Souvenirs
Au bout de la route, qui a désenclavé le village à la fin de la guerre grâce au travail des prisonniers allemands, les maisons s’accrochent à la pente, comme les bruyères mauves sur les schistes un peu plus loin. Trois cents mètres plus bas, le Lot tire sa nonchalance, l'Olt sauvage dompté par les écluses. Plus loin, on devine le Dourdou, dans sa vallée profonde, jaloux de sa Conques. Les versants sont abrupts, le chemin de croix monte vers le clocher. Les sauterelles, grillons et autres cigales chantent le silence du lieu.
Restauré et propret, le hameau montre le monde d’avant, conservé comme un joyau, trompant sur la misère qui régnait, la dureté de ces temps. L’église, minuscule, mélange de baroque du pauvre et de sulpiceries, accueille avec un air de Cleaderman.
Au mur, sur le panneau des Morts pour la France, une trentaine de noms, dont ceux de Célestin, Gabriel et Henri, avec le même patronyme. On imagine alors la mère recevant trois fois la nouvelle : les garçons, sa fierté, morts dans la boue froide de Lorraine ou celle de Picardie. Elle serre les dents, comme d’habitude. Le père ne s’en remettra jamais vraiment. Les deux sœurs partiront.
Un souvenir affiché, pour tous les autres, oubliés.
[La Vinzelle, Aveyron]
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