Chapitre Deux - Celui qui portait un bijou macabre
Lorsque l’inspecteur Ari Johnson arriva sur les lieux du crime, elle fut saisie par le contraste entre l’extérieur et l’intérieur. L’adresse, un petit appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble fatigué mais bien entretenu de Mar Vista, lui avait d’abord inspiré un endroit tranquille. Trop tranquille. Un cocon de verdure où se mêlaient professeurs retraités, anciens vétérans et familles sans histoire. L’immeuble était flanqué, d’un côté, d’un troquet où les habitués refaisaient le monde autour de cafés allongés, et de l’autre, d’un vieux pressing tenu par une famille coréenne. En face, une supérette qui semblait s’être spécialisée dans les produits de première nécessité – conséquence des incendies récents qui avaient ravagé des hectares de forêt et réduit en cendres les demeures de plusieurs stars.
Une impression de quartier bien tranquille, donc. Mais c’était sans compter les voitures de polices aux gyrophares peignant les environs de rouge et de bleu et l’attroupement devant le petit édifice. Une femme trop maquillée, qui avait alerté la police après avoir entendu un vacarme assourdissant chez la victime, échangeait avec un agent qui prenait des notes. Johnson pénétra dans l’appartement, franchissant les banderoles jaunes qui délimitaient un périmetre de sécurité, et l’impression de quartier paisible disparu soudain. L’intérieur semblait avoir été retourné comme un gant. Meubles renversés, tiroirs vidés, coussins éventrés dont la mousse s’éparpillait comme des flocons sales… L’air était chargé d’une odeur de renfermé et de poussière, mêlée à quelque chose d’indéfinissable, plus âcre. Le silence, pesant, était seulement interrompu par le claquement du flash d’un agent qui prenait des photos d’ indices, signalés par des marqueurs jaunes éclatants, tranchant avec la pénombre étouffante de la pièce. Et au centre de ce capharnaüm, la victime : un homme âgé, ratatiné sur le sol, les bras en croix. Son visage cireux fixait le plafond, figé dans une expression qu’Ari ne parvenait pas encore à décrypter. Le docteur Eliott Young, penché sur le pauvre homme, releva la tête lorsqu’il perçut les pas calculés d’Ari, qui essayait d’évoluer dans tout ce fatras sans rien écraser.
— Salut doc, déclara-t-elle… Qu’est-ce qu’on a ?
— Inspecteur… Je vous présente Alfred Pettigrew, quatre-vingt deux ans. Il a été étranglé à l’aide d’un lien, ou quelque chose de semblable. Je n’ai pas encore établi l’heure de la mort…
— Qu’est-ce qu’on sait de lui ?
— Pas grand-chose… Apparemment, c’était un petit monsieur tranquille. Il ne sortait presque jamais. On a trouvé un passeport anglais.
— Ok… Il va falloir trouver quelqu’un qui le connaissait un tant soit peu… Peut-être de la famille… J’imagine que c’est un cambriolage…? demanda Ari en regardant autour d’elle.
— Et bien, il semblerait que non… Il y a des objets de grande valeur ici et là. Des livres anciens, surtout des traités en geo-politique… Le coffre a été forcé, mais il est toujours rempli de liasses de billets et d’objets rares. Par contre, regardez…
Le médecin légiste prit la main du mort et la tendit vers l’inspecteur. Elle se pencha et vit que le cadavre portait une chevalière. Le doigt portant le bijou pendait mollement et était gonflé, violacé.
— Je pense que l’assaillant a essayé de lui retirer cet anneau, déclara Young. Tant et si bien qu’il lui a déboîté le doigt, mais la chevalière est toujours là.
— Il y a comme une gravure…
— Oui, c’est assez original. C’est un crâne orné de pattes d'araignée. Et autour, nous avons une inscription en latin : «Tenebris teximus, flamma servamus ».
— Je n’ai jamais été douée en latin, doc…
— « Nous tissons dans l'obscurité, nous préservons par la flamme. »
— Heu… Ok. C’est plutôt flippant.
— Au contraire, personnellement je trouve ça incroyablement excitant.
— Ne vous emballez pas trop, c’est peut-être un bijou qu’il a commandé sur un site chinois.
— Je préfère penser que tout ceci sent le mystère à plein nez.
Ari se redressa, plissant le nez.
— En parlant de sentir… Qu’est-ce que cette odeur… On dirait… de l’essence ??
Young indiqua un coin de la pièce.
— Oui, il y a une flaque de carburant dans le coin de la pièce, là-bas.
— L’assaillant aurait essayé de mettre le feu…?
— Je pense aussi. Mais il n’en a pas eu le temps.
Ari contempla la pièce, essayant de comprendre ce qui s’était passé.
— Donc… On a un homme âgé, seul, apparemment sans histoire, mais collectionneur d’objets précieux… Il est retrouvé étranglé. Son appartement retourné, ses objets précieux laissés sur place… Et une tentative d’incendie… Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils cherchaient ?
— A mon avis, répondit Young en montrant la chevalière, ça a un rapport avec cette petite araignée.
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