À vous qui passez sans me voir... 2
Je viens d’être posé à même le sol. Il reste le seul à pouvoir me supporter, dernier étai à mon imposante envergure. Je deviens ainsi objet de décoration et m’affiche sous des airs de promotion. Malgré moi, je ne sers plus à grand-chose, une fois le coup d’œil avisé passé. Je me noie dans un ensemble. Avant je trônais au-dessus du cœur du foyer ; aujourd’hui je me contente de faire partie du décor. Pire, quand une photo se prend, on m’évite avec soin à cause de mon reflet qui gâterait la prise. J’ai beau vouloir leur faire comprendre que je ne suis pas fautif de l’éclair renvoyé, ils n’en ont cure et me déplacent sur le côté. Et je ne suis plus sur la photo !
Je passe maintenant de longues heures à observer le temps qui passe sur le mur d’en face. Je vois des pieds défiler, parfois précédés d’une canne fébrile et déséquilibrée. Mon horizon se confond sans surprise avec la plinthe à la ligne sans début ni fin. Pour moi et sans aucune discussion possible : la terre est plate !
De temps en temps, on accroche outrageusement à mon revers quelques photos. Ce n’est plus moi sur qui l’on s’attarde mais sur ces étiquettes. Je suis oublié derrière ces productions bien éphémères. Les promotions s’égrènent au rythme des saisons ; une fête de famille, un retour de vacances m’estampillent et me volent la première place. Parfois ma vue se brouille de paillettes grises ; mes larmes dessinent alors quelques fines lignes zébrées. Sans ménagement, je reçois sur ma surface fragile des jets au goût acide qu’un tissu "graineux" essuie avec vigueur. Je me raye sous la violence du mouvement, en silence.
Mes instants se suivent et se ressemblent dans une éternité de mauvais aloi.
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