4 : Félix

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Septembre 1936.

Le phare nous attendait. Beau. Majestueux. Impressionnant. Il était planté là, comme une âme sœur qui s’était éprise de nous et patientait de nous voir entrer dans sa vie. Une importante tour de roche grise, avec à son sommet les vitres dont les nettoyer allait être notre quotidien. La maison était grande, presque trop pour seulement trois gardiens, mais ça ne pouvait que nous combler. Ah, j’étais heureux !

Quand je posai un pied sur l’île, je ressentis les battements de mon cœur s’intensifier tel le jour où j’ai embrassé pour la première fois ma femme. Une évidence. Le destin. J’étais fait pour être là, à cet instant présent, pour rencontrer l’amour de ma vie. Et je me rendis compte que je n’avais jamais été aussi comblé de mon existence qu’en ouvrant la grille qui menait à la bâtisse.

— Sacré phare.

Henri posa sa main sur mon épaule, nos deux regards levés vers la grande tour aussi haute qu’un monument historique.

— En effet. Il est magnifique. Et cette vue…

Je n’avais aucun mot pour décrire la vue qui s’offrait à nous. Une mer infinie qui s’étendait jusqu’à perte de vue. Des vagues, l’odeur de sel, le bruit du vent. Je ne regretterais pour rien au monde d’avoir accepté ce poste. Ça, non.

J’ouvris la grille et sortis les clefs de ma poche pour enfin pénétrer dans ce paradis marin. On était bien loin du purgatoire qui nous attendait, d’une vie difficile sur cette île, d’un moment psychologiquement éprouvant. Non, ce bâtiment nous rendait notre âme.

L’intérieur de la maison était chaleureux, un salon spacieux, lumineux malgré le manque de fenêtre, une cheminée qui nous promettait de bonnes soirées entre potes. La cuisine était certes vieillotte, mais suffisait pour nous donner à manger. J’en profitai pour ranger la nourriture du sac que nous avions apporté dans les placards. Rien de bien glorieux, majoritairement des conserves ou de la viande séchée. Nous devions tenir deux semaines avant que le quatrième gardien nous rejoigne pour prendre la relève de Paulin.

— Eh bien… On peut dire qu’on est bien lotis.

— Sortez le jeu de cartes, s’enthousiasma Paulin.

— Et la bière !

J’admettais que nous avions beaucoup de travail, surtout du nettoyage, mais après plusieurs heures en bateau, je n’avais qu’une envie : flâner. Alors nous prîmes deux bières, car Paulin ne buvait pas et nous jugeait fortement à l’idée que notre premier réflexe soit de boire de l’alcool. Quoi que, pouvait-on réellement parler d’alcool ? Ce n’était pas avec une bière que je finirais ivre mort.

Nous nous posâmes dans le salon et une discussion s’entama naturellement, comme si nous nous connaissions depuis toujours. Paulin était toujours un peu en retrait, mais à mesure que les heures passaient, il se détendait et profitait avec nous. Nous allumâmes la cheminée, la chaleur du feu nous faisait un bien fou en ce début de nuit. Nous étions en fin d’été, les journées se rafraîchissaient et rétrécissaient, alors un feu ne faisait pas de mal.

J’étais vraiment satisfait d’être ici, en bonne compagnie, avec le bruit de la mer en fond.

— Cet endroit est superbe. J’comprends pas que les précédents gardiens restaient pas plus de six mois ici.

Paulin écarquilla les yeux comme si l’on venait d’entrer dans son terrain de jeu. Comme si je venais de lancer le sujet. Son sujet.

— En même temps… Vu ce qui est dit sur ce lieu.

— On sait que dalle !

— Et le fait qu’il soit maudit ?

— Du pipeau.

— Un homme se serait tué ici. Dans ce salon.

— C’est des conneries qu’on raconte pour faire peur aux gosses.

— Non. C’est sérieux. On rapporte qu’il serait tombé sur son couteau. Étrange, n’est-ce pas ?

— Un accident. Tout bonnement.

— Et tous les gardiens devenus fous et qui se seraient donné la mort ?

Je n’avais plus d’argument pour faire taire Paulin. Il était borné, persuadé que les légendes de Tévennec étaient réelles. Finalement, le fou, c’est peut-être lui. On ne pouvait rien faire pour le résonner, il était sûr de lui, de ses dires. Alors Henri mit un terme à cette discussion et proposa, au vu de l’heure qui avait défilé sans qu’on s’en aperçoive, de partir se coucher chacun de notre chambre. Je n’étais pas contre cette idée, j’étais épuisé de ma journée entre le trajet en bateau, les émotions subies face au phare et aux imbécilités de Paulin.

Nous partîmes nous coucher à minuit, une heure tardive, car nous devions nous lever à l’aube pour remplacer Paulin qui veillait cette nuit pour faire fonctionner le phare. C’était une tache très importante et je n’étais pas rassuré à l’idée de laisser le plus jeune, avec peu d’années de carrière derrière lui, s’occuper de la première nuit. Mais j’étais claqué, j’avais besoin d’une bonne nuit de sommeil, alors je ne contestais pas.

J’étais si fatigué que je m’endormis sans m’en rendre compte, juste après m’être couché. Le lit était moelleux, confortable, et la chambre, faite de bois ancien, était chaleureuse. Malgré les grincements du parquet et des meubles, je n’eus aucun mal à fermer les yeux et me laisser guider par mon corps…

Bam !

Un énorme bruit me fit sursauter et me sortit de mon sommeil paisible. Un vacarme puissant, mais court. Comme… un coup de feu ? Je me précipitai dans le salon, tombai sur Henri, tout aussi confus que moi. Nous ne savions pas d’où venait le bruit, et ça ne faisait qu’augmenter l’angoisse d’un danger imminent. Je jetai un rapide coup d’œil sur l’horloge de la pièce : trois heures trente-trois du matin.

Paulin descendit du phare pour nous rejoindre, j’attendis des explications. Maintenant.

— C’était quoi ça, putain ?

— C’était… un oiseau.

— De quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?

— Un oiseau s’est écrasé sur la vitre de la maison. Je l’ai vu foncer droit sur nous pendant que j’examinais l’horizon.

Nous allâmes à la fenêtre de la cuisine et l’ouvrîmes tant que la mer était calme. Une mouette était à terre, sur la roche, dont sa blancheur contrastait avec l’île. Elle avait le cou brisé. Morte sur le moment. En vingt ans de carrière, je n’avais jamais vu ça. Comment un oiseau peut-il s’écraser sur un phare ?

Néanmoins, cette explication me soulagea. Ce n’était qu’un stupide oiseau. Un tragique accident tout à fait naturel. Tout allait bien. Il n’y avait aucun problème.

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