Épilogue

7 minutes de lecture

« Il y aura un futur pour notre passé. »*

Mardi 27 mai 2014

Un an s’était écoulé et la vie d’Arsène avait changé du tout au tout. Un nouveau foyer l’avait accueilli. Lana et Antoine, le couple qui prenait soin de lui, abritaient aussi deux autres jeunes ayant vécu des situations aussi difficiles que la sienne. Arsène avait ainsi appris la vie en communauté. La famille possédait quelques animaux : un chien, une dizaine de poules, des chèvres, des chats plus ou moins sauvages… Arsène adorait s’occuper d’eux, surtout des petits félins, et se disait qu’un métier ayant un lien avec des animaux lui plairait. Il se sentait revivre ici.

Parfois, il lui arrivait de craquer et de pleurer, sans que rien n’annonce la crise de larmes. Il serrait alors la peluche offerte par Salomé pour se consoler. Tout lui semblait trop beau pour pouvoir durer. Un jour, ses parents reviendraient le chercher, et tout recommencerait. Un jour, quelqu’un le frapperait, l’insulterait, souhaiterait sa mort… Un jour, le couple qui l’accueillait se lasserait et lui dirait de partir. Un jour… Il se persuadait de tout un tas de choses et il fallait des trésors d’imagination à Lana pour le rassurer et dissiper ses craintes.

Les séances hebdomadaires chez une psychologue lui faisaient beaucoup de bien. Au fil du temps, il avait réussi à lui parler de tout, absolument tout : sa tentative de suicide, le harcèlement, les scarifications, les coups de son père, le manque d’amour de sa mère, sa fugue… Jour après jour, il tentait de retrouver une estime de soi, d’accepter sa différence, sans se comparer aux autres, de faire des choix et de refuser que l’on choisisse pour lui. Il n’admettait toujours pas les contacts physiques avec les autres et les évitait autant que possible. Il dut aussi réapprendre à ne plus mentir pour se protéger et à ne plus avoir peur lorsqu’il faisait une bêtise. Même s’il appréciait Antoine, il se demandait toujours quand ce dernier lui collerait une gifle. « Jamais », lui avait affirmé Lana à qui il s’en était ouvert.

Arsène travaillait dans sa chambre, sur son ordinateur, qu’il avait pu récupérer ainsi que son téléphone, après les fouilles de la police. Comme il s’y attendait, ils étaient tombés sur sa triste collection de photos. Les images de son corps meurtri constituaient les preuves qu’il leur manquait pour inculper Roger et Tatiana, lui pour coups et blessures sur mineur, elle pour non-assistance à personne en danger. Les langues des voisins s’étaient déliées. La plupart s’accordaient sur le fait que le couple semblait parfois disputer leur fils, mais tous, invoquant leur bonne foi, juraient n’avoir jamais pensé qu’on le maltraitait. Arsène ne parvenait pas à concevoir que ses cris de douleur ne constituaient pas un synonyme de maltraitance pour eux.

Lui aussi avait témoigné auprès de Julien. Cela avait été laborieux pour le policier de lui tirer les vers du nez, car le garçon voulait ménager ses parents et avait minimisé les violences. Julien, pas dupe, connaissait assez la psychologie des enfants pour deviner les non-dits et avait manœuvré avec beaucoup de finesse pour lui faire cracher la vérité. Arsène avait même fini par lui confier le couteau.

Depuis sa fugue, il n’avait pas revu ses géniteurs, déchus de leurs droits parentaux. Il ne s’en portait que mieux. Sa mère fut condamnée à une peine de prison et une amende moindre que ce que les juges avaient statué pour son père : cinq ans d’emprisonnement ferme et 75 000 € d’amende. Arsène avait calculé qu’il serait tout juste majeur quand Roger sortirait de prison, ce qui l’avait rassuré.

À quelques reprises, il avait rencontré sa tante et ses cousins. Tous lui avaient témoigné leur soutien. Véronique était atterrée par ce qu’elle avait découvert sur sa sœur et son beau-frère. Elle était tombée des nues quand elle avait appris la tentative de suicide de son neveu. Personne ne l’avait prévenue ! Très régulièrement, elle prenait des nouvelles d’Arsène par téléphone, tout comme Ethan et Louane qui privilégiaient les SMS. Sa cousine avait changé d’attitude envers lui et se montrait plus protectrice. Quant à son cousin, il lui parlait de tout et n’importe quoi, ce qui faisait du bien à Arsène. Il ne voulait pas perdre le lien avec la seule famille qu’il lui restait.

— Arsène, ce n’est plus l’heure de travailler, lui dit Lana en se penchant dans sa chambre depuis le couloir. Coupe donc ton ordinateur ou fais autre chose.

Tout le contraire de sa mère qui le poussait à étudier sans relâche. Il ferma son ordinateur, mettant fin à ses révisions pour le bac. Il ne s’était pas présenté aux épreuves l’année passée, compte tenu des événements. Il avait eu du mal à l’accepter et avait paniqué en se disant qu’il allait redoubler sa première. Un échec dans sa vie ! Salomé avait su dédramatiser la situation en lui rappelant que leur chanteur favori avait tenté d’obtenir le bac un nombre incalculable de fois sans jamais l’obtenir. « Ça ne l’a pas empêché de poursuivre ses rêves et de les mener jusqu’au bout », avait-elle souligné. L’idée de « poursuivre ses rêves » au lieu de « faire de grandes choses » lui avait plu. À la rentrée suivante, il en avait profité pour bifurquer en Littéraire et avait opté pour l’école à domicile. Il ne regrettait pas le changement, bien au contraire. Salomé s’était elle aussi inscrite en L, tandis que Lucas s’était orienté en Économie et Social. Tous deux avaient changé de lycée, leurs parents ayant bien compris que l’ambiance en cours ne convenait plus à un apprentissage serein.

Les trois amis se voyaient à toutes les vacances, parfois chez Salomé, parfois chez Lucas, même si revenir dans cette ville qui lui avait causé tant de souffrance n’était pas évident pour Arsène. Aucun de ses ex-camarades de classe n’avait été inquiété. Il avait appris avec consternation que le harcèlement scolaire n’était pas considéré comme un délit ![1] Quand il y songeait, il en ressentait une grande injustice.

Quand ses meilleurs amis venaient le voir, ils devaient réserver des chambres d’hôtel avec leurs parents. Les six cents kilomètres qui les séparaient rendaient les voyages longs et pénibles, mais jamais ils n’y avaient renoncé.

Salomé allait mieux et avait repris quelques rondeurs. Elle demeurait fragile, mais Arsène avait foi en elle. Elle vaincrait la maladie. Depuis quelques mois, elle ne portait plus de sonde. Une victoire.

Son père était revenu s’installer avec Aude et sa fille. Pour l’instant, la cohabitation se passait bien, tant Bruno avait à cœur de se racheter et de se faire pardonner la désertion du foyer familial.

— Arsène, le dîner est prêt !

— J’arrive !

Arsène dévala les escaliers et s’installa à table à côté de Louis, un autre enfant logé par le couple. Le deuxième, Marco, lui faisait face. Au dessert, la lumière sauta.

« Les plombs ? » se demanda Arsène.

La scène qui suivit le détrompa bien vite.

Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire, Arsène ! Joyeux anniversaire !

Lana déposa un gâteau piqueté de treize bougies devant lui. Arsène était scié. Ils n’avaient pas oublié ! Les flammèches dans la pénombre éclairaient leurs visages souriants en un clair-obscur que ne renierait pas un peintre.

— Allez, souffle ! l’encouragea Marco.

Arsène emmagasina tout l’air qu’il put dans ses poumons et éteignit les bougies d’un seul coup.

— Bravo ! l’applaudirent les autres.

Antoine ralluma.

— Merci à tous ! dit Arsène, ému.

Il ôta les treize bougies et décolla la cire du gâteau aux amandes. Ils partagèrent le dessert, puis Lana lui tendit une enveloppe.

— De la part de tes amis, précisa-t-elle.

Il la décacheta et retira ce qu’elle contenait. Une carte colorée ornée d’un gros « 13 ans » était accrochée avec un trombone à deux autres papiers plus rigides. Il y avait un mot.

Bon anniversaire, Arsène ! Je te souhaite tout plein de bonnes choses, comme avoir ton bac, faire ce qu’il te plaît, t’amuser et être libre de choisir quelle sera ta vie. <- 100 % d’accord !

Ton cadeau va te plaire. On a acheté les mêmes pour nous. Tu ne t’occupes de rien, ni logement ni transport, on viendra te chercher. J’ai trop hâte de vivre ça avec toi ! Ça va être mythique ! <- Ça fait des mois qu’elle me bassine avec… <- Même pas vrai !! <- Menteuse ! XD

Gros bisous et à bientôt, p’tit frère !

Ouf, Salomé m’a laissé un peu de place pour que je puisse te souhaiter à mon tour un joyeux anniversaire ! Profite de la vie, Cheshire cat !

Les mots firent sourire Arsène. Il déposa la carte sur la table et regarda les deux billets qu’il tenait entre les mains. Quand il comprit ce que c’était, il en trembla d’émotion. Les 27 et 28 juin prochains, son groupe préféré se produisait au Stade de France… et il avait les sésames pour assister aux deux soirées ! Et ses amis l’accompagneraient ! Le plus beau cadeau de sa vie !

Il montra les billets à sa famille d’accueil en criant de joie.

¯

Le soir, avant de dormir, il alluma son MP3 et lança quelques musiques. Qui savait où il serait sans ce groupe ? Sans ce clip contre le harcèlement scolaire ? Il ne voulait pas penser à une réalité alternative, pas aujourd’hui. Il attrapa le lapin blanc qu’il avait baptisé Lewis, le serra contre lui entre ses draps et se laissa bercer par la musique.

Partout c’est l’Indo ma vie, ça on le sait…*

[1] Le harcèlement scolaire est devenu un délit après la promulgation de la loi du 2 mars 2022 visant à le combattre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Clémence ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0