La naissance
Dimanche 27 mai 2012
Dans le silence* de sa chambre, Arsène recompta le nombre de personnes qui lui avaient souhaité son anniversaire. Ses parents (deux), Véronique, Louane et Ethan (cinq), sa grand-mère Hortense (six). Voilà. Six personnes pensaient à lui en ce dimanche où il fêtait ses onze ans.
Kévin, Alan et Oscar ne comptaient pas. Ce qu’ils lui avaient souhaité, vendredi dernier, n’était pas pour célébrer sa naissance… plutôt le jour tragique d’une « erreur » qu’il avait commise un an plus tôt et qu’il aimerait oublier.
Sa mère avait préparé un gâteau aux amandes, son préféré. Avant de le déguster, ses parents lui avaient chanté Joyeux anniversaire. En cadeau, il avait reçu des livres d’arithmétique et avait assuré à ses géniteurs que cela lui faisait plaisir. Le gâteau l’avait bien plus intéressé que tous ces bouquins qu’il allait devoir ingurgiter.
Le doigt au-dessus de l’écran tactile de son portable, Arsène se demanda s’il devait avertir Salomé que ce jour était spécial pour lui. Il aimerait bien qu’une amie lui souhaite son anniversaire. Mais n’aurait-il pas eu l’air de quémander de l’attention ? Non, mieux valait ne rien dire. Après tout, ce n’était pas si extraordinaire que cela de vieillir. Tout le monde vieillissait. Néanmoins, il se promit de demander la date d’anniversaire de Salomé dès le lendemain. Cela lui semblait important de le lui souhaiter.
Une brève pensée effleura son esprit : pourquoi l’inverse – se faire souhaiter son anniversaire – lui paraissait-il si peu important ?
J’ai onze ans et je me sens déjà vieux. Impression d’avoir trop vécu. Ça veut dire quoi être un enfant ? Je ne sais pas, je crois n’avoir pas eu d’enfance.
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Lundi 28 mai 2012
— C’est le 13 novembre, mais je préfère que tu ne me le souhaites pas.
— Pourquoi ?
Décidément, il ne comprenait rien à la vie. Lui aurait aimé qu’on le lui souhaite, mais taisait sa date de naissance ; elle lui donnait la sienne, mais refusait qu’on célèbre son anniversaire.
— Et toi, c’est quand ? lui retourna-t-elle.
— Le 27 mai.
— C’était hier ! s’exclama-t-elle en lui donnant un petit coup du dos de la main dans le bras. Pourquoi tu ne m’as rien dit ?
— Ce n’est pas grave si on ne me le souhaite pas, expliqua-t-il en ayant l’impression d’avoir commis une bourde.
— Bon anniversaire, p’tit frère !
Arsène sourit à l’évocation de ce nouveau surnom.
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Mardi 5 juin 2012
Lors de la récréation, Arsène eut la surprise de voir Salomé lui tendre un paquet cadeau.
— Encore bon anniversaire, p’tit frère, même si c’est passé. J’aurais aimé te l’offrir plus tôt, mais il a fallu que je le commande.
Décontenancé, il n’osa pas tendre la main pour attraper le paquet rouge orné d’une étiquette promouvant la librairie du coin. En dehors de sa famille, personne ne lui avait jamais offert quoi que ce soit.
— C’est pour moi ? voulut-il s’assurer.
— Mais oui ! s’impatienta-t-elle, avide de voir la réaction de son ami quand il découvrirait son présent.
Arsène le prit avec émotion.
— Puis-je l’ouvrir maintenant ?
— Vas-y !
Aussi heureux qu’on puisse l’être à son âge, le collégien s’acharna sur le Scotch et prit soin de ne pas déchirer le papier.
— Tu ne serais pas un peu maniaque, toi ? s’amusa la jeune fille.
— Un peu…, lui accorda-t-il avec un sourire. Oh, waouh !
Une biographie sur son groupe préféré.
— Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir, merci !
Il hésita une demi-seconde puis l’embrassa sur la joue avant de feuilleter l’ouvrage qui comportait un carnet de photos central.
— Je savais que je ferais mouche ! commenta Salomé, heureuse d’avoir arraché un bisou, fut-il sur la joue, à son ami.
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