Chapitre 99 - Partie 2

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  –Pour en revenir à votre gendre, reprit César, ce sauvetage in extremis et violent, en plus de son enlèvement, n'ont pas laissé votre fille indemne et la pression lié à notre séjour ne l'a en rien aidée. Pour ne pas vous mentir, elle n'allait vraiment pas bien. Même si elle faisait tout pour le cacher, nous étions nombreux à le voir. Son mari n'y faisait exception et il ne l'a pas laissé affronter ses démons seule. Qu'il s'agisse d'une fatigue passagère, d'un pic d'angoisse, ou d'une crise de panique, il était là pour l'aider, à l'écoute de ses besoins... Mais plus que cette prévenance et cette tendresse, c'est sa réaction, lorsqu'il nous a annoncé la disparition de votre fille et qu'il attendait que son père l'autorise à se lancer à sa recherche qui m'a fait comprendre à quel point il tenait à elle. Vous auriez dû le voir, Giulia... J'ai vu nombre d'hommes se surpasser, parfois réaliser l'impensable pour leur famille, en particulier lorsque celle-ci est menacé. Mais lui ? Une telle fureur et un tel désespoir brûlaient dans ses yeux que j'ai bien cru qu'il mettrait le ciel à feu et à sang si son père ne l'autorisait pas à partir. Il aurait défié Dame Nature elle-même si elle s'était mise en travers de sa route et j'ignore si elle aurait pu l'arrêter.

  Je plissai les yeux, plus intriguée que je ne l'aurais admis. César n'était pas homme facilement impressionnable. Alors pour que le Prince Kalor lui ait laissé une telle impression, j'osai à peine imaginer à quel point la rage avait dû le consumer. Mais était-ce bien son amour pour Lunixa qui l'avait fait réagir de la sorte, ou était-il juste furieux qu'un autre lui ait dérobé cette femme qui lui revenait de droit, l'un de ses biens au cœur qui bat ? Certaine personne ne supportait pas que l'on touche à leurs affaires.

  Devant ma méfiance, l'ébauche d'un sourire revint détendre le visage de César.

  –Comme toujours, des belles paroles ne vous suffisent pas, s'amusa-t-il. Ce n'est rien ; si j'étais à votre place, je voudrais aussi m'assurer moi-même du bien-être de ma fille... Heureusement, vous devriez en avoir l'occasion plus tôt que vous ne le pensez.

  Mon regard s'étrécit encore.

  –Que voulez-vous dire ?

  Son sourire sortit enfin de l'ombre.

  –Lisez les lettres, Giulia. (D'un mouvement fluide, il remonta sur son étalon.) Et prenez bien soin de vous. Sans vouloir paraître grossier, vous me semblez fatiguée.

  Et alors qu'il allait s'élancer sans plus de cérémonie, des piaillements joyeux nous parvinrent soudain. César suspendit son geste et se tourna dans leur direction tandis que je me raidissais. S'il pouvait passer outre la ressemblance entre Lunixa et sa mère, il ne pourrait ignorer celle qui existait en plus entre Alexandre et son oncle.

  J'ouvris la bouche pour interpeller le Général, détourner son attention des enfants, mais avant que le moindre mot ne franchisse mes lèvres, ses épaules se relâchèrent comme jamais je ne les avais vu faire.

  –Ils ont l'air en pleine forme, murmura-t-il après quelques secondes.

  –Ils le sont.

  Il hocha la tête et l'espace d'un instant, si bref qu'un battement plus tard, il m’adressait ses salutations et élançait sa monture sur le chemin de gravillon qui reliait le manoir à l’entrée du domaine, un air mélancolique passa sur son visage.

  Je l’observai s'éloigner jusqu'à ce qu'il eut disparu au détour d'une courbe, puis restai là encore un moment, à fixer l'allée, me rejouant ces dernières secondes en sa compagnie.

  De nouveaux éclats de voix enfantins me ramenèrent à l'instant présent. Après un dernier regard dans leur direction, je regagnai le manoir, puis allai m'isoler dans mes appartements, où, assise à mon bureau, j'ouvris la lettre de Lunixa.


  Giulia,

  Je suis navrée.

  Si tu savais comme je m'en veux de t'avoir inquiétée avec mon silence. Je n'ai jamais eu l'intention de te garder dans le noir de la sorte, mais je ne trouvais pas la force de vous écrire. J'avais honte.

  Honte de n'avoir pu échapper à ce mariage, alors que tu m'avais chargée de convaincre le Roi Odin que je n'étais pas la bonne candidate.

  Honte d'avoir fini par me complaire dans cette union qu'on m'a imposé.

  Honte de m'y épanouir.

  Honte de me sentir heureuse, alors que vous êtes si loin.

  Honte d'avoir ouvert mon cœur à cet homme auquel je n'aurais pas dû m'attacher...

  Car voilà la vérité que tu m'as demandée, Giulia. Dans mon malheur, j'ai eu la chance de tomber sur un époux incroyable. Lui non plus ne voulait pas de ce mariage et nos débuts ont été des plus difficiles. Pourtant, il m'a toujours respecté, a toujours été présent à mes côtés, a toujours pris soin de moi... Et petit à petit des sentiments sont nés, en chacun de nous, et j'ai été incapable d'étouffer les miens. À présent, je ne peux poser les yeux sur lui sans sentir mon cœur se gonfler de bonheur, et jour après jour, Kalor me prouve qu'il en est de même pour lui.

  Je l'aime comme jamais je n'avais pensé aimer un jour un homme et je n'osais te l'avouer. J'avais l'impression de vous trahir, de lui donner la place qui vous revenait dans mon cœur. Je ne pouvais supporter d'imaginer ta déception en apprenant que je n'avais pas été à la hauteur de tes attentes, que votre absence ne m'empêchait pas de sourire. Couper les ponts me paraissait mieux.

  Je me rends compte de mon erreur, à présent. J'aurais dû t'écrire tout de suite pour te rassurer, vous donner de mes nouvelles, prendre des vôtres... Je ne m'étais pas rendu compte à quel point nous en avions tous besoin avant de lire ta lettre. Déesse, voilà que j'ai de nouveau les larmes aux yeux rien qu'en y repensant. Merci de m'en avoir donné, d'avoir joint ce dessin et cette photo, d'avoir fait ce premier pas que la peur m'empêchait d'esquisser. Vous me manquez toujours cruellement, mais je me sens un peu plus proche de vous, désormais. Apprendre qu’Alexandre et Eleonora se sont mis à la musique me remplit d'une joie indescriptible. Je les imagine dans la salle de musique, Alexandre cherchant à bien positionné ses doigts sur les touches, ses pieds se balançant bien au-dessus des pédales, et Eleonora trépignant à ses côtés en attendant qu'il soit prêt, tandis que tu les observes depuis la porte, les bras croisés et une épaule appuyée au chambranle, comme tu le faisais chaque fois que tu venais m'écouter. Je vois leur sourire débordant de joie quand ils se lancent, la fierté dans leur regard, ce même éclat qui s'allume dans tes yeux... Lorsque je ferme les miens, j'ai presque l'impression d'être présente avec vous. Même si je sais que je n'en aurais jamais l'occasion, je sens la plaie due à notre séparation s'atténuer, l'étau qui comprime mes poumons se desserrer...

  J'espère qu'il en est de même pour toi, maintenant que tu sais enfin que je vais bien, et que tu cesseras de te blâmer pour ma situation. Car tu n'en es en rien responsable. Voilà la dernière raison pour laquelle j'aurais dû t'écrire au plus vite : te dire de ne pas t'en vouloir. Les pions avaient déjà été déplacés lorsque nous avons été ajoutés à la partie. Nous ne pouvions plus rien faire pour revenir au coup précédent. Ni toi, ni Kalor, ni moi. Alors s'il te plaît, arrête de t'excuser. Tu n'as rien fait de mal. Tu as au contraire toujours été là pour moi et je sais que tu le seras aussi avec les jumeaux. C'est d’ailleurs pourquoi, conformément à ce que tu m'as demandé dans ta lettre, je t'autorise à leur dire la vérité. Mais je t'en prie, dis-leur qu'il ne se passe pas un jour, pas une heure, pas une minute, pas une seconde sans que leur visage ne m'accompagne. Je ne veux pas qu'ils pensent que je ne les aime plus, que je les ai abandonnés. Ils vont déjà tant en souffrir... Pour t'aider dans cette tâche, leur prouver que je pense toujours à eux, de nombreux présents devraient accompagner cette lettre et la dernière page leur est destiné. Si cela ne suffit pas, s'il te plaît, ne les laisse pas sécher leurs larmes seuls. Tu es tout ce qu'il leur reste.

  Concernant Francesco... je te laisse juge de la situation. Je suis trop fatiguée, trop concernée, pardon, pour avoir un avis objectif.

  Dame Nature, j'ai encore tant de chose à te dire, plus de détails sur ma nouvelle vie, mon nouveau pays, ma nouvelle famille. Hélas, le temps me manque si je veux pouvoir confier ces mots au Marquis Marcus. Je te conterai tout cela dans une prochaine lettre qui, je te le promets, arrivera bien plus vite que celle-ci.

  D'ici là, j'espère que tu retrouveras le sommeil, vous transmets tout mon amour et m'excuse encore pour mon silence. Vous me manquez tant... Kalor a beau réchauffé mon cœur, il ne pourra jamais vous remplacer et mon dernier souhait est bien de vous faire souffrir. Alors prends bien soi de toi et des petits. J'attends de vos nouvelles avec impatience.

  Et merci, Giulia, pour tout. Pour cette lettre, ce soutien que tu m'offres encore, ce rôle que tu acceptes d'endosser envers Alexandre et Eleonora... Cette vie que Marco et toi nous avez offert, alors que je pensais n'avoir plus d'avenir et ne songeait qu'à en finir. Nous n'aurions pu rêver de meilleurs parents.

Ta fille, Lunixa.

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