Chapitre Huit - Celui qui devait faire ses preuves
Assis à mon bureau, j’essayai de me concentrer sur les images de vidéosurveillance concernant une affaire de suspicion de vol dans une entreprise. Le patron pensait que sa fille se servait régulièrement dans la caisse. Il ne voulait pas de problème pour elle, raison pour laquelle il avait fait appel à nous, plutôt qu’à la police. Si c’était bien sa fille qui le dépouillait, il voulait régler le souci en famille, pour l’aider plutôt que la condamner.
Manolo était assis à côté de moi, un peu en retrait, massif et silencieux comme une tour. J’étais censé le former, lui apprendre les ficelles du métier. Mais je n’arrivais pas à m’enlever de la tête qu’il avait participé à l’enlèvement et la séquestration de Liv, et qu’il nous avait poursuivi, Vince et moi, dans le but de nous éliminer. Toutefois, je me souvenais aussi de ma sœur, me disant que Manolo avait pris soin d’elle et qu’il avait trahi son patron et risqué sa vie pour la sauver. Je me suis subitement senti coupable. Qui étais-je pour le juger ? Moi aussi, j’avais eu affaire à la justice. Moi aussi, j’avais commis des choses pas très reluisantes. Je l’ai regardé. Il fallait qu’on mette les choses à plat, sinon jamais je n'aurais pu travailler avec lui.
— Bon, ai-je commencé, hésitant. Manolo… Il faut qu’on parle. Si on doit travailler ensemble, il faut qu’on arrive à se faire confiance. Dans ce boulot, c’est primordial. Mais tu connais notre passé, et il faut qu’on en discute.
Il m’a regardé, sans expression particulière. Il a croisé ses bras massifs et a semblé attendre que je commence. Apparemment, comme moi, il n’était pas enclin aux discussions à coeur ouvert. Il n’allait pas flancher, le bougre. Vu son gabarit, je n’ai pas chipoté. Je me suis lancé.
— Ce qu’il y a, c’est que je n’arriverai pas à te faire pleinement confiance tant que je ne serais pas sûr que cette histoire de Machetes est vraiment derrière toi. Que tu as fait une croix dessus définitivement.
— J’ai trahi Vidal, a-t-il répondu de sa voix rocailleuse. J’ai déserté et je l’ai vendu aux flics. Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?
— Je sais. Liv m’a parlé en long et en large de toi. Tu as pris soin d’elle, tu l’as protégée. tu l’as même sauvée, à ta façon. C’est uniquement pour ça que j’accepte de te donner ta chance.
À la mention du nom de ma sœur, il y a eu une lueur dans les yeux du géant. Il n’a rien dit, mais je l’ai bien vu : il y avait de la tendresse dans son regard. En un instant, le colosse de granit, avec ce visage cauchemardesque et ses énormes mains taillées pour tuer, s’était transformé en être humain capable d’éprouver des sentiments… Se pourrait-il que…?
— Comment va-t-elle ? m’a-t-il demandé.
— Elle va bien, ai-je répondu, le regardant en coin. Elle est retournée à Londres depuis un moment. Il lui arrive de faire des cauchemars… mais en gros, ça va.
Il est resté les yeux dans le vague. Sans doute était-il en train de l’imaginer. Cette idée ne m’a pas plu. Je ne voulais pas que ce… mec s'intéresse à Liv.
— Bon, ai-je dit pour le ramener à la réalité. Écoute, ça prendra un peu de temps, mais je crois qu’en y mettant chacun du nôtre, ça peut marcher. Deal ?
Je lui ai tendu la main. Il l’a fixée de ses yeux cernés d’encre noire, semblant hésiter, puis l’a saisie. L’étau de ses doigts s’est refermé sur les miens, mais il n’a pas forcé. C’était sa façon de montrer sa bonne volonté.
— Ok, ai-je repris, tentant de cacher que sa force m’avait impressionné, et si tu me disais ce que tu sais faire ?
Manolo garda le silence un moment, semblant réfléchir.
— Comme te l’a dit Vince, je connais les habitudes et les activités des gangs de ce secteur. Les V13, SM13, Black P Stones… J’ai même des connaissances chez les Bloods, mais à mon avis, ils ont appris que j’ai lâché Los Machetes. Donc si vous voulez que je reprenne contact avec eux, c’est mort… Sinon, inutile de dire que je connais les meilleures techniques en combat rapproché et en utilisation d’armes en tous genres.
— Heu, ok, ai-je répondu. Mais hors de question d’attaquer ou de tuer qui que ce soit, hombre. Et avec ton apparence… hors norme, ça va être compliqué de t’envoyer en filature. Tu te ferais tout de suite repérer…
Manolo sembla réfléchir profondément. Puis il leva les yeux sur moi.
— Quand je suis arrivé de Colombie, j’avais pas un rond… J’étais plus jeune, j’avais vraiment peur de rien. Alors je me suis fait embaucher comme cascadeur pour des films à petit budget, à Hollywood. C’était surtout pour des scènes de course-poursuite en voiture…
— Attends, quoi !? l’ai-je coupé. Tu es en train de me dire que tu es bon en conduite rapide ?
Il eut un sourire en coin.
— Mieux que ça… J’étais le meilleur. A un tel point que plus tard, des gars sont venus me trouver. Ils avaient un job pour moi, qui paierait bien plus. Je me suis retrouvé, à seulement vingt-trois ans, dans une bande qui braquait des banques, des commerces. J’étais le chauffeur. Et on ne nous a jamais arrêtés. Tu connais Drive, le film avec Ryan Gosling ? Et bien, à côté de moi, ce mec est un amateur.
J’ai regardé Manolo. Je lui ai rendu son sourire. Je savais maintenant pourquoi Vince l’avait engagé.
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