Personne ne sait qui je suis en vrai

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Lundi 3 décembre 2012

« Personne ne sait ce que je fais*. Ils ne peuvent pas savoir et surtout ils ne doivent pas en être informés », se répétait Arsène qui luttait pour faire bonne figure.

La punition s’était terminée à sept heures le matin même, quand sa mère était venue lui ouvrir et l’avait autorisé à prendre le petit déjeuner dans la cuisine. Cependant, ce retour au lycée équivalait à retourner dans l’antre du diable. À tout bien peser, rester enfermé dans sa chambre était limite préférable. Il réajusta son nouveau sac à dos vert sur les épaules, repéra Salomé et Lucas et se dirigea vers eux.

— Hey ! mec, ça va ? l’accueillit Lucas en levant une main pour taper dans la sienne.

— Salut p’tit frère, dit Salomé en claquant sa paume dans celle d’Arsène. Ça va bien ? On t’a attendu tout le samedi.

— Salut. Je suis désolé. Mon portable a rendu l’âme vendredi soir et, comble de malchance, j’ai été malade tout le week-end. Au fait, bon anniversaire, Lucas.

— Merci. Tu nous as manqué, tu sais.

— Vous aussi, regretta sincèrement Arsène. J’étais si impatient de venir chez toi et… voilà. C’est mal tombé.

— T’as dû morfler, car t’as une vraie tête de déterré, commenta Lucas.

— C’est vrai, renchérit Salomé. Tu n’es plus malade, au moins ?

— Non, mais je suis encore bien fatigué. Je n’ai pas beaucoup dormi. Comment était ta fête ? demanda-t-il à son ami pour que le sujet passe à autre chose que sa personne.

— Tu devineras jamais où il habite ! s’écria Salomé, excitée comme une puce, avant que Lucas ait pu répondre.

— Eh, qu’est-ce qu’on a dit ? la retint son camarade. Que c’était pas la peine de le brailler sous les toits.

Salomé se pencha alors à l’oreille d’Arsène et lui chuchota :

— Il vit dans un château.

Arsène leva les yeux sur elle, étonné, puis sur Lucas, qui paraissait embarrassé.

— Tu vis vraiment dans un château ? articula Arsène en sourdine.

— Ben, faut croire. Un petit, hein, va pas t’imaginer Versailles. J’aurais préféré que tu sois là pour le voir, là, j’ai pas très envie d’en parler au lycée. Les murs ont des oreilles. Je vous réinviterai un week-end avant Noël.

— Il m’a tout fait visiter, précisa Salomé. Chaque pièce, et puis le parc.

— Ce devait être fabuleux ! estima le jeune lycéen qui n’avait vu que quatre murs de tout son week-end. Je veux explorer ton domaine !

La sonnerie mit fin à leur conversation. Aussitôt, une boule lui noua la gorge.

— À tout à l’heure ! lui lança Salomé en partant de son côté avec Lucas.

Chaque fois qu’ils se séparaient, Arsène se sentait abandonné. Il poussa un soupir résigné et ne se pressa pas trop pour rejoindre sa classe.

¯

Le jeune garçon avait été relativement épargné pendant les deux premières heures de cours, puis aux deux suivantes, après la récré. À croire que ses agresseurs avaient tout donné vendredi dernier et qu’ils se reposaient encore.

« Avant qu’ils ne réattaquent vendredi », songea Arsène qui en frémissait d’avance.

Au déjeuner, il s’arracha à la contemplation fascinée de Kévin qui draguait ouvertement Emma lorsque Salomé se leva pour aller aux toilettes. Tout en se demandant si ce crétin de Kévin parviendrait à ses fins – parce qu’il fallait avoir un grain pour sortir avec lui –, il profita de l’absence de son amie pour discuter plus sérieusement avec Lucas.

— Alors, lui as-tu parlé ?

— Parlé de quoi ? s’amusa Lucas qui savait très bien ce que son camarade voulait dire.

— Allez !

— Je voulais pendant notre balade dans le parc… mais… j’ai laissé tomber.

— Pourquoi ? Ne l’aimes-tu plus ?

— Si, si, mais… elle m’a raconté pour sa sœur, alors… Ç’aurait été pas cool de ma part de lui parler de moi et de mes sentiments. Ce sera pour plus tard, t’inquiète, je renonce pas pour autant. Avant Noël, j’espère. Je suis quand même « content », entre guillemets, qu’elle se soit confiée à moi. J’ai… je sais pas… C’est comme si elle me disait aussi qu’elle avait confiance en moi, à me dévoiler des choses si intimes. Ça t’a fait ça, toi ?

— Euh…

Arsène se remémora l’instant de la confession de Salomé.

— En fait, je l’avais deviné quelques minutes avant qu’elle ne se confie et je me disais « c’est son histoire, ça ne me regarde pas ». Quand elle m’a parlé de Sarah, j’ignorais comment réagir, alors je l’ai simplement prise dans mes bras pour la réconforter. Bien plus tard, nous avons déballé un carton ensemble. Il contenait des affaires de sa sœur. Elle disait qu’elle n’y arriverait pas seule ou avec sa mère, mais qu’avec moi elle se sentait rassurée. Alors… oui, c’est sans doute de la confiance.

Il n’avait jamais réfléchi à cela. Et lui, s’il ne parlait pas de ses problèmes avec ses amis, était-ce parce qu’il ne leur faisait pas assez confiance ?

« Bien sûr que si ! Cependant, il ne faut pas qu’ils sachent pour mes parents parce que… parce que ce sont mes parents ! Et pour les autres débiles, non, ce n’est pas la peine de leur en parler. N’ajoute pas tes problèmes si ridicules aux leurs. »

Et ses automutilations ? De cela non plus, il ne pourrait pas parler. Les coupures qu’il s’était infligées s’étaient rappelé à lui toute la matinée. Il priait pour qu’elles ne s’infectent pas, sinon ce serait pire que tout.

— Ho, hé ho ?

— Hein ? sursauta Arsène. Pardon, je me suis égaré.

— Tu te perds souvent, s’amusa Lucas. Un jour, je t’offrirai une boussole pour que tu te retrouves. Je te demandais… Tu crois qu’elle m’acceptera ? Je veux dire, qu’elle m’acceptera tel que je suis ? Avec une jambe et un bras en moins ?

Arsène allait répondre quand, par-dessus l’épaule de Lucas, il remarqua que Salomé revenait.

— La voilà.

Il regarda le garçon complexé dans les yeux puis hocha plusieurs fois la tête. Un sourire se dessina sur le visage du lycéen blond et ses yeux brillèrent d’une lueur d’espoir.

Arsène replongea dans ses réflexions. Il se rendit compte que ses amis ne connaissaient que celui qu’il voulait bien leur montrer. Le vrai Arsène devait demeurer caché.

« En fait, personne ne sait qui je suis en vrai. Ni mes parents, ni ma tante, ni ma cousine, ni mon cousin, et pas même mes amis. Encore moins les profs. »

Après le déjeuner, Arsène donna à Lucas le cadeau qu’il aurait dû lui offrir le samedi. Il avait eu du mal à trouver ce qui ferait plaisir à son ami, car il connaissait finalement assez peu ses goûts… sauf qu’il aimait et pratiquait l’athlétisme. Arsène avait donc cherché dans cette voie. La réaction de Lucas le rassura.

— Oh, merci, frérot ! Ça déchire !

L’athlète déplia le maillot de sport aux couleurs de l’Afrique du Sud, avec le nom d’Oscar Pistorius dans le dos.

— Purée que ça me fait plaisir ! T’es top, mec !

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