mais je m'en lasse très vite et tu es à deux doigts de me faire franchir ma limite, jeune fille. Alors sois raisonnable et reste calme avant que je ne te calme moi-même. Lokia t'a déjà assez malmenée et j'ai besoin de toi consciente. Detlef ?

  Le valet se mit au garde à vous.

  –Oui, monsieur. Je suis près.

  –Alors allons-y. Quant à toi, susurra-t-il à mon oreille d'une voix doucereuse, bien loin du ton paternel qu'il venait d'employer juste avant, même si j'ai besoin de toi réveillée, je n'hésiterai pas à te briser les poignets et t'assommer pour m'assurer ta collaboration. Donc pas un bruit, d'accord ?

  Il n'attendit pas que j'acquiesce pour se remettre en marche.

  Quinze gardes, six domestiques et trois nobles. À moins que je n'aie tourné de l'œil à un moment donné, ce qui ne serait pas impossible tant j'avais du mal à garder mes paupières ouvertes, nous croisâmes pas moins de vingt-deux personnes sur notre route. Et pas une seule ne me vit. Je devais me faire violence pour ne pas leur signaler ma présence. Seule l'idée de perdre connaissance au moindre son qui franchirait mes lèvres m'aida à tenir.

  Lorsque le Marquis s'arrêta devant la porte du salon beige, un autre salon à l'écart du couloir principal, mon cœur battait à tout rompre. Je n'avais plus de poudre d'havankila, ni de poignard imbibé de poison et le chef de la Cause immobilisait mes mains, m'empêchant d'utiliser une arme même si j'en créais une. S'il ne me lâchait pas en me livrant au Marionnettiste, je ne pourrais compter que sur ma résistance et la surprise de son échec pour tenter de l'arrêter.

  Le soldat – un autre partisan – à côté de la porte salua son chef d'un geste de la tête.

  –Le bruit va augmenter à l'intérieur, le prévint ce dernier. Absorbe bien ce surplus de son ; rien ne doit fuiter.

  Le garde opina, puis nous ouvrit la porte.

  Ce que je découvris de l'autre côté figea mon cœur. Un froid glacial, bien pire que celui que j'avais ressenti en présence de la Marquise Piemysond me gela jusqu'à l'os.

  Kalor se tenait là, au milieu du tapis. La lumière se déversait à flots sur lui, décuplé par les tons clairs de la pièce, me dévoilant dans les moindre détail l'horreur de son état.

  C'était comme si toute vie l'avait quitté. Agenouillé par terre, le dos voûté, les épaules affaissées et les bras ballant, il ne bougeait pas. Plus aucun éclat n'illuminait ses yeux ; toute expression avait été arrachée de son visage. Avec sa peau d'une pâleur anormale rendue scintillante par une fine couche de transpiration, on aurait cru une poupée de cire. Aussi belle que terrifiante.

  –Kalor ?

  Il n'eut pas la moindre réaction. C'était à peine s'il respirait. Des larmes envahirent mes yeux. Pantelante, je balayai la pièce des yeux, repérant difficilement les différents Lathos à travers le voile humide devant mes prunelles. J'étais dans un tel état que je n'arrivais pas à déterminer d'où provenait le fredonnement à l'origine de son apathie.

  –Arrêtez de chanter... Je vous en prie ! Arrêtez de...

  Le Marquis me donna un coup à l'arrière du genou. Je m'effondrai dans un cri.

  –Heler, viens la tenir. Mais méfie-toi, elle a du mordant.

  –Voulez-vous que je la soigne ? demanda l'homme.

  –Non. Puisqu'elle est dans cet état autant s'en servir.

  Le Lathos acquiesça et vint nous rejoindre. Dès que l'étau du Marquis faiblit pour passer la main à son sbire, je tentai de me relever, de lui glisser entre les doigts pour rejoindre Kalor. En vain. Percevant mes intentions, le chef de la Cause me broya le haut du trapèze, m'immobilisant comme une chatte immobilise ses petits en les prenant par la peau du coup. Mes muscles se crispèrent tant sous sa poigne que le sang se remit à couler de mon flanc. Je sentais sa chaleur se répandre sur ma peau et mon corsage. Le Marquis ordonna ensuite aux deux femmes de tenir Kalor tandis que lui-même s'installait sur un fauteuil entre nous deux. L'absence de réaction de Kalor, lorsqu'elles le saisirent, me comprima la poitrine.

  –Bien, sourit le Marquis, tu peux arrêter de chanter, Tove.

  La Sirène s'exécuta aussitôt. Un horrible silence retomba dans la pièce, si profond que tout le monde pouvait entendre mon pouls devenu fou.

  Face à moi, une étincelle de vie se ralluma sous le voile qui couvrait les yeux de Kalor. Il cilla plusieurs fois, l'air toujours hagard, comme s'il se réveillait d'un mauvais rêve ou après une courte nuit. Puis il se remit à bouger, se redressant, tournant la tête de droite à gauche.

  Jusqu'à ce que son regard se pose sur moi et qu'il se pétrifie d'effroi.

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