5 : Henri

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Décembre 1936.

Nous nous fixâmes avec Gaby et Isaac, tous trois perturbés par ce qui semblait être un mystère. Le mystère de Tévennec. Nous étions dans le salon, seuls. Pas un chat. Et encore moins de gardiens de phare. Où étaient passés Félix, Lilin et Blanche ? Ça n’avait aucun sens. L’île était minuscule, même pas de quoi faire une balade extérieure. Ce n’était qu’un bout de caillasses avec une maison et un phare dessus. Pourtant, il n’y avait pas de Félix ni de Lilin et encore moins de Blanche.

Nous étions sans voix, dans un silence qui traduisait parfaitement notre crainte. La crainte qu’il se soit passé quelque chose de catastrophique ici. Gaby finit par claquer des mains, l’air déterminé à découvrir ce qu’il s’était passé ici. Après tout, c’était son travail. Et s’il pensait avoir été envoyé dans une enquête ennuyante et prévisible, il ne s’attendait pas à découvrir une telle énigme.

— Inspectons les lieux.

Nous fouillâmes la pièce dans l’espoir de trouver un indice qui nous indiquerait où se trouvaient mes camarades. Mais je ne trouvais rien. Rien qui sortait de l’ordinaire, qui n’était pas là avant. La pièce était en ordre, du moins, comme d’habitude. Un peu de bordel qui prouvait que trois personnes vivaient ici, mais rien de bien choquant. Je commençais à me dire que nous ne trouverions jamais la solution à ces disparitions quand Gaby nous partagea une découverte qui me laissa perplexe. Où voulait-il en venir ?

— Regardez ça.

Il se tenait devant la pendule du salon, une belle bête en acajou, faite à la main. Son tic et tac me berçait à mesure que je l’écoutais : j’adorais ce son. Un son qui n’était plus. Il n’y avait plus un bruit.

— Elle s’est arrêtée.

— Oui. À trois heures trente-six du matin.

— Ce qui signifie… ajouta Isaac. Ce qui signifie qu’ils ont disparu avant trois heures trente-six du matin.

Je n’étais pas bien convaincu, mais je n’osai rien dire. À la vue de cette heure, j’eus tout de suite tiqué : l’oiseau. L’oiseau cognait à trois heures trente-six du matin à la fenêtre. Mais c’était stupide de croire qu’il y avait un lien entre ces deux évènements. Ça ne pouvait être qu’une coïncidence. Alors je n’en parlai pas, laissant ce souvenir rester un simple souvenir.

Gaby nota tout sur un calepin et nous continuâmes à chercher d’autres indices. En fait, nous cherchions ce qui ne sautait pas aux yeux, qui paraissait banal à première vue, mais qui cachait des choses. Et quand je compris que nous étions à la recherche de l’invisible, j’eus un tilt.

— La cheminée.

— Quoi, la cheminée ? demanda naïvement Isaac qui n’avait l’air d’avoir aucune expérience en enquête policière.

— Bien vu, Duval, me félicita Gaby, qui lui comprit immédiatement ce que je sous-entendais. Elle est froide, Isaac.

— Oh. Ils ont disparu depuis longtemps, alors.

— Effectivement. Ils n’auraient pas pu tenir en ce mois de décembre sans la chaleur du feu.

Cette réflexion m’inquiéta terriblement. Parce que s’ils étaient toujours vivants, et je l’espérais du plus profond de mon cœur, comment auraient-ils pu tenir dans le froid et l’humidité extérieure ?

— Continuons.

Gaby n’avait pas de temps à perdre. Ce n’était pas lui qui avait partagé trois mois collé à ces trois disparus ni lui qui s’était attaché à eux et qui s’imaginait le pire à mesure que les indices tombaient. Je n’eus pas le temps d’encaisser ce que nous venions de découvrir que nous nous retrouvâmes à la cuisine. Complètement propre. La vaisselle avait été faite, le sol nettoyé. C’était même trop propre.

— Elle n’est pas comme d’habitude.

— Que voulez-vous dire ?

— On laissait toujours deux ou trois ustensiles sales dans l’évier. Là, il n’y a rien.

— Vous voulez dire, comme si elle avait été… nettoyée ?

— Je n’en sais rien. Je remarque juste qu’elle est propre.

Je ne voulais pas faire de supposition, déjà par respect pour mes amis, et parce que je n’étais pas enquêteur. Je n’en savais fichtrement rien. Mais pour les policiers, ils étaient persuadés que je détenais la solution. Peut-être par désespoir tant ce mystère était étrange. Comment trois personnes pouvaient se volatiliser en même temps ? Sans que personne ne s’en rende compte ?

Nous allâmes dans les chambres : les lits étaient faits. Comme s’ils ne s’étaient jamais couchés. Ce qui donna un indice supplémentaire sur le moment où le drame avait eu lieu à Gaby.

— Bien. S’il s’est passé quelque chose, c’était en pleine journée.

— Oui.

Ma voix était sèche, désespérée… Je ne pouvais plus rester dans le déni. Parce qu’en l’occurrence, il s’était passé quelque chose d’inavouable en ce lieu.

Isaac:me tapota le dos, un geste affectueux et d’autant plus maladroit.

— Ça va aller. On les retrouvera.

— J’ai bien peur que ce ne soit compliqué.

— Écoutez, Monsieur Duval, nous ne savons rien de ce qui s’est passé encore. Il y a des tas d’hypothèses, et celles comme quoi ils seraient sains et saufs existent encore.

— Vous avez raison.

— Bien sûr que j’ai raison. Nous devons garder espoir.

Nous rejoignîmes l’entrée, là où nous déposions nos manteaux et… Je remarquai quelque chose qui ne fit qu’augmenter mon pessimisme. Je doutai sérieusement qu’on puisse les retrouver, encore plus vivants. Gaby et Isaac ne virent pas ma constatation pourtant si évidente. Je fus paralysé par la peur, le visage probablement blanc livide : mon corps se décomposait à vu d’œil. Parce qu’il manquait un manteau.

— Vous… Vous avez vu… Les manteaux !

— Oh. Il en manque un.

Oui. Sur les trois manteaux, plus que deux étaient présents. Ça ne signifiait qu’une chose : ils étaient partis précipitamment comme si une urgence avait eu lieu et les avait empêchés de prendre quelques secondes pour mettre leur manteau. Ce qui garantissait qu’ils étaient dehors. Du moins, au moins l’un d’entre eux avait mis les pieds à l’extérieur. Par cette tempête ? Comment c’était possible ? Que s’était-il passé à la fin ? Qui aurait pris le risque d’aller dehors avec les bourrasques, les vagues, la pluie… C’était un coup à se tuer ! Peut-être Lilin… Avec son inexpérience, il aurait pu être naïf et penser qu’il détenait assez de force pour résister à tous ces éléments dangereux. Ou bien Félix, avec son caractère bien trempé, il se croyait intouchable, invincible… Je n’avais aucune idée de ce qu’il s’était passé, mais une chose était sûre : ce n’était pas normal.

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