Chapitre 52

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Layla

Ce soir-là, je traîne un peu au bureau, trouvant prétexte à tout et à n'importe quoi pour y rester plus tard que d'habitude. Alexis est reparti en fin de matinée, je vais me retrouver seule chez moi et je n'en ai aucune envie. Je repousse ce moment, sachant pertinemment qu'une fois la porte de l'appartement franchie, un coup de blues me tombera dessus. Je ne sais pas quand nous allons nous revoir.

Il ne pouvait pas prolonger son séjour parisien, car il avait obtenu un rendez-vous à Montélimar demain, auprès du magasin spécialisé en équipements médicaux. Il va dormir à Montélimar ce soir, pour éviter d'avoir à faire trop de route et ne regagnera Antraigues que demain soir. C'était aussi simple et moins fatigant.

J'ai revu Maïwenn en début de semaine, elle m'a fait part des avancées de son étude. Malgré sa semaine de vacances, elle m'impressionne par tout ce qu'elle a déjà réalisé. Elle me présente des courbes et des croquis concernant l'activité et les coûts actuels et futurs de nos usines thaïlandaise et turque. De même, elle a réalisé des schémas intégrant les différentes projections d'augmentation des coûts (énergie, transport, matières premières...).

Cette première phase de bilan est absolument nécessaire et nous permet à toutes les deux, je dirais même à tous les trois en incluant Laurent, d'avoir ces données bien en tête et facilement accessibles. Nous allons pouvoir nous en emparer pour comparer avec la deuxième phase de l'étude de Maïwenn, à savoir les coûts de la relocalisation et ceux de la fabrication en France.

Elle a déjà dressé une estimation de la fermeture des deux usines, tout en proposant une évaluation du montant d'une éventuelle revente. Je ne veux pas, pour redonner de l'emploi à ma région, priver nos salariés étrangers de leur travail. Relocaliser oui, mais pas à n'importe quel prix non plus. Mais je ne doute pas un instant que nos installations, voire nos machines et nos salariés formés, intéresseront des hommes d'affaires. Il faudra être vigilant dans la négociation, mais c'est encore une autre question et je laisserai Laurent négocier ce point-là : c'est un homme et face aux Asiatiques et aux Turcs, une femme est une faiblesse. Tant pis pour mon amour-propre, je mettrai un petit mouchoir dessus. Mais si vente il y a, ce sera moi qui signerai. Et tant pis pour ces messieurs qui sont encore si rétrogrades.

La prochaine étape de l'étude sera d'évaluer la rénovation des usines et le rachat de matériel. Elle y inclura le recrutement et la formation des employés, quels que soient les postes. Je lui ai conseillé de partir sur la même base en nombre de salariés que pour les usines turque et thaïlandaise, ajoutant une variable car il faudra compter des postes en plus en France, et notamment des postes administratifs. Ils sont en nombre réduits là-bas. Ensuite, elle évaluera le coût de la création d'une toute nouvelle unité de fabrication, pour que nous puissions estimer la différence entre construction neuve et restauration de l'existant. J'espère en moi-même que cette différence ne sera pas trop importante, car dans mon esprit la rénovation s'inscrit aussi dans une démarche environnementale. Je n'aimerais pas devoir raser une des deux usines pour en construire une neuve. Même si je parviens à conserver l'Ardèche comme lieu d'implantation.

L'étude de Maïwenn avance donc bien, même s'il reste encore plusieurs étapes importantes. Déjà, je peux me dire qu'elle devrait réussir à tout boucler avant l'été prochain. Ce qui nous permettrait, à Laurent et moi-même, et plus largement à toute l'équipe de la direction, de faire notre choix et si nous optons pour la relocalisation, de l'annoncer avant la fin de l'année.

Je jette un regard à mon écran d'ordinateur. L'heure tourne. Je n'ai plus grand-chose à faire ici. Il faut vraiment que je rentre. Et après tout, Serge aussi a droit à sa soirée. Je me résous à éteindre ordinateur, lumière et à quitter mon bureau. Mon chauffeur m'attend au sous-sol.

- Bonsoir, Miss. La journée s'est bien passée ?

- Bonsoir, Serge. Oui, ça a été. Excusez-moi d'avoir un peu tardé...

- Pas de souci. Cela arrive d'avoir un dossier à boucler.

Je pourrais agréer, je n'en fais rien.

- J'aurais pu quitter plus tôt, Serge. C'est juste que je n'ai pas tellement envie de rentrer à l'appartement.

- Je comprends, fait-il d'une voix réconfortante. Avez-vous eu des nouvelles de Monsieur Alexis ? Est-il bien arrivé ?

- Il ne m'a pas envoyé de message, pas encore, dis-je en jetant un nouveau regard à mon téléphone personnel. Mais il a quitté la région parisienne en fin de matinée seulement, puisqu'il voulait repasser chez lui avant de partir, pour récupérer quelques affaires. Il veut profiter de chacune de ses visites ici pour emmener des choses à Antraigues.

- Il a raison.

- Je pense donc qu'il se trouve encore sur la route. Il m'avait envoyé un message en milieu d'après-midi pour me dire qu'il venait de passer Dijon et qu'il faisait une pause.

- Il ne devrait plus tarder, en effet.

- Il s'était arrêté au deuxième restaurant que vous lui aviez conseillé.

Serge sourit.

- Autant que mes adresses et "bons plans" lui soient utiles. Pour l'hôtel à Montélimar, en revanche, je ne m'y suis jamais arrêté. Mais cela me paraissait tout à fait correct.

- Il nous le confirmera demain.

- A-t-il eu des précisions pour ses démarches ?

Je secoue la tête à la négative :

- Non, pas encore. Mais si l'ARS ne leur donne aucune réponse d'ici la fin du mois, François fera intervenir la députée. Il trouve que ça commence à bien faire. Deux ans maintenant qu'il les relance et les contacte, même si la proposition d'Alexis est récente. Ce n'est pas comme s'ils n'étaient pas au courant de la situation sur le secteur d'Antraigues !

- C'est très juste. Il faut donc espérer que les choses vont vite s'enclencher maintenant.

- Oui, dis-je simplement avant de me plonger dans mes pensées.

J'ai expliqué à Serge, lors d'un de nos déplacements quotidiens, ce qu'il en était pour Alexis. Il est donc au courant de son projet d'installation à Antraigues. Et encore une fois, il se montre encourageant et confiant.

**

Finalement, notre petite discussion dans la voiture, entre Serge et moi, m'a fait du bien et j'arrive un peu moins triste chez moi. Après avoir verrouillé la porte d'entrée, je ferme un instant les yeux. Je ressens encore la présence d'Alexis, même s'il est parti. Et déjà, il me manque terriblement. Comment vais-je faire ? Que vais-je être sans lui ? Je vais devoir m'adapter, garder confiance, saisir la moindre opportunité, comme nous l'avions fait à l'automne.

Je pose mes affaires, me déchausse, enlève mon manteau. Puis je passe me rafraîchir dans la salle de bain et enfile ma tenue détente du soir. Une bonne part de soupe m'attend dans la cuisine, ainsi qu'un gratin de légumes. Trop pour le petit appétit que j'ai ce soir. Le gratin sera pour demain. Je m'active donc un peu pour réchauffer mon repas et m'installe au salon. Une fois la soupe avalée, je me contente d'un laitage et d'un ramequin de compote pomme-poire que Nadine a préparée la veille et dont il reste au moins deux parts.

Alors que je savoure mes dernières bouchées, mon téléphone sonne. C'est Alexis.

- Layla ?

- Oui, ça va ?

- Oui, bien. Je viens d'arriver. Enfin, je suis arrivé il y a un petit quart d'heure environ. Je suis à l'hôtel. Tu diras à Serge qu'il a l'air très bien. Calme, personnel accueillant. Et la salle de repas a l'air agréable aussi. La chambre est bien. Je verrai pour la qualité du lit demain !

- Bon, tant mieux. Tu as fait bonne route ?

- Oui, ça a été. Mais j'ai refait une pause après Lyon. C'est chaud à passer, cette ville. On se croirait presque sur le périphérique parisien, avec des automobilistes qui arrivent à conduire encore plus mal que les Parisiens.

Je ris un instant.

- Ne me fais pas croire que les Ardéchois conduisent bien ! Ils sont champions pour couper les lignes blanches et prendre des raccourcis dans les virages !

- Comme tous les montagnards, je crois... fait-il remarquer. Cela dit, comment s'est passée ta journée ?

- Bien. Rien de notoire. Des réunions, des décisions, des réflexions... Comme d'habitude.

- Je vois. Tu as dîné ?

- Je termine. Je suis rentrée un peu tard du bureau, mais je n'ai pas envie de traîner. Je crois que je vais vite aller au lit.

- J'espère que tu passeras une bonne nuit. Il me semble que tu n'as pas beaucoup dormi la nuit dernière...

- Encore une fois, c'est de ta faute. Comment faire autrement avec toi à mes côtés ? Mais je préfère encore cela que de me retrouver seule.

- Alors souviens-toi du remède miracle. Tu as droit à une cuillère de confiture de myrtilles ce soir. Et même deux. Surtout si les symptômes persistent.

- Bien, docteur. Je vais suivre vos conseils...

- Layla ?

- Hum ?

- Je t'aime. Je pense à toi. Dors bien.

- Merci, souris-je doucement. Moi aussi, je t'aime. Dors bien toi aussi.

- Je vais d'abord dîner, vois-tu ! répond-il avec un rire léger.

- C'est vrai.

- A demain. Je te raconterai ma visite et mes choix.

- Oui. A demain. Je t'embrasse. Fort.

- Moi aussi. Très fort.

Et nous raccrochons. Je termine rapidement ma compote, range les couverts sales dans le lave-vaisselle et gagne ma chambre. Après un petit passage dans la salle de bain, je me glisse dans mon lit. Et là, je découvre sous les draps un t-shirt d'Alexis avec un petit mot : "J'ai dans l'idée que la cuillère de myrtilles ne sera pas suffisante ce soir. Alors, je te laisse un doudou pour t'aider à t'endormir, mon amour."

J'attrape le t-shirt, le porte à mon visage, y trouve son odeur dont je m'enivre durant plusieurs secondes avec délectation.

Et je m'efforce d'ignorer les quelques larmes qui roulent sur ma joue.

Alexis

- Bonjour, Madame Barnier.

- Bonjour, Monsieur Perrin. Vous allez bien ?

- Oui. Je suis un peu en avance pour notre rendez-vous...

- Pas de soucis. Je suis à vous dans deux petites minutes. J'ai déjà imprimé plusieurs devis, si vous voulez les consulter en attendant ?

J'accepte volontiers les documents et commence à les lire. J'ai déjà discuté avec elle, j'ai regardé aussi sur internet et Bruno m'a donné son avis. Je devrais ainsi pouvoir aisément faire mon choix. Le plus important, c'est la table d'examen. Elle doit être de qualité, facile à utiliser, avec un système pour régler la hauteur, autant pour permettre au patient de s'y allonger aisément que pour moi, pour la remettre à mon niveau. Le reste du matériel consiste en des équipements plus petits : balance pour adulte et pour nourrisson, échelle de mesure et valise complète d'examen pour les déplacements à domicile. Pour l'équipement informatique, j'ai pris contact avec un magasin d'Aubenas. Petite boutique, mais le gars travaille en indépendant et propose aussi des services de maintenance. En cas de défaillance ou de panne, il s'engage à venir dans la demi-journée. J'envisage donc d'acheter ordinateur et imprimante auprès de lui. Le terminal de la carte vitale me sera fourni par l'assurance maladie. Il me suffira de convenir d'un rendez-vous avec leur service pour l'installation. Apparemment, ils sont rapides : ils n'ont pas intérêt à traiter des demandes de remboursements via formulaires papier.

Je passe ensuite une bonne heure à discuter encore avec Madame Barnier, pour affiner mon choix qu'elle enregistre. Selon elle, je pourrai recevoir tout le matériel dans les deux semaines suivant la commande. Elle me conseille donc de ne pas tarder dès que nous aurons la réponse de l'ARS. Elle me laisse deux exemplaires du devis, un à fournir à l'ARS comme pièce supplémentaire pour obtenir la subvention et l'autre pour moi-même.

Je quitte l'établissement en fin de matinée et décide de prendre aussitôt la route. Je m'arrête à Saint-Jean-Le-Centenier dans une petite auberge pour déjeuner, puis je repars sans traîner. Le ciel est d'un bleu très pur, bien loin des nuages gris qui couvraient la région parisienne hier. Dans la vallée du Rhône, le mistral soufflait et son influence se fait encore sentir ici, même si j'aperçois des nuages sur les montagnes : il est possible qu'il neige sur le plateau, Serge m'avait dit qu'il valait mieux passer par Lyon et l'A7 en cette saison et il avait conclu que c'était aussi bien que j'aie le rendez-vous à Montélimar.

Je passe Aubenas sans difficulté et arrive à Antraigues en début d'après-midi. Je commence par vider ma voiture : je ramène en effet quelques cartons de vaisselle, de vêtements, même si j'ai laissé des choses à Créteil pour ne pas me retrouver dépourvu pour mes prochains séjours.

Je remets aussi le chauffage en route et je monte au village en voiture pour faire quelques courses. Les "champions" sont là, je vais les saluer, mais ne m'attarde pas : je veux prendre le temps de faire un tour chez Layla, comme je le lui ai promis, puis passer une soirée tranquille chez moi.

Aux Auches, nous avons laissé le chauffage au minimum et j'estime que cela est suffisant. Pas la peine en effet de mettre plus fort alors qu'elle ne va pas y revenir tout de suite. Tout est en ordre, je fais juste un petit tour rapide. Nous avions eu le temps de tout ranger et nettoyer avant de partir chez ses parents.

Lorsque j'arrive chez moi, le jour touche à sa fin. Il est encore tôt pour appeler Layla, je me lance donc dans la préparation de mon repas. Et j'attends les alentours de 20h pour lui téléphoner.

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