Chapitre Quatorze - Celui qui devait partir à Londres
J’ai ouvert les yeux. De grandes lignes peintes par le soleil, les mêmes que chaque matin, s’étiraient paresseusement sur les lattes du plancher de notre chambre. La pièce était baignée par une douce chaleur, l’enveloppant dans ce genre de sensation agréable qui chante l’été et les beaux jours. La faible rumeur de la circulation parvenait à mes oreilles, dominée par le chant des oiseaux dans le palmier devant la maison. Un de mes voisins, sans doute le vieux McNamara, tondait sa pelouse. J’ai jeté un œil sur mon réveil. On était samedi, et il était huit heures quarante. J’avais encore cinq heures avant que mon avion décolle. Instinctivement, j’ai senti mon front. Pas de post-it. Je me suis retourné pour constater avec soulagement que ma femme était toujours là, nue sous les draps. Les courbes de Ari ressemblaient à des dunes, ondulant paisiblement au rythme de sa respiration. Ses hanches, rondes, son épaule, couleur caramel et ses cheveux longs, noirs et bouclés, me donnaient envie de la prendre dans mes bras et de respirer son parfum. Mais je me suis retenu, je ne voulais pas la réveiller. Je me suis contenté de la regarder. Elle a dû le sentir, car elle a ouvert un œil.
— Tu sais que déteste quand tu m'observes comme ça quand je dors, a-t-elle bougonné. Ça fait un peu psychopathe.
— Tu as raison, ai-je murmuré en me rapprochant et en souriant. Tu es peut-être bien en train de me rendre fou…
Je l’ai serrée contre moi et l’ai embrassée dans le cou. Ses bras se sont enroulés autour de ma nuque.
— Ton avion est à quelle heure ? demanda-t-elle entre deux soupirs.
— Ne t’inquiète pas, ai-je chuchoté dans son cou, on a bien le temps.
La température monta encore d’un cran et nous étions bien partis pour un nouveau round, quand soudain son téléphone portable sonna. Elle soupira, pendant que je resserrai mon étreinte pour la retenir auprès de moi.
— Mmh… Non… S’il te plaît… T’es pas obligée de répondre…
— Si… Je le dois… J’en ai pas envie, mais je dois le faire…
Elle s’écarta pour attraper son téléphone, pendant que j’étouffais ma déception dans mon coussin.
Elle répondit et se détourna un peu. Il m’a semblé percevoir une voix masculine, suave dans l’appareil. Ce n’était pas la voix rocailleuse de l’agent des permanences téléphoniques, et encore moins celle de sa nouvelle supérieure, Tabitha. Bref, je ne connaissais pas cette voix. Ari s’est levée pour se précipiter vers la salle de bain. Je l’ai entendue échanger avec son correspondant par phrases courtes. Quand elle revint dans la chambre, elle portait un jeans, un t-shirt noir et elle avait enfilé son holster contenant son arme de service. Ses cheveux étaient repris en chignon fait à la hâte, et une mèche tombait sur ses yeux.
— C’était qui ? ai-je demandé, l’air de rien.
Elle eut un temps d’arrêt, un peu trop long à mon goût, avant de me répondre. Elle passa sa mèche derrière son oreille.
— C’est un nouvel agent, Pendleton… Ils me l’ont collé aux basques pour la nouvelle enquête… Il vient d’y avoir un deuxième meurtre.
Elle se figea soudain, semblant se rappeler que lorsqu’elle allait revenir ce soir-là, je serai déjà à des milliers de kilomètres d’ici. Elle revint se poser sur le lit, me regardant comme si j’étais un faon sur le bord d’une autoroute.
— Je… Je suis désolée. Je voulais rester avec toi, t’accompagner à l’aéroport…
Je me suis redressé, en la regardant, un sourire triste sur les lèvres.
— Ne t’inquiète pas… Je comprends…
Je l’ai prise dans mes bras, et nous sommes restés ainsi, sans bouger.
— Je serai vite revenu, ai-je chuchoté. Je vais voir ce qui se passe avec Liv, et je reviens…
Elle avait l’air troublée. Comme si elle voulait me dire quelque chose, mais que quelque chose l’en empêchait. Je me suis un peu écarté, la regardant dans les yeux.
— Hey… Ça va ?
Elle secoua la tête, comme pour reprendre ses esprits et me sourit en me caressant la joue.
— Oui, ça va… c’est juste cette enquête… qui s’annonce compliquée. Et puis, je m’inquiète pour ta sœur aussi.
— Je t’appelle dès que je suis arrivé. Et je te tiendrai au courant de la situation au fur et à mesure.
— Ok… Merde, protesta-t-elle, je dois vraiment y aller… Sois prudent, hein.
Elle m’embrassa et partit à la hâte.
Je ne savais pas, à ce moment-là, que la prochaine fois que je la reverrai, notre mariage aurait été en péril.
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