Chapitre Treize - Celui qui avait un problème avec l’Alaska

4 minutes de lecture

Cela faisait déjà presque une heure que l’homme en noir attendait sa cible. La nuit était tombée et la lune s’était parée d’un voile de nuages, comme un linceul de mystère. Le calme régnait sur les environs, seulement bercé par le chant régulier des grillons et la brise dans les arbres environnants. Installé dans un massif de buissons épais, sur une colline surplombant Beachwood Canyon, l’homme jouissait d’une vue générale sur l’appartement de Charles Jeffreys, doté d’une large baie vitrée. Enfin, le vieil homme était revenu chez lui, et l’homme en noir avait décidé de l’observer un peu avant d’entrer en action.

Il vit Jeffreys s'asseoir dans un petit fauteuil et allumer la télévision. Sur une desserte à côté de lui, le vieillard saisit un verre et ce qui ressemblait à une bouteille d’ alcool. Du whisky, peut-être. Soudain, le verre lui échappa des mains mais il le rattrapa avec une vivacité peu commune. L’homme en noir se dit alors que le bonhomme semblait encore en forme pour son âge. Après tout, Charles Jeffreys avait été un agent d’élite dans sa jeunesse. Ses mains avaient tué plus d’une fois, souvent pour les intérêts de l’Angleterre, parfois pour de plus sombres raisons. Ça, l’homme en noir le savait. Lorsque l’Anglais l’avait mis sur cette mission, il avait jeté un œil sur le dossier du vieil homme, et il avait eu la confirmation que Jeffreys avait participé au massacre. Mais ce n’était pas pour cela qu’il se chargerait de son cas aujourd’hui. Le plus important, c’était le microfilm. L’homme en noir espèrait vraiment qu’il le retrouverait dans cet appartement. Sinon, il devrait se taper New-York, ou, pire, Talkeetna, un coin perdu en Alaska. Il ne voulait pas aller en Alaska. Tout, mais pas l’Alaska.

L’homme en noir décida qu’il était temps de bouger. Il saisit son sac de mission contenant de quoi effacer les preuves de son passage. Il repensa immédiatement à sa mission de Mar Vista. Quel fiasco. Non seulement il n’avait pas réussi à retirer l’anneau du doigt boudiné de Brisbane, mais il avait dû prendre la fuite avant d’avoir pu mettre le feu à l'appartement. Cette satanée voisine, le genre mêle-tout, en peignoir rose, avec sa tronche peinturlurée et mâchant du chewing gum, qui s’était pointée trop tôt, son téléphone à la main… Bref. Il ne commettrait pas la même erreur. Il ne voulait pas s’attirer les foudres de l’Anglais.

Il se dirigea à pas feutrés, avec l’agilité d’un chat, jusqu’au pied de l’immeuble. Jeffreys vivant au premier étage, il n’eut aucune difficulté à atteindre le balcon. Il risqua un œil avant de franchir le parapet en béton recouvert de revêtement couleur sable. Le vieux s’était endormi, la bouche ouverte, son verre penchant dangereusement dans sa main posée sur l’accoudoir. La lueur bleutée de la télévision était la seule source de lumière dans la pièce. L’homme en noir enjamba le muret et, accroupi, exerça une poussée pour essayer d’ouvrir la fenêtre. Bingo. Le châssis glissa sans difficulté, libérant le passage vers sa proie.

Le vieux dormait encore quand il pénétra dans la pièce. Une vague odeur de curry flottait dans l’air, mais l’appartement était bien rangé et moins encombré que celui de Mar Vista. L’intrus balaya la pièce du regard, essayant de repérer un endroit où quelque chose comme un microfilm pourrait être caché, tout en se disant qu’un objet si petit pourrait se trouver n’importe où. Il se senti soudain observé et baissa le regard pour s'apercevoir que Jeffreys le regardait avec des yeux ronds.

— Mais qu’est-ce que vous… !? commença le vieil homme.

— Où est le microfilm ? asséna l’homme en noir.

Le vieux tressaillit en entendant la question, puis il fronça les sourcils.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, petit…

L’intrus roula les yeux, excédé et récita :

— Charles Bradley Jeffreys, né à Birmingham le dix-sept juillet 1942. Membre du SAS de 1964 à 1969, puis recruté au sein du MI6 où vous finirez par rejoindre le groupe Tarantula, de 1972 à 1989, date de la dissolution du groupe. Vous avez ensuite été déplacé ici, car le gouvernement britannique devait vous cacher, suite à certains incidents ayant provoqué la chute des Tarantulas. Depuis, vous vous cachez ici, sous le pseudonyme de Mark Vernon. Mais je vous ai trouvé.

Jeffreys ne répondit rien. Il ne sembla même pas étonné par le discours de l’inconnu qui se trouvait face à lui. Il n’était plus un simple vieillard, à cet instant. Il était un ancien mercenaire qui faisait face à ce qu’il attendait depuis des années.

— Alors, comme ça, Lockwood m’a retrouvé.

L’homme en noir ne répondit rien. Jeffreys se resservit un verre. Un parfum suave de whisky, mêlé à une touche de miel, monta dans les narines de l’intrus.

— Je savais que ce moment arriverait, continua-t-il. Ce sale traître est donc toujours vivant. J’imagine qu’il t’a chargé d’éliminer les derniers Tarantulas, en plus de retrouver ce microfilm ? A qui veut-il le vendre ? Aux Chinois ? Aux Russes, peut-être ? Et bien, je vais te décevoir, petit, ce n’est pas moi qui l’ai. Et je ne sais pas qui l’a en sa possession, même si j’en ai une vague idée.

L’ombre regarda les mains du vieillard.

— Et votre anneau ? Je dois le récupérer.

— Cette babiole ? Ça fait longtemps que je l’ai jetée dans l’océan ! Non, mais, et pourquoi pas me coller une pancarte dans le dos avec “ancien agent secret” dessus, aussi !?

L’intrus s’impatienta. Il était temps d’en finir avec ce vieux fou. Il pourrait fouiller l’appartement tranquillement après, au cas où il lui aurait menti. Il s’avança et son visage apparut dans la lumière. Jeffreys le fixa du regard.

— Hey… Mais je te connais, toi… Tu étais en Alaska !

Un éclair de colère passa dans les yeux de l’homme en noir et il se jeta sur le vieillard. Il le frappa de ses poings, encore et encore, puis le saisit à la gorge et serra de toutes ses forces. Les dents serrées, la bave aux lèvres, il susurra quelque chose au vieillard.

— Ne… me parle… plus… JAMAIS… de l’ALASKA !!!!

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Maxime Close ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0