Aller simple (1986)

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Quand je pense que j’ai failli le rater ! Quand je suis arrivé sur le quai, le contrôleur sifflait en agitant son drapeau. Je suis monté par la première porte et j’ai dû remonter toute la rame.

Voiture 15, place 58 ! Ouf ! Le compartiment est plein, sauf MA place, près de la fenêtre. Je trouve un petit creux pour ma petite valise, en ayant dérangé tout le monde et je peux enfin m’asseoir. Il est en face de moi. Je reste bouche bée. Son visage, légèrement bronzé, est régulier, viril. Un nez fin, des lèvres harmonieuses, une mâchoire bien dessinée, donnant un rectangle parfait. Sa mèche en épi monte et retombe. Des yeux d’un bleu profond. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi magnifique. Contrairement aux beaux gosses habituels, il n’affiche pas cet air imbécile et satisfait.

J’ai dû l'obesrver trop intensément, car je le sens gêné. Rouge de confusion, j’attrape mon livre pour me plonger dedans. Je sais que j’ai le mec le plus sublime en face de moi, celui que je voudrais être, et que je ne peux pas le regarder. Il doit avoir quelques années de moins que moi, je dirais vingt ans à peine. Au-dessus de mon livre, je le détaille sans bien le discerner, dans cette périphérie floue de ma vision. Il est habillé avec classe et avec soin. Des vêtements coûteux, apparemment. Très élégant.

Pourquoi m’intéressé-je à ce jeune homme ? Je n’ai jamais regardé de garçon ! Qui s'intéresse à un timide renfermé comme moi, sans aucun intérêt ? Il semble tellement à l’aise. Pourquoi le peut-il, lui, dans sa beauté, alors que cela m’est interdit, dans ma banalité et ma gaucherie ?

***

Qui est ce mec ? Il arrive en retard, bouscule tout le monde sans s’excuser ! En plus, il m’a regardé comme s’il voulait me dévorer. Je n’ai jamais été examiné, détaillé comme ça. Heureusement qu’il s’est mis dans son bouquin et ne s’intéresse plus à moi. Il doit avoir dans les vingt-cinq ans, un peu moins. Il a l’air sympathique, mais il est comique. D’abord, il est habillé n’importe comment, sans goût et sans recherche. Pourtant, je ne crois pas qu’il soit encore étudiant. Il a l’air intelligent, ses yeux le montrent. Mais comment peut-on être coincé à ce point ? Ça lui donne un côté attachant. On a envie de prendre soin de lui. Zut ! Je n’ai rien à lire ! Il a deux journaux dans sa poche. C’est surement un intellectuel, quand on voit les titres ! Je pourrais lui en emprunter un, cela permettrait de faire connaissance.

Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi voudrais-je connaître ce type bizarre ? Je vais essayer de dormir.

***

J’ai tellement envie de le connaître ! Peut-être pourrions-nous devenir amis ? À ses côtés, je ne sais pas, mais je me sentirais plus fort. La vie doit être si facile, si évidente pour lui. Jeune, beau, riche, intelligent. En plus, il doit être gentil, il a un air doux. Je ne peux pas lui adresser la parole, essayer de faire connaissance, devant tous les autres. De toute façon, je ne me vois pas aborder un inconnu, même si nous n’étions que tous les deux en plein milieu du Sahara. Il semble s’être endormi. Je peux le regarder maintenant. Oh, là là ! Il est vraiment parfait ! Ses longs cils sur ses paupières ! On ne voit pas sa barbe, c’est vrai qu’il est blond. Ou alors, il est plus jeune qu’il ne parait. J’espère qu’il n’est pas mineur : on ne pourrait pas se connaître.

Il a croisé ses jambes. Il a des chaussettes magnifiques, blanches avec des losanges bleus. On aperçoit son mollet, couvert de poils blonds. Il faut que j’arrête de regarder, cela m’excite ! C’est incroyable ! Jamais je n’ai… Encore une fois ! J’ai tellement envie de le connaître !

***

Au travers de mes paupières, je vois qu’il m’observe. Je suis touché, car jamais je ne me suis senti admiré comme ça, en dehors de maman, bien sûr ! Je ne sais pas ce qu’il me trouve, car je n’ai rien d’extraordinaire. C’est incroyable comme il a changé. Je le trouve séduisant maintenant. Un coup de peigne, un pull qui ne ressemble pas à un sac, une vraie chemise et il aurait du charme. Bon, il faut que j’arrête de m’intéresser à ce mec.

***

On va bientôt arriver. Nous n’avons pas échangé une parole. Il va descendre et disparaître, ce n’est pas possible. Il faut que j’aie son adresse, son téléphone, son nom… Comment faire ?

***

On arrive dans cinq minutes, vient de dire le contrôleur. C’est sans importance, mais je voudrais bien que nous puissions nous rencontrer, plus tard, calmement. Je suis sûr que c’est un mec formidable, une fois la coquille brisée.

***

— Pardons, je vous en prie !

— Non, non, allez-y !

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