Mardi

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C’est l’estomac noué*

Le cœur battant

Les genoux flageolants

Que je me traîne vers cette rentrée

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Mardi 4 septembre 2012

Arsène s’approcha du tableau d’affichage, angoissé comme jamais, mais résigné. Le nouveau lycéen se chercha dans les listes de noms, mais trop petit et bousculé par les plus grands, il n’eut pas le temps de voir dans quelle classe il était affecté. Déjà, les moqueries fusaient – et elles ne venaient même pas de ses habituels agresseurs, mais de parfaits inconnus.

— Le collège, c’est en face.

— Ils recrutent des nains, maintenant ?

Arsène ignora les sarcasmes et se tint à l’écart pour guetter l’arrivée de sa seule amie, qu’il avait vue quelques jours plus tôt, fidèle à leur rendez-vous hebdomadaire. Il se ratatina lorsqu’il aperçut une chevelure rousse. Derrière elle apparut un garçon qui lui paraissait plus musclé qu’en juin et un autre au nez arqué. Oscar, Kévin et Alan.

— Toujours vivant, l’avorton ? se moqua Kévin en lui passant devant.

— Mais quelle chance pour nous ! estima ironiquement Alan. Ça nous aurait manqué de ne pas te voir. Sur qui on aurait tapé, hein ?

La peur prit de nouveau possession de lui. Arsène croisa les doigts pour qu’ils ne soient pas dans la même classe pendant que le trio s’éloignait en ricanant.

— Salut Arsène !

Le garçon sursauta. Il se tourna vivement, yeux écarquillés. Salomé.

— Oups, désolée de t’avoir fait peur, s’excusa-t-elle en mettant le bout de ses doigts sur sa bouche.

— Salomé ! Si tu savais comme je suis content de te voir ! Je ne sais pas encore si on est dans la même classe. Tu peux aller voir ?

La frêle jeune fille lui fit signe d’attendre et se faufila jusqu’aux feuilles. Quand elle revint, elle arborait un large sourire.

— Yes ! s’exclama-t-elle le poing levé. On est en seconde trois.

Arsène poussa un soupir de soulagement. Au moins, ils pourraient compter l’un sur l’autre pour survivre aux prochains mois.

— Qui sont nos camarades de classe ? l’interrogea-t-il, anxieux.

— Je n’ai pas vraiment regardé. Je crois que j’ai vu Paola… Ahmed… Selma… Kévin…

Le jeune lycéen crut qu’il allait se liquéfier sur place. Encore une année à supporter son bourreau.

— Il y avait pas mal de noms que je ne connaissais pas…

Arsène ne vit qu’une seule bonne nouvelle : Oscar et Alan se trouvaient dans une autre classe. Les élèves se rangèrent ensuite en colonnes, écoutèrent le mot d’accueil de la directrice, puis suivirent leur professeur principal. La seconde trois emboîta le pas à celui de mathématiques, dont la salle attitrée se situait au premier étage.

Dans les escaliers, Arsène, suivi de Salomé, remarqua que le garçon blond à l’ample sweat gris juste devant lui semblait peiner à les gravir. Il envoyait son pied gauche en éclaireur, puis le droit le rejoignait sur la même marche avant que le gauche ne s’envole à nouveau vers la suivante. Tandis que la plupart des élèves les doublaient, Arsène hésita à lui proposer son aide, mais sa timidité envers les autres le retint.

« Et puis, il n’a peut-être pas envie qu’on l’assiste. Sûr qu’il m’enverra paître. »

En haut des marches, l’élève en difficulté parut retrouver son aplomb, malgré une démarche peu naturelle pour qui était bon observateur, tira sur les manches de son sweat pour recouvrir ses doigts et s’engouffra dans la salle de mathématiques. Arsène et Salomé prirent directement place devant le bureau de l’enseignant, un homme plus proche de la retraite que de ses premières armes dans le domaine éducatif. Ce dernier commença par faire l’appel :

— Badjé Paola.

— Présente.

— Cadiot Salomé.

— Présente, dit-elle en levant la main.

Le professeur déroula sa liste :

— Pelletier Arsène.

— Présent.

— Ah, c’est toi notre plus jeune élève. Tu as onze ans, c’est bien ça ?

Mal à l’aise, Arsène répondit par l’affirmative. Il aurait préféré que l’enseignant taise sa particularité. Les nouveaux le catalogueraient vite fait comme l’intello de service. Qui savait si, parmi eux, ne se cachaient pas de potentiels futurs agresseurs ?

— Tu aimes les mathématiques, à ce qu’il paraît, poursuivit l’adulte. On va bien s’entendre.

Il reprit l’appel :

— Pizan Lucas.

— Présent, indiqua l’élève concerné, celui qu’Arsène avait vu peiner dans la montée. Mais si je peux me permettre, monsieur, il y a une erreur : c’est de Pizan.

— Merci de me l’avoir signalé, dit monsieur Ducré en corrigeant sur sa feuille. Je ferai remonter à l’administration. Sinclair Kévin.

— Présent.

L’appel continua. Arsène songea que le nouveau – Lucas – venait lui aussi de se faire cataloguer. Il ne douta pas que le fait qu’il ait rappelé l’existence de sa particule lui vaudrait quelques remarques, tout comme sa lenteur dans les escaliers.

Le professeur de maths leur distribua ensuite un carnet de liaison chacun, dicta leur emploi du temps, leur fit signer le règlement intérieur… Une fois toute cette paperasse effectuée, il ne perdit pas de temps et démarra un cours. Arsène perdit vite tout intérêt pour ce qui sortait de la bouche du professeur : il connaissait tout par cœur. Dans les marges de son cahier, il dessina pour s’occuper.

À la fin de la demi-journée, monsieur Ducré le retint.

— Je t’ai vu dessiner pendant le cours. Pourquoi ?

— J’ai appris le programme de seconde pendant les vacances. J’ai griffonné quelques croquis parce que je… je m’ennuyais, avoua l’élève pris en faute. Je sais déjà tout.

— C’est vrai ? Impressionnant.

L’enseignant réfléchit et déclara :

— Écoute, j’essaierai de te prévoir des exercices plus difficiles afin que tu ne décroches pas du cours.

— Merci, monsieur. Des exercices de première ou de terminale me plairaient bien.

— Je te prépare ça pour la prochaine fois.

Arsène trouvait l’idée plutôt bonne. Il espérait que cela le stimulerait davantage de se confronter à des exercices plus corsés. D’un autre côté, cela mettrait sa singularité en avant, ce qui n’était pas pour lui plaire. Tout ce qu’il avait espéré au sein de ce nouvel environnement était de se fondre dans la masse. Illusoire, dès le premier jour.

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