23 Juin 2023
23 Juin 2023
20h00
Émilie HANSEN, 18 ans
30ème jour du Tour du Monde à la voile en solitaire
Cela fait maintenant trente jours que je suis partie du port de Deauville. Selon mon radar je suis vers la côte sud-est de l’Amérique. Je ne devrais pas tarder à voir la terre. J’ai traversé un anticyclone. Il n’y avait plus de vent. J’ai perdu du temps sur mon programme. Ce n’est pas très grave. Je vais réussir à récupérer mon retard. Actuellement je navigue à une moyenne de quinze nœuds. Il y a une petite houle. Le bateau tangue un peu. Cela me berce. Le ciel est plutôt clair. Cela change de ma chère petite Normandie. Je suis en train d’écrire mon rapport du jour sur la table à cartes du cockpit. J’ai le stylo que m’a offert mon petit frère avant que je parte. Il est bleu, c’est ma couleur préférée, et il est possible de voir « CNTH », le club de voile dont on faisait partie plus petits. On y a passé beaucoup de temps. Depuis ma plus tendre enfance je navigue. Quand je ne fais pas de la planche à voile, je fais du dragon, du tofinou, du J80… et la liste est longue. Il commence à être tard, je dois me faire à manger. Je vais faire chauffer mon Colombo de poulet lyophilisé. Puis je vais aller me coucher pour deux heures.
Je n’arrive pas à dormir. Mon cerveau ne veut pas se mettre sur pause pendant deux minutes. Plus le temps passe, plus je me sens comme Christopher dans Into the Wild. Je suis de plus en plus heureuse de lâcher prise, d’être livrée à moi-même au milieu de nulle part, de l’océan. Je me sens un peu comme Jacques Mayol, du Grand bleu, seule, heureuse, paisible au milieu de l’océan. La seule différence est que je suis sur l’eau et non dedans. Mais je comprends aussi le point de vue de Mark Watney de Seul Sur Mars qui vit sans cesse avec une épée Damoclès au dessus de la tête. Il y a toujours un danger qui me menace. Mon bateau peut se briser en deux, mes voiles peuvent se déchirer, mon bateau peut enfourner… Mais malgré ce danger, cette menace, je me sens libre, sans problèmes et surtout loin de toute société. Contrairement à ce que je pensais, la solitude ne me pèse pas du tout. Certes, mes proches me manquent, mais je n’en suis pas malade. Mais aussi, après chaque dépression ou épreuve je me retrouve dans le personnage de Samy dans l’Ascension. Fière d’avoir réussi. Heureuse. Et j’écoute On top of the world car c’est comme ça que je me sens. Gagnante, car j’ai vaincu une difficulté. Et puis je me fait un bon petit plat.
Tous les jours je fais des petites vidéos que j’enverrai à ma famille et à Alex, mon copain, dès que je pourrais. Je montre l’océan qui est différent à tout moment. Il y a une semaine j’ai du monter en haut du mât. Il fait vingt-cinq mètres. J’avais dû récupérer le bout du hook de grand voile. Il s’était bloqué. C’était une véritable épreuve car s’il y a bien une chose que je n’aime vraiment pas faire, c’est escalader ou aller en hauteur. Mais s’il y a bien quelque chose qui me fait penser à mon voyage, c’est le documentaire de Tara. Je le regarde depuis mes cinq ans. Il résume mon enfance. Bon, je vais voir les prévisions météorologiques.
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