À bord du vol British Airways en provenance de Londres, Percival Pendleton regardait par le hublot le sol californien, encore défiguré par les incendies qui avaient ravagé Pacific Palissades et une bonne partie des montagnes de Santa Monica. L’étendue des dégâts ressemblait à une vaste tache sombre brisée çà et là par des grues, témoignage que, même après l’enfer, Los Angeles se relevait.

Il fut tiré de ses pensées par l’hôtesse de l’air qui lui tendait une coupe de champagne, un sourire suggestif aux lèvres. Percy connaissait l’effet qu’il avait sur les femmes. Ses cheveux noirs, bouclés, et sa moustache lui donnaient un air latin, quelque part entre la désinvolture d’un aventurier et l’élégance d’un dandy. Grand, affûté, il dégageait à la fois une force brute et une grâce féline. Il savait en jouer, choisissant toujours ses tenues avec soin. Il était toujours impeccable. Élégant. Irréprochable. Se la jouait-il un peu James Bond ? Mais oui, voyons ! Carrément ! Il pouvait se le permettre. Jeune agent du MI6, il était, lui aussi, un espion au service de Sa Majesté.

C’est d’ailleurs ce qui l’amenait dans la Ville des Anges. Une affaire de meurtre avait fait sonner une alarme à Vauxhall Cross*. Quelqu’un avait fouillé des dossiers un peu trop sensibles et ses supérieurs l’avaient chargé d’intervenir. Officiellement, il endosserait le rôle d’un simple agent diplomatique venu superviser l’enquête. Officieusement, il avait l’autorisation de tout faire — tout — pour protéger les intérêts britanniques. Il savait que certains, surtout au FBI, se méfieraient de ce rosbif dans son costume propret. Il devait être prudent. D’autant plus qu’en feuilletant le compte-rendu, il avait vite compris que l’affaire était risquée. Très risquée. Il y a des secrets que les gouvernements enterrent profondément. Ceux-là, s’ils venaient à émerger, ne pouvaient tomber entre n’importe quelles mains.

Sinon, ce serait l’Apocalypse.

À peine descendu de l’avion, Percival ne perdit pas de temps. Il héla un taxi qui l’emmena en direction de l’hôtel, où une chambre l’attendait au nom de Arthur Roundtable**, petite boutade de la part de John Flanagan, son supérieur, qui ne ratait pas une occasion de se moquer de son prénom, issu des légendes du Roi Arthur et des Chevaliers de la Table Ronde.

Le père de Percy, Alistair Pendleton, propriétaire des banques du même nom, n’avait pas choisi ce prénom pour les mêmes raisons. Il était un grand admirateur de Thomas Percival, médecin du dix-huitième siècle connu pour ses idées avant-gardistes sur la santé publique, et espérait que Percy prêterait le serment d’hypocrate et deviendrait, lui-même, un grand médecin. Mais Percy avait de plus grandes ambitions. Plutôt que de sauver des gens, il voulait sauver le monde. Très tôt, il défendait les plus faibles. A dix-huit ans, au lieu de commencer des études de médecine, il postula pour entrer au MI6. Il passa les entretiens et autres tests avec brio et fut rapidement envoyé plusieurs mois en formation à Lympstone. Il en sortit avec les honneurs, détenteur du Béret Vert et du titre de Marine d’élite.

Ses recruteurs furent éblouis de ses résultats lors des missions d’infiltration, notamment en zones de conflits. Il fut évident que Percy était fait pour le métier. Efficace, rapide et sans pitié. Et en plus, il présentait bien. À vingt-sept ans, il entama les tests rigoureux pour entrer officiellement au MI6. Explosant les scores, il devint un expert pour manipuler, gagner la confiance, se fondre dans la masse. Les recruteurs ont rarement rencontré un individu aussi parfait pour le job. Peut-être même trop parfait.

En arrivant au siège du LAPD, cette après-midi là, Percy était prêt à jouer son rôle à la perfection. Comme d’habitude.

* Siège du MI6, à Londres

** Arthur TableRonde