2 : Paulin

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Trois mois plus tôt.

Septembre 1936.

Mon premier jour sur le phare de Tévennec. Malgré mon jeune âge, j’avais l’habitude de gérer ces monstrueux et impressionnants bâtiments. Ma carrière avait débuté tôt, comme si elle était une évidence : je voulais être gardien de phare. Mais Tévennec… J’avais comme une appréhension différente, l’adrénaline de la nouveauté s’était remplacée par l’angoisse des légendes. Oh, je n’étais pas croyant à ces dires pour un sou, mais j’avais ce léger stress de passer des années dans cette grande bâtisse faite de roches.

Calmons-nous… Tout devrait bien se passer.

Je rencontrai mes trois camarades sur le bateau qui nous menait à cette minuscule île pétrée et isolée. L’un abordait un énorme sourire, heureux d’être ici, avec nous. Son naturel m’impressionnait, dans une société où l’apparence était importante. Ses cheveux décoiffés par le vent, sa barbe de trois jours et ses sourcils broussailleux me rappelaient ma superficialité. J’aimais me fondre dans la masse, disparaître et ne jamais me faire remarquer. Alors j’étais tout son inverse : cheveux plaqués par le gel, la barbe rasée à blanc, et soucieux du moindre détail.

Il me tendit la main que je pris pour le saluer. Il avait une poigne ferme et solide. J’avais l’impression d’être un gringalet face à lui, mais je ravalai mon côté impressible et lui rendis son sourire.

— Paulin Devereux, enchanté.

— Henri Duval, de même.

Je fus franchement ravi de rencontrer mon camarade pour les prochaines années, avec qui je vais passer mes journées. Et je fus davantage soulagé de voir qu’il avait l’air sympathique, enjoué et surtout imperturbable. J’avais beau me rafraîchir les idées constamment dans ma tête : « N’y pense pas. Ce n’est rien. C’est du pipeau. » J’y pensais. Ces légendes me hantaient déjà alors que nous n’étions toujours pas arrivés au phare. Jusqu’à ce qu’une illumination me vint : et le troisième ?

— Nous n’étions pas censés être trois ?

— Si. Il ne devrait pas tarder. J’ai hâte de le rencontrer.

— Moi aussi.

Je mentais. J’avais ce pressentiment que tout était trop beau et qu’il fallait forcément une tache dans le tableau. Moi, avec Henri, un type super agréable, qui allons vivre sur un phare gigantesque avec une vue magnifique. Je sentais que mon deuxième collègue allait être… particulier.

Après quinze minutes de retard, il arriva avec nonchalance, comme s’il n’y avait aucun problème tandis que Henri et moi patientions désespérément. Je considérais cette attitude comme un manque de respect, mais soit, puisque j’allais vivre avec lui, autant apprendre à le connaître avant de le juger.

— Paulin Devereux, en…

— Félix.

Sa voix était sèche, roque, grave. Il avait bien la trentaine, plus âgé que moi donc. Ses rides autour de ses yeux verts le trahissaient, et ses dents jaunies par la cigarette le rendaient davantage vieux. Il avait le culot d’avoir le crâne rasé, signe de rébellion. Bref, un beau pactole.

Il n’en avait rien à faire de nous, et je sentais qu’il allait devenir le problème. Quand je lui tendis la main, il m’ignora comme si je n’étais qu’un vulgaire mouchoir usagé. Henri m’adressa un regard désolé, et fit une légère grimace de soutien : lui aussi avait des appréhensions sur ce Félix.

Félix s’assit sur l’un des bords du bateau et nous ignora tout au long du trajet, même quand Henri vint se présenter à lui. Tant pis pour lui. Je m’isolai avec Henri, et nous discutâmes de tout et de rien jusqu’à ce sujet.Un sujet que j’avais maladroitement lancé, affichant ma peur irrationnelle.

— Ça ne vous fait pas peur… Je veux dire… Tévennec ?

Il rit aux éclats comme si j’avais dit la pire des imbécilités, et je me sentais stupide d’avoir posé cette question. Bien évidemment qu’elle était incongrue ! Je ne le connaissais pas et je lui expose déjà mes peurs irrationnelles qui ne mènent à rien. Tévennec n’était rien qu’une île de roches, avec un phare pour diriger les navires. Point. Il n’y avait ni fantôme ni meurtre au sein de cette bâtisse. Seulement du cuivre à astiquer.

— Bien sûr que non, finit-il par me répondre. Tout ça… Ce ne sont que des légendes urbaines. Rien de très réaliste.

— Tout ça, c’est des conneries !

La voix si spécifique de Félix résonna dans mes oreilles. Il nous rejoignit sur le devant du bateau et continue sur sa lancée :

— Faut vraiment être con pour penser que c’est vrai.

Son insolence m’horripilait et je n’avais qu’une envie : lui mettre un bon coup de poing dans la face. Mais je me retins, car après tout, je ne le connaissais pas encore En bon optimiste, j’avais espoir qu’il ait un bon fond, qu’il soit quelqu’un de bien et qu’il cache juste cet aspect de lui pour ne pas paraître trop fragile.

Pendant que je m’obligeai à me taire, il me tapota du coude, un sourire moqueur sur son visage. Le premier sourire que je vis de sa part. Malsain. Glauque. Qui me faisait froid dans le dos.

— Eh, reprit-il, me dis pas que t’y crois ?

— Bien sûr que non !

Il ne s’agit là que du folklore breton, rien de bien sérieux. Certes, des choses étranges s’étaient passées depuis son ouverture : des anciens gardiens qui sombraient dans la folie et surtout… des morts. Mais tout était explicable rationnellement : la solitude faisait perdre la tête. Ces anciens gardiens avaient été étudiés par les psychiatres et ces derniers en avaient déduit qu’ils souffraient d’isolement social, créant anxiété et dépression. Quant aux morts… Eh bien, ce n’étaient que de simples accidents.

— Pourquoi tu m’as l’air tout pâle alors ?

Si j’étais blanc comme un cadavre, ce n’était pas à cause des légendes de Tévennec, mais du mal de mer. Oui, j’étais malade en bateau, le comble pour un gardien de phare. J’avais honte. Honte de paraître faible, trop sensible, trop… Alors je pris sur moi et je m’imposai une phrase en boucle dans ma tête jusqu’à tant qu’elle s’ancre dans la réalité : « Si je décide que je vais bien, alors je vais bien. »

Je ne répondis que d’un roulement d’yeux, l’air agacé par sa remarque désagréable. Tout comme sa personne. Et je regrettais déjà d’avoir choisi ce poste, ou du moins, d’être coincé avec Félix.

Heureusement, Henri était là. Il me lança un de ses sourires chaleureux qui réconforterait n’importe quel dépressif, marqué de toutes ses dents. Il avait une dentition parfaite, et je l’enviais pour sa beauté naturelle tandis que moi, je passais une heure chaque matin à prendre soin de moi pour qu’aucune femme ne se retourne sur moi.

— Ça va aller, Paulin.

— Lilin. Appelez-moi Lilin.

Il haussa les sourcils et fit un sourire à l’envers, l’air satisfait de mon surnom. Il ne mit pas de temps à comprendre que je détestais mon prénom, et que m’appeler de la sorte me renvoyait à ma relation avec mes parents : chaotique.

— Allez Lilin, sois heureux. On va vivre de belles expériences, tous les trois ! Tévennec n’attend plus que nous.

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