Chapitre 96 - Partie 5
–Et pour le soutien direct ? s'enquit Magdalena en me rinçant les cheveux.
Kalor bondit sur cette question pour éviter de répondre à celle que personne n'osait poser. Nous avions en effet besoin de personnes qui savaient vraiment pour quoi et contre qui nous nous battions. Des Lathos, puisque nous avions peu de chance de trouver du soutien chez des humains. Kalor en avait déjà trois en vue : ceux qui avaient cherché à protéger Nicholas en pensant qu'Alaric lui voulait du mal. Magdalena en avait identifié deux, dont un soldat. Mon mari pensait aussi que nous pourrions trouver de l'aide chez des Lathos qui étaient allés à l'encontre des valeurs de la Cause et en avaient payé le prix, en particulier ceux qui avaient eu la folie de se marier avec un humain. Tous n'accepteraient pas – certains étaient trop brisés depuis –, mais il avait quelques noms. Nous pourrions également tenter notre chance avec les partisans les moins fervents, ceux qui avaient uniquement rallié la Cause car c'était la seule à se battre pour la fin des exécutions. Ces derniers souhaitaient juste ne plus craindre pour leur vie et ne se considéraient pas comme supérieur. Certains devaient même être proche d'humain qu’ils ne voulaient pas voir souffrir. Et pour finir, Kalor nous parla de Lathos, dans l'Ouest du pays, qui avaient stoppé plusieurs exécutions.
–J'ignorais aussi tout de leur existence, précisa-t-il devant nos airs interrogateurs. Mon père ne m'avait pas mis dans la confidence et je n'en ai eu vent qu'à notre arrivée à l'abri, lorsqu'il les a cités dans un accès de colère. Je ne les avais pris en considération au début, parce que je pensais qu'ils s'en prenaient à l'exécuteur et aux spectateurs. Mais ce n'est pas le cas. Quand j'ai interrogé mon père à leur sujet, il m'a avoué qu'ils n'y avaient jamais eu aucune victime à déplorer. Le capitaine Bellyski a même admit que le seul d'entre eux à s'être jamais tourné contre la foule a été arrêté par l'un de ses acolytes. Leur zone d'action est trop loin du palais pour que je m'en charge moi-même, mais si je trouve un moyen de contacter Alaric...
–Il est sur le toit, lâcha Magdalena. (Nous écarquillâmes les yeux.) Il y est chaque nuit depuis l'attaque, afin de savoir ce que vous attendez de lui, Altesse.
Kalor ferma les paupières dans une lente inspiration.
–Sur le toit ? répéta-t-il. Alors qu'il est l'ennemi numéro un de Talviyyör ?
–C'est la cachette idéale, contra Magdalena. Personne ne s'attend à ce qu'il soit ici.
Kalor marmonna dans sa barbe avant de jeter un œil en direction de la porte, puis un regard hésitant vers moi. Magdalena l'enjoignit de retrouver son ami au niveau du balcon ; il devait lui parler et nous avions fait le tour de la situation. Kalor n'était toujours pas à l'aise à l'idée de me laisser, mais il finit par redescendre les jambes de son pantalon, récupérer chaussette et chaussure, et quitter la douche et la salle de bain.
Une tension que je m'étais forcée d'ignorer depuis que nous nous étions isolés entre ces trois murets libéra mes muscles. La perspective de devoir me déshabiller entièrement et me laver en sa présence m'avait angoissée tout au long de notre conversation. Je savais pourtant qu'il se serait détourné quand je le lui aurais demandé. Mais je n'avais eu de cesse de l'imaginer jeter un coup d'œil en biais, ou faire volte-face à cause d'un bruit suspect et découvrir ma marque.
La honte se mêla à mon soulagement, m'enserra la poitrine. Une sensation de brûlure naquit au niveau de ma tache de naissance et de mes paumes. Alors que Kalor se battait pour son pays et était prêt à révéler sa nature en cas de besoin, je m'inquiétais toujours pour mes secrets. J'avais beau me dire que c'était à cause d'Alexandre et Éléonora, au fond de moi, je savais que ce n'était pas – ou plus – entièrement vrai. Autrement, j'aurais au moins parler de mes étranges pouvoirs, qui ne concernaient en rien mes enfants. Leur révélation ne risquait donc pas de les mettre en danger et pourrait au contraire nous être utile dans notre lutte contre la Cause. Mais mes pouvoirs me désignaient comme le cauchemar des Lathos. Quant à mon crime, il remettait en question mon mariage ; j'étais censé être l’épouse de Kalor, mais j'étais en réalité bien plus liée à Arès. Je lui avais appartenu le temps d'une nuit, l'avait laissé me faire femme, avait porté et donné la vie à ses enfants...
Quel homme voudrait d'une telle épouse ?
Oui, je pouvais me leurrer autant que possible, ce n’étaient plus tant mes enfants que j'essayais de protéger avec mes mensonges. J'étais terrifiée de ce que je deviendrais aux yeux de Kalor.
L'hôte d'un monstre qui avait juré d'éradiquer les siens.
Une criminelle qui se prétendait sienne et partageait sa couche sans aucun scrupule.
Une menteuse lâche et égoïste qui ne lui avait jamais fait confiance et préférait dissimuler sa nature pour assurer sa propre sécurité plutôt que de l'utiliser pour aider les autres.
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