Chapitre 44
Layla
Pour Noël, nous ne sommes que tous les deux. C'est la première fois que cela m'arrive, de ne pas passer cette fête avec ma famille. Mais cela n'est pas un souci. C'est juste une autre étape, une autre façon d'envisager la vie, le quotidien. Petit à petit.
Depuis mon arrivée, nous avons peu bougé. Deux petits tours au village, une balade à Vals-les-Bains, décorée et jolie sous la neige : on voit moins les murs décrépis, les maisons fermées, les usines abandonnées.
Et en ce matin de Noël, comme le soleil brille, nous décidons de faire la randonnée du volcan. Nous n'irons peut-être pas jusqu'au sommet, tout dépendra de la hauteur de neige à certains endroits. Mais je doute que le sentier soit impraticable : l'épaisseur de neige n'est pas très conséquente et avec les arbres, le sentier est en grande partie bien abrité, au moins jusqu'à mi-parcours. Néanmoins, comme nous avons tous les deux bien envie de marcher et que nous ne savons pas jusqu'à quelle altitude nous allons pouvoir aller sur le volcan, peut-être serons-nous obligés de faire demi-tour assez vite, nous décidons de partir à pied des Auches et non d'aller en voiture jusqu'au col d'Aizac. Cela allonge bien la promenade, mais au moins, nous sommes certains de pouvoir parcourir une bonne distance. Et si nous pouvons rejoindre le sommet, ce ne sera pas pour autant un problème de faire tout le parcours.
Nous allons en avoir pour trois bonnes heures de marche, si nous faisons toute la randonnée, aussi partons-nous avec un encas, des biscuits, de l'eau et des fruits. Nous déjeunerons au retour, même un peu tard. De toute façon, ce midi, nous avons prévu de manger léger : le bon repas de fête est pour ce soir.
Les rayons du soleil jouent dans les branches nues des châtaigniers, se reflètent dans la neige. C'est beau. Il n'y a pas de vent, le ciel est d'un bleu très limpide. Le silence nous entoure, on n'entend pas un seul chant d'oiseaux, juste le murmure du ruisseau des Fuels, qui descend dans la vallée depuis le Col d'Aizac et alimente la cascade de l'Espissard, à côté de chez Alexis.
Nos souffles forment un peu de vapeur devant nos visages. Nous avons pris nos bâtons de marche, mais tant que nous sommes sur la route, nous ne les utilisons pas. L'allure d'Alexis a changé, en quelques mois. Certes, c'est l'hiver, et il s'est couvert en conséquence. Mais il a abandonné son bâton industriel pour un bien différent, en bois de châtaignier. Et il porte une veste assez épaisse qui le fait presque ressembler à un bûcheron. C'est certain : petit à petit, il se fond ici. Il devient un des nôtres. Ce sentiment s'accentuera encore quand il commencera à exercer. Oui, parfois, il me tarde qu'il puisse commencer ! Je suis certaine qu'il retrouvera alors sa pleine assurance, sa force, son plaisir aussi à prendre soin de ses patients. Qu'il pourra exercer son métier tel qu'il l'a toujours voulu et rêvé.
Jusqu'au village, nous marchons main dans la main, au même pas. Dire qu'il y a encore quelques jours, je me trouvais dans la grisaille parisienne ! Et même si le ciel était couvert pour mon arrivée ici, c'était bien différent. Et aujourd'hui, c'est toute la nature qui rayonne autour de moi et m'offre ses belles heures d'hiver. A Paris, l'hiver est triste, froid, humide. A Aizac, l'hiver est doux, joli, même sans la neige. La nature se repose et nous aussi. Et l'hiver, ici, c'est la main chaude d'Alexis dans la mienne, même à travers nos gants. C'est son sourire doux. C'est son regard lumineux et amoureux.
C'est mon cocon plus précieux et plus beau encore qu'auparavant.
Alexis
Je suis heureux que nous puissions nous offrir cette randonnée, ce matin, Layla et moi. Je ne savais pas trop ce qu'il allait être possible de faire, avec la neige, et je m'étais même dit que si nous voulions randonner, nous allions devoir aller au sud d'Aubenas, dans la plaine. S'il a neigé sur les Cévennes ardéchoises, ce n'est pas le cas dans la région des Gorges, sur le causse, ni vers la vallée du Rhône.
Finalement, le sentier du volcan s'avère tout à fait praticable. Nous ne pouvons cependant atteindre le sommet, car une partie est à découvert et la neige s'y est bien accumulée. Nous préférons ne pas prendre de risque, mais cela nous permet quand même de monter à une bonne altitude et d'avoir une belle vue sur les alentours. Je connais bien les lieux, maintenant, et me repère sans difficulté.
Nous prenons le temps de redescendre, de rentrer à la maison où nous arrivons vers 13h. Nous finissons quelques restes, un peu de soupe et de purée de potiron, un fruit, puis nous nous attaquons aux préparatifs du repas du soir.
Pendant que Layla passe sous la douche et se prépare pour la soirée, je dresse la table. Je trouve une belle nappe brodée, assez longue pour la couvrir entièrement. De la vaisselle ancienne, juste six couverts, mais c'est largement suffisant. J'utilise quatre petites assiettes pour ma part du menu et dispose seulement deux grandes sur la table, avec les couverts et les verres. Des serviettes brodées complètent l'ensemble. En début d'après-midi, j'ai aussi ouvert une bouteille de vin rouge puisque Layla nous prépare du canard. Pour le reste du repas, ce sera champagne.
Quand elle remonte, tout est prêt, sauf moi. Et elle, elle est magnifiquement belle. Ses cheveux tombent en cascade sur ses épaules, et elle a retenu des mèches pour les attacher en arrière, avec un joli ruban rose. Elle porte une longue robe du même rose, avec une étole pour couvrir ses épaules. Je n'ose imaginer la couleur de ses dessous, mais ça doit être très joli. A ses oreilles, de jolis pendants et un collier assorti. Elle s'est légèrement maquillée, soulignant son regard profond d'un trait de mascara et d'un peu de fard sur ses paupières, de même un léger voile rosé colore ses joues, mais c'est tout. Ses lèvres n'ont pas besoin de couleur pour être si joliment nacrées.
Je l'enlace et lui dis :
- Tu es superbe. Tu es un magnifique cadeau de Noël, mon amour.
Elle sourit, un peu mutine et me glisse :
- Mais ce n'est pas l'heure de déballer...
Nous rions et je l'embrasse.
- Je vais me préparer moi aussi. Je n'en ai pas pour longtemps.
- J'ai encore quelques petites choses à ajouter, me dit-elle. Pas de soucis. Oh, mais tu as fait une très jolie table !
Elle laisse échapper un petit soupir et ajoute :
- Tu as trouvé la belle vaisselle de ma grand-mère. La nappe, c'est Tantine qui l'avait brodée quand elle était jeune femme. Cela fait bien longtemps que cela n'avait pas servi. C'est bien. Rien que cela, c'est un cadeau pour moi.
- J'en suis heureux, dis-je avec un peu d'émotion.
Puis je l'embrasse à nouveau tendrement.
- Allez, va te préparer, que je termine ! dit-elle avec un enthousiasme retrouvé, qui efface son émotion.
**
Ce Noël, c'est un nouveau départ. Pour moi, pour Layla. Pour elle, elle me l'a avoué, c'est le premier sans sa famille et le premier depuis une éternité à Aizac. Cela ne lui donne que plus de valeur à mes yeux. Et pour moi, c'est aussi le premier Noël heureux depuis la mort de mon père. Le dernier Noël de son vivant, nous avions pu le passer tous les quatre ensemble, Pauline, Aglaé, papa et moi. J'étais de service pour le Nouvel An seulement. Après coup, je m'étais dit que c'était bien tombé... A cette date, Aglaé croyait encore au Père Noël, et nous lui avions fait de jolis cadeaux. Cela avait été un Noël simple. Des petits plaisirs, un joli repas. Les yeux de mon père et ceux de Pauline brillaient doucement. Je les sentais, je les voyais heureux.
Cette fois, c'est totalement différent. Nous sommes juste Layla et moi. Pour un repas et une soirée de fête. Nous avons tenu l'un comme l'autre à vraiment marquer ce Noël, cette date. Je n'ai pas fait de folies pour décorer la maison, la pièce est si grande qu'il m'aurait fallu un plein chargement de guirlandes pour réussir à faire quelque chose de vraiment joli. Finalement, le sapin et la table suffisent. En plus de la vaisselle et de la nappe, j'ai placé des petites bougies et quelques décorations : petites pommes de pin ramassées cet automne, lors d'une randonnée en altitude, branches de houx avec leurs fruits rouges. Cela donne cette petite note conforme à cette soirée.
Lorsque je regagne l'étage, Layla doit en avoir terminé, même si je ne vois rien de bien différent. Ah si, dans mon assiette trône un petit paquet. Ok. Alors, je vais chercher le mien que j'ai caché dans le buffet et le dépose dans la sienne. Il est à peine plus petit. Elle me sourit, m'enlace à son tour.
- Tu es vraiment tout beau. Smart...
- Il fallait bien que je réussisse à te faire honneur !
- Embrasse-moi...
Je m'exécute bien volontiers, puis la mène à sa place.
- Assieds-toi, j'apporte l'entrée.
Pour que ce soit plus confortable, j'avais repoussé les bancs sur un côté de la pièce et disposé les deux chaises à la place. Nous sommes assis face à face, Layla tournant le dos à la cheminée pour qu'elle puisse mieux profiter de sa chaleur et moi dos à la cuisine. Ce sera aussi plus facile pour faire le service. J'apporte d'abord le champagne que je débouche et sers dans les jolies coupes, puis j'amène l'entrée.
Nous trinquons, puis je me lève pour me pencher un peu au-dessus de la table et l'embrasser :
- Joyeux Noël, Layla.
- Joyeux Noël, Alexis.
Son sourire est si doux, si heureux, que rien, vraiment, ne pourrait me faire plus plaisir à cet instant.
Nous prenons tout notre temps pour dîner, interrompus cependant par plusieurs appels : ses parents d'abord, et ses neveux qui veulent lui souhaiter un joyeux Noël, puis Bruno et Adèle qui ne restent pas longtemps car ils sont en famille, mais tenaient à nous faire un petit coucou quand même. Je profite que Layla lance la cuisson de la viande pour appeler d'abord ma mère, puis Pauline et Aglaé. Elles aussi ne sont que toutes les deux, mais je promets que nous passerons les voir dès que nous remonterons sur Paris. Et je me dis que l'an prochain, ce serait chouette si elles pouvaient venir ici. Aglaé tient à parler à Layla, pour lui souhaiter aussi un joyeux Noël, ce qui la touche beaucoup et me fait très plaisir. Elle interrompt ses préparatifs juste le temps d'échanger quelques phrases avec la petite, puis je reprends l'appel.
Nous avons attendu le dessert pour ouvrir nos cadeaux et c'est presque une bataille pour déterminer lequel d'entre nous ouvrira le sien en premier. Finalement, je cède et découvre un cd bien particulier : une compilation de toutes les chansons de Ferrat évoquant l'Ardèche. Avec le titre-phare de "La Montagne", bien entendu.
- Voilà, me taquine-t-elle gentiment, comme cela, tu seras incollable sur ce qu'il a écrit et chanté en lien avec ici et nous tous.
- Tu as raison. Je pourrais même épater les champions à répondre aux touristes trop curieux...
- J'aimerais voir ça ! rit-elle.
- Bon, à toi, maintenant.
Elle ouvre délicatement le papier, puis l'écrin. A l'intérieur se trouvent un collier et une paire de boucles d'oreilles.
- Oh ! Oh, alors là, je vois très bien où tu les as achetés !
- Je t'ai dit que j'avais enregistré beaucoup de détails te concernant, je n'ai pas manqué celui-là.
Lorsque nous nous étions promenés à Balazuc, l'été dernier, Layla s'était arrêtée devant la vitrine d'une petite boutique de bijoux, tenue par une créatrice. J'avais bien noté qu'elle avait longuement contemplé cet ensemble, et j'étais retourné, en septembre, pour l'acheter.
Elle se lève, gagne la chambre de sa Tantine pour retirer les bijoux qu'elle avait choisis pour ce soir, et les remplacer par son cadeau. Elle revient avec le sourire et s'approche de moi, je me tourne un peu pour qu'elle puisse s'asseoir facilement sur mes genoux. Elle m'embrasse longuement avant de dire :
- Merci, Alexis. Ils sont très jolis.
- Et ce n'était pas du tout prévu, mais ils vont bien avec ta robe. J'ai hésité avec le modèle qui était plus bleuté, mais il était trop clair par rapport à tes yeux. J'ai pensé que celui-ci irait mieux.
- Tu as eu raison, il m'avait tapé dans l'œil !
Je souris.
- Bon, on va écouter ton cadeau aussi ! Il n'y a pas de raison !
Elle s'échappe de mes genoux, attrape le disque et descend l'escalier : la chaîne HI-FI est en bas et à l'étage, je ne crois pas qu'il y ait de quoi écouter de la musique, pas même une petite radio. Avant même qu'elle remonte, la belle voix grave se fait entendre.
- Ca va aller, là ? Pour le son ?
- Oui, c'est bien. Tu peux mettre un tout petit peu plus fort, si tu veux. Mais on entend bien déjà.
- Ok.
Elle remonte et je l'attrape au passage, l'enlace.
- La montagne est très belle, je le reconnais. Il avait raison. Mais toi...
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