L’homme marchait d’un pas pressé en répétant à voix haute :

« J’ai rendez-vous chez le dentiste, j’ai rendez-vous chez le dentiste. »

Arrivé devant le cabinet, il sonna et, lorsque la secrétaire vint lui ouvrir, il annonça :

« Je suis Jean Dupont, j’ai rendez-vous avec le dentiste. »

La secrétaire consulta le gros agenda et dit :

« Ah non, monsieur Dupont. Votre rendez-vous est fixé à demain, à la même heure.

— Demain ?

— Demain. »

Jean Dupont se tapa le front du plat de sa main :

« C’est catastrophique ! »

La secrétaire le regarda ahurie :

« En quoi cela est-il catastrophique ?... Vous avez un autre rendez-vous demain ?

— Non, non, pas du tout.

— Mais alors ?

— Alors la catastrophe, mademoiselle, est qu’il va falloir que je passe encore vingt-quatre heures à me répéter sans arrêt que j’ai rendez-vous avec le dentiste.

— Vous n’avez pas de tête ?

— Pas un brin.

— Vous n’avez pas de tête et vous venez vous faire soigner les dents, rétorqua-t-elle sur un ton ironique.

— L’ennui c’est que j’ai de mauvaises dents, par-dessus le marché, dit-il d’un ton désolé. »

La secrétaire lui lança un regard empreint de compassion :

« Je vous plains, monsieur Dupont. A demain.

— C’est ça, à demain mademoiselle. »

Et Jean Dupont repartit d’un pas pressé en se répétant à voix basse :

« J’ai rendez-vous avec le dentiste. J’ai rendez-vous avec le dentiste. »