Passage

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Venu par hasard sur ce forum, il y errait, mené par sa curiosité devant tant de variétés.

Un texte l’interpelle par sa grande brutalité : une femme rage contre les viols par son père. Ému, il poste un petit message d’empathie, en profitant pour gommer quelques fautes grossières. Un remerciement, une demande de poursuite des révisions viennent en retour.

Il corrige, mais rapidement, butant sur le sens d’une phrase, il pose une question, puis une autre, déclenchant le récit d’autres abominations. Il se sent indiscret, voire indécent, de forcer involontairement ces révélations. Il se retient, suspend son travail, ne voulant pas forcer ces aveux qui ne le concernent pas. Des sollicitations l’invitent à poursuivre.

Une curieuse relation virtuelle se met en place. Il devine le rôle involontaire qu’il doit assurer, celui d’être l’épaule silencieuse de l’épanchement. Il se garde de réagir, car il sent que la distance est indispensable à la continuation. Il doit rester étranger, pour se protéger, mais également pour ne pas juger, la laisser cheminer librement, au fur et à mesure que les maillons pètent. Il ressent le travail immense qu’elle fait sur elle, son courage pour avancer dans ce blizzard glaçant. Elle se proclame guerrière et le démontre en remontant toutes les vexations, les agressions, les déceptions, les trahisons, les maladies.

Son histoire commence tôt, trop tôt, à l’âge de l’innocence. Avec trop de frères qui ont également participé à cette horreur. Le temps a passé, au travers d’errements, de tentatives d’explication, de religion, la laissant toujours désemparée face à son drame. Une rencontre, puis une autre cassent le carcan. Elle sait que la vie est autre, que le bonheur est possible. Un rayon de soleil, avant de s’incarner dans un rayon de vie. Cependant, tout est encore noué, lancinant, retenant toute libération.

Elle en est là, avec ses premiers textes chaotiques. Il prend les mots de la douleur, l’aide à les mettre en ordre. Pour lui, ce n’est rien. Pour elle, c’est son âme, sa survie. Il se fixe pour seule obligation la permanence, l’inconditionnalité de sa présence. Effort tellement dérisoire par rapport à ce qu’elle opère sur elle-même.

Le récit se met en place dans toute son horreur. Comment survivre après avoir subi tant de choses ? Comment repartir quand le rejet dans la négation est la seule réponse de cette famille ? Il assiste à ce cheminement, ces hauts et ces bas, accompagnant uniquement de son clavier cette souffrance à hurler. Autour d’elle, heureusement, un mari aimant, un fils, un ultime psychologue.

C’est fini. Les textes sont assemblés, publiés. La catharsis s’est produite.

Leurs échanges se sont espacés. Ils n’ont rien en commun, sauf l’essentiel.

Son dernier message l’enchante :

J'ai fait la paix avec mon passé et ma famille. Considérant que je n'ai pas besoin d'eux pour vivre ou être heureuse.

J'ai refusé d'aller voir mon père. Il n’a plus d'emprise sur moi. Et le rejeter m'a donné l'impression d'être plus forte, d'être enfin adulte et sûre de moi.

J'ai pris la décision de laisser derrière moi mon passé, que ce soit la douleur, la peur, la tristesse, la rancœur, le sentiment de manque. Je me sens enfin moi-même, libre, joyeuse, sereine, épanouie à un point inimaginable. Mon mari ne me reconnait plus. Chaque jour, il me prend dans ses bras et m'exprime tout l'amour qu'il a pour la femme que je suis aujourd'hui. Mon regard a changé, plus brillant et pétillant ; mon rire plus fort et vrai. Je suis plein d'optimisme, et entière.

Il fallait, pour finir ce travail, et enfin fermer tous les tiroirs, un « acte ». Je l'ai fait et j'en suis fière.

Voilà mon grand, grâce à notre travail en commun, même si parfois ce fut très dur, JE SUIS VIVANTE.

Lui se demande toujours s’il est digne de cette reconnaissance. Une main tendue à une inconnue, un geste si banalement altruiste, dans la beauté de notre humanité.

Pourtant, dans son cœur, une petite lumière brille : peut-être n’avait-il que cela à faire. Avoir apporté ce réconfort était si facile pour lui, si vital pour elle…

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