Là dans le matin immobile

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Lundi 18 février 2013

Depuis des mois*, Arsène attendait le moment où il pourrait écouter ce nouvel album. Salomé le lui avait prêté pour qu’il le copie sur son ordinateur. Le jeune garçon l’inséra dans la fente et attendit que le lecteur de musique s’ouvre. Auparavant, il avait bien vérifié que le son était sur muet. Ses parents, de l’autre côté du mur, ne devaient rien entendre. Cela lui procurait quelques sueurs froides, mais il était prêt à prendre le risque. Pendant que les pistes étaient intégrées dans sa bibliothèque musicale une à une, il donnait le change en faisant des recherches sur Internet pour approfondir son cours d’histoire. Si ses parents rentraient, ils ne se douteraient de rien, si ce n’est que son appareil bourdonnait plus fort que d’habitude. Il dirait que la ventilation donnait des signes de faiblesse depuis quelque temps.

Un déclic lui indiqua que la copie était terminée. Automatiquement éjecté, le disque fut vite replacé dans son boîtier représentant la ville de Toronto. La ville, dans son manteau nocturne, s’étalait sur un fond noir flanqué du nom du groupe en lettres capitales surmontant celui de l’album. Le jeune fan le planqua dans son sac. Deuxième phase, maintenant : transférer les fichiers sur son MP3. Il guetta les bruits extérieurs à sa chambre. Rien. Arsène brancha le petit appareil sur son ordinateur et copia-colla les dix-sept chansons dans un nouveau dossier. En retenant son souffle, il encouragea mentalement le transfert à aller plus vite. Si son père ou sa mère entrait, il serait grillé ! L’opération ne dura pourtant que quelques instants qui lui parurent bien longs. À la seconde où le processus prit fin, il éjecta son MP3, se dépêcha de le glisser sous son oreiller et coupa son ordinateur.

Arsène revêtit son pyjama et s’installa sous ses draps, un livre à la main. C’était la troisième fois qu’il lisait le Manuel d’Épictète – au stoïcisme très inspirant – en prévision des cours de philosophie qu’il aurait l’année prochaine. Il avait hâte de découvrir cette matière et regrettait d’avance qu’il y en ait si peu d’heures dans la filière scientifique qu’on l’avait obligé à suivre. La section littéraire avait bien de la chance d’en avoir plus, estimait-il.

La porte s’ouvrit soudain sur sa mère.

— Il est vingt-deux heures, c’est l’heure de dormir, mon chéri.

— Je finis d’étudier le chapitre et j’éteins, promis.

— Bien. Bonne nuit.

Tatiana referma la porte. Arsène se dépêcha de boucler son chapitre, inséra un marque-page et posa le livre sur sa table de chevet. Il éteignit sa lampe, puis, sans bruit, s’empara de son MP3 et plaça les écouteurs dans ses oreilles sur lesquelles il remonta sa couette. Le son réglé au minimum afin qu’il puisse percevoir les bruits extérieurs, il lança la première chanson, un poème de Mireille Havet récité sur un fond musical oppressant.

Nos maîtres sont morts…*

¯

Mardi 19 février 2013

— Tiens, dit Arsène en tendant le CD à Salomé. Il est fabuleux !

— Je te l’avais dit ! s’enthousiasma la jeune fille.

— Tu peux me le prêter aussi ? demanda Lucas. Histoire que je rattrape mon retard.

— Avec plaisir !

Elle lui confia l’album et se tourna vers Arsène.

— On l’a converti, ouais ! Tope là, p’tit frère !

Son ami claqua sa paume dans la sienne.

— Bande de sectateurs ! commenta Lucas en riant.

— Alors, t’en as pensé quoi ?

Arsène, qui avait bien écouté les paroles, lui donna ses premières impressions et analyses. Ils en reparlèrent aux récréations et à la cantine, larguant Lucas qui en prenait son parti.

Malgré les coups et insultes de ses camarades de classe, le jeune garçon maltraité passa une bonne semaine. Son groupe favori avait le don de mettre un baume sur ses blessures, chaque fois qu’il écoutait une de leurs nouveautés.

Dans ce douzième album, il avait repéré une chanson à laquelle il s’identifiait plus particulièrement : elle racontait ce que ressentait un garçon « trop différent » que les autres n’aimaient pas. Cette chanson mettait des mots sur ses maux et lui donnait l’impression d’être un miroir dans lequel il se reflétait.

¯

Le soir, comme il l’avait fait pour les albums précédents, il écrivit un poème en piochant une phrase dans chaque chanson et en les assemblant afin d’en tirer un nouveau texte. Tout naturellement, le thème porta sur son amitié avec Salomé.

Là dans le matin immobile*

Nous marcherons ensemble*

Salomé*

Assise au bord du ciel*

Putain la vie est belle*

Salomé

On se souviendra que je me suis noyé sans toi*

Toi ne m’abandonne pas*

Salomé

Merci de m’avoir choisi*

Ainsi vont nos vies*

Salomé

J’entends ton rire, j’entends ta voix*

On ne s’arrêtera pas[*

Salomé

Tu voudras que je sois dans ta vie*

Oui la belle vie*

Salomé

À nos gloires*

God know that we tried*

Salomé

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