Je m'y perds

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— Je veux que l’on m’aime un peu…*

MP3 au fond de la poche et écouteurs dans les oreilles, Arsène fredonnait les paroles. Parfois, il aimerait pouvoir les crier.

« Pfiou. Journée éprouvante. »

Il s’était contenu pour ne pas montrer son soulagement à Salomé lorsqu’ils s’étaient séparés au portail. « À demain », lui avait-elle dit. Il redoutait déjà le lendemain.

Le garçon ne leva pas les yeux sur le bus qui le dépassait. La dernière fois qu’il l’avait fait, c’était pour voir une rangée de trois majeurs dressés à son intention. Il ne rentrait jamais par ce bus, même pour gagner une vingtaine de minutes. Trop de crétins dedans.

Le collégien préférait marcher en écoutant de la musique pour décompresser. Ces moments étaient ses seuls instants de liberté. Une demi-heure le matin et une demi-heure en soirée. Une heure dans la journée où il n’avait pas besoin d’être sur le qui-vive et pouvait relâcher toutes ses tensions.

Une rue avant la sienne, il ôta ses écouteurs et planqua son MP3. En bas de l’immeuble où il habitait, il croisa ses parents sur le point de partir à une conférence médicale.

Son père, Roger, un homme robuste, le salua d’un geste de la tête. Il avait revêtu un complet marron, assorti à ses yeux sévères et à sa coupe de cheveux peignée sur le côté.

Sa mère, Tatiana, vêtue d’un chemisier blanc surmonté d’un gilet bleu marine, agrippait le bras de son mari d’une main. Elle accueillit son fils avec empressement :

— Ah, mon chéri ! Je t’ai laissé de quoi dîner dans le frigo, tu n’as plus qu’à faire réchauffer. Nous sommes navrés de te laisser tout seul, mais ça ira, hein ?

— Ne t’inquiète pas, maman, voulut-il la rassurer.

— On te fait confiance pour ce soir, enchaîna Tatiana en le pointant d’un index manucuré. Tu révises, tu dînes, tu poursuis tes révisions et tu dors. Compris ? S’il y a quoi que ce soit, tu nous appelles.

— Oui, maman.

— C’est bien. Tu feras de grandes choses, mon fils, déclara-t-elle avant de l’embrasser sur le front.

Sa phrase fétiche. Toujours rappeler à son génial rejeton que l’avenir lui tendait les bras.

¯

Est-ce que faire de grandes choses dans ma vie me rendra plus heureux ? Est-ce que ce ne serait pas plutôt de faire ce qu’il me plaît, comme me le dit Mamina ? Pourquoi les adultes se contredisent-ils si souvent ? Qui croire ?

Après avoir écrit ces quelques mots, Arsène estima qu’il était inutile de réviser. Tout était déjà intégré. Il s’attela à ses devoirs et boucla ceux pour le lendemain et ceux pour la suite de la semaine.

Tout en ingurgitant un dîner réchauffé, une soupe à la courgette et un croque-monsieur accompagné d’une pomme, Arsène pensait à sa grand-mère maternelle, Hortense. Cela l’intéressait bien plus de « faire ce qui lui plaisait », comme elle le lui conseillait, au lieu de « faire de grandes choses », ce dont il se contrefichait. Il adorait sa Mamina, la seule personne dans les yeux de laquelle il se sentait important. Aux dernières vacances, elle lui avait glissé quelques euros dans les mains en mettant l’index devant sa bouche. Son sourire de connivence avait plu à son petit-fils. Celui-ci avait acheté un carnet à la couverture noire afin de coucher ses pensées par écrit, de les transformer en poèmes parfois, quand le besoin s’en faisait ressentir.

Après avoir rincé son assiette, ses couverts et son verre, il alluma son ordinateur et tapa « anorexie » dans un moteur de recherche. Les sujets qu’il ne maîtrisait pas le rendaient toujours curieux. N’importe lesquels. Les dinosaures, l’astronomie, l’œuvre d’un écrivain ou encore la discographie d’un groupe. Documentaires, témoignages, textes, images, enregistrements audio ou vidéo, tout y passait. Il adorait approfondir ses connaissances.

Le garçon visionna quelques vidéos et lut deux, trois articles médicaux. Puis, il dirigea sa souris sur l’icône de sa bibliothèque musicale et sélectionna une chanson. Il écouta les paroles avec attention, des mots coups de poing sur la boulimie-anorexie.

Je mange et je m’ennuie / De ma vie j’anorexie / Si je bois ce poison / Qui sait si je grandirai / Dans la nuit*

Ces mots ainsi que tout ce qu’il avait vu et lu sur le sujet lui confirmèrent une chose : Salomé n’allait pas bien, physiquement et surtout mentalement.

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