Chapitre Hors-Série II - 1
Les Silences d’Odilon
Le soleil se levait doucement, baignant la petite maison d'Odilon d'une lumière dorée et chaleureuse. Ce matin, comme tous les autres, il se réveilla avant l'aube, l’esprit déjà encombré des responsabilités qui pesaient sur ses épaules. Il aimait ces instants calmes, quand la maison était encore endormie et que le monde semblait s’arrêter.
Odilon quitta sa chambre en silence, veillant à ne pas réveiller sa sœur Ella, profondément endormie dans la pièce voisine. Depuis que leurs parents étaient partis travailler dans les plantations du Nord, c’était à lui de veiller sur elle. Il n’avait jamais demandé ce rôle, mais il l’acceptait sans se plaindre, jonglant entre ses devoirs envers sa famille et son engagement dans La Flamme.
Dans la cuisine exiguë, il prépara le petit-déjeuner avec une habileté née de l’habitude. Il aimait les petites choses du quotidien : le son des œufs qui crépitent dans la poêle, l’odeur du café chaud, et le bruit rassurant des pas d’Ella qui traînait des pieds en entrant dans la pièce.
— “Encore debout si tôt ?” lança-t-elle en s’étirant, les yeux encore à moitié fermés.
Odilon se contenta de sourire, posant une assiette devant elle. Elle s’assit, ébouriffant ses cheveux en bataille tout en bâillant bruyamment. Odilon s’adossa au plan de travail, observant sa sœur. Il l’aimait plus que tout, mais parfois, il se sentait dépassé par le rôle qu’il devait jouer. Il était à la fois son frère, son protecteur, et celui qui devait porter la charge de leurs secrets.
— “T’as pas de réunion avec La Flamme ce matin ?” demanda Ella entre deux bouchées, son regard innocent braqué sur lui.
Odilon hocha la tête sans répondre, détournant rapidement les yeux. Les récents événements avaient rendu La Flamme encore plus vulnérable et la situation à la maison encore plus complexe. Ella n’était pas dupe, et il le savait. Elle avait grandi plus vite qu’elle ne l’aurait dû, marquée par la disparition de leurs parents et les non-dits qui flottaient entre eux.
— “Je peux t’accompagner, tu sais,” insista-t-elle, brisant le silence qui s’était installé.
Odilon soupira, s’asseyant en face d’elle. Il posa ses coudes sur la table, plongeant son regard dans celui de sa sœur. Il voyait bien qu’elle voulait en faire plus, être plus qu’une simple spectatrice de leurs vies compliquées. Mais il refusait de la mettre en danger.
— “Ella, c’est trop risqué,” répondit-il fermement. “Je ne veux pas te perdre toi aussi.”
Ella fronça les sourcils, piquée par la remarque. Elle repoussa son assiette et se leva brusquement.
— “Je ne suis plus une gamine, Odi. Je sais ce qui se passe, je sais ce que tu fais quand tu n’es pas à la maison.”
Odilon se mordit l’intérieur de la joue, cherchant les mots pour calmer la colère naissante de sa sœur. Il n’avait jamais voulu qu’elle se sente mise de côté, mais sa priorité restait de la protéger, même contre sa propre volonté.
— “Je fais ça pour toi, pour nous,” dit-il doucement, mais Ella haussa les épaules, déjà sur le point de quitter la pièce.
Odilon resta seul un moment, fixant son café refroidi, partagé entre son devoir de frère et son engagement pour la liberté. Il voulait tant que les choses soient différentes, que sa sœur puisse vivre une vie sans cette ombre constante de peur et de résistance. Mais la réalité de leur monde ne lui laissait pas le choix.
Plus tard dans la journée, Odilon retrouva ses parents brièvement dans le centre du village. Leur relation était devenue tendue ces derniers temps, marquée par les non-dits et les silences gênants. Ses parents, dévoués au travail pour subvenir aux besoins de la famille, n’avaient jamais vraiment compris son engagement avec La Flamme. Pour eux, c’était une distraction dangereuse, une rébellion inutile contre un système qu’ils avaient appris à accepter.
— “Odilon, tu dois penser à Ella,” commença sa mère avec un ton inquiet. “Elle a besoin de stabilité, pas de ces... folies.”
Odilon baissa la tête, habitué à ces reproches voilés. Il savait qu’ils s’inquiétaient, mais ils ne comprenaient pas l’ampleur de ce qu’il voyait et ressentait chaque jour.
— “Je fais de mon mieux,” répondit-il simplement, se refusant à engager une dispute inutile. “Mais j’ai des responsabilités aussi.”
Son père resta silencieux, se contentant d’un regard lourd de reproches. Odilon se sentait coincé, tiraillé entre le désir de rendre fiers ses parents et l’appel incessant de la liberté. Il ne pouvait pas tout leur dire, et ils ne pouvaient pas tout comprendre. Alors il faisait ce qu’il savait faire de mieux : il encaissait, il avançait, et il continuait à se battre pour un futur qu’il espérait meilleur.
Ce soir-là, Odilon rentra plus tard que d’habitude. La maison était plongée dans le silence. Ella était dans sa chambre, les lumières éteintes. Odilon se glissa doucement dans sa propre chambre, s’allongeant sur le lit sans même se changer. Il fixait le plafond, perdu dans ses pensées. Les responsabilités, les sacrifices, les déceptions… tout semblait se mélanger dans son esprit, créant un poids constant sur ses épaules.
Pourtant, malgré tout, il savait pourquoi il continuait. Il continuait pour Ella, pour leurs parents, pour tous ceux qui n’avaient pas la force de se lever et de dire non. Il était fatigué, épuisé même, mais il refusait de céder. La flamme en lui brûlait encore, prête à éclairer les ténèbres, même s’il devait en payer le prix.
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