Chapitre 69

6 minutes de lecture

Alexis

Je ne me demande plus où je dois retrouver Layla quand elle revient en Ardèche. Nos retrouvailles ne peuvent sonner qu'aux Auches, désormais. Du moins quand je ne vais pas la récupérer à Montélimar ou à Vals. Ce vendredi soir ne déroge donc pas à cette règle. Je termine vers 19h30, mon dernier patient étant parti il y a un quart d'heure. Je ne suis pas mécontent de réussir à tenir mes délais et la durée des consultations. Je ne sais pas comment Bruno parvient à faire en ne consacrant qu'une vingtaine de minutes par patient. Et encore, il y a pire. Chez certains praticiens, les rendez-vous s'enchaînent tous les quarts d'heure.

La semaine à venir s'annonce comme une deuxième pause, depuis l'ouverture du cabinet, après le week-end prolongé à Bordeaux, même si je prendrai des patients chaque jour ouvrable. Elle s'annonce surtout comme une que je vais passer avec Layla. Elle aura un peu de temps pour elle, aussi, quand je vais travailler. Pour voir quelques amis, s'occuper de la maison ou tout simplement se reposer.

Je prends directement la route d'Aizac, en quittant le cabinet, sans avoir besoin de m'arrêter chez moi. J'ai pris mes affaires ce midi, sans oublier les clés de la maison des Auches. Lorsque j'arrive, je constate que je suis le premier. Normalement, Layla et Serge ne devraient pas tarder. Elle m'a envoyé un message il y a presque une heure, lorsqu'ils faisaient un court arrêt à Lanarce.

J'étais passé mercredi soir, la maison n'est plus froide comme cet automne ou cet hiver. Pas besoin d'allumer le poêle ou de lancer une flambée dans la cheminée. L'air étant encore bien doux pour cette fin de soirée, je laisse d'ailleurs la porte ouverte sur la terrasse, pendant que je m'active en cuisine et à dresser la table.

La voiture s'arrête une petite demi-heure plus tard. J'entends les portières claquer et me dirige vers la terrasse. Layla est la première à s'avancer, je lui ouvre les bras, l'embrasse, oubliant un instant la présence de Serge. Il est resté près de la voiture et s'occupe des bagages avant de nous rejoindre. Un sourire éclaire son visage alors que je tends la main pour le saluer.

- Bonsoir, Serge. Le voyage s'est bien passé ?

- Bonsoir, Monsieur. Oui, très bien. En cette saison, le trajet a beau être long, il n'est pas difficile. Et Mademoiselle m'a relayé, nous n'avons pas traîné en route.

- Je m'en doute. A part le petit arrêt à Lanarce...

Layla, qui s'était écartée de moi le temps que je salue Serge, éclate de rire :

- A moins d'y passer un jour férié ou à une heure tardive, c'est impossible de ne pas s'y arrêter. Mais je n'ai pas pris trop de provisions.

- Tu as bien fait car j'ai pourvu, dis-je. Le repas est prêt d'ailleurs.

Nous gagnons rapidement l'intérieur de la maison. Serge reste dîner avec nous, puis repart pour Aubenas. Il va remonter sur Paris demain et reviendra chercher Layla en fin de semaine prochaine.

Lorsque nous nous retrouvons tous les deux, nous demeurons un moment sur la terrasse. Même si le soir est tombé, les températures sont encore agréables et je devine que Layla a envie de s'en imprégner et de s'imprégner de l'atmosphère environnante. Assis sur le vieux banc, adossé à la maison, nous en profitons un moment. Elle a appuyé sa tête sur mon épaule, j'ai passé mon bras par-dessus la sienne. De temps à autre, j'effleure sa tempe d'un petit baiser.

- C'est bon de revenir chez soi, me dit-elle en laissant glisser sa main sur ma cuisse. Oui, c'est bon de revenir chez soi.

Layla

Un an. A quelques jours près, cela fait un an que nous avons fait connaissance Alexis et moi. Et que, depuis, nous écrivons, semaine après semaine, retrouvailles après retrouvailles, notre histoire. Et qu'elle s'écrit surtout ici, à Aizac, à Antraigues. Dans mon pays.

Beaucoup de choses se sont passées, dans nos vies personnelles bien sûr, et professionnelles aussi. Le voilà désormais médecin à Antraigues, reprenant l'exercice de son métier après un burn out qui l'avait jeté à terre. Retrouvant le plaisir de soigner, d'écouter, de conseiller. Retrouvant aussi un sens à sa vie, à son métier. Et pas n'importe où. Dans un village, pour une population qui avait cruellement besoin d'un médecin. Qui résiste, encore et toujours, au lent engrenage de la désertification, à la violence du mépris pour le monde rural, et qui lutte pour sa survie.

Quant à moi, un an après, mon projet de réindustrialisation prend forme, de plus en plus nettement. Certes, Maïwenn ne m'a pas encore présenté ses premières conclusions, elle travaille toujours sur les projets rendus par les deux chargés d'études que nous avions rencontrés en mars, compare les éléments qu'ils ont apportés, les place en perspective avec ceux qu'elle a collectés depuis plus de six mois. Elle est cependant certaine de me rendre ses premières conclusions très bientôt et nous devrions pouvoir présenter le projet en réunion de direction, voire en conseil d'établissement dans le courant du mois de juin.

Ce premier matin, Alexis et moi avons déjeuné sur la terrasse. Il fait encore un peu frais, mais j'en avais trop envie. D'ailleurs, l'air se réchauffe vite. Il faut bien reconnaître que nous ne nous sommes pas levés très tôt, que nous en avons profité pour faire l'amour longuement, dans la lueur du jour levant.

Pour cette première journée de mon séjour, nous avons choisi d'aller à notre rythme, de ne rien prévoir. Nous décidons cependant de faire un tour à Antraigues dans l'après-midi. Les "champions" sont là et c'est tout naturellement que nous les rejoignons.

- Ah, ma belle ! s'exclame Marcel en me voyant. Tu es la jolie fleur qui revient toujours avec le printemps !

Et il me fait aussitôt la bise. Je salue les autres de même, alors qu'Alexis serre les mains en se faisant appeler "docteur".

- Vous allez bien ? demande-t-il à tous.

- Oh oui, ça va ! Tu n'es pas près de nous voir, Docteur ! déclare Maurice.

- Alors, c'est bien, répond Alexis. Je préfère vous croiser ici, sur la place.

- Vous faites une partie avec nous, les jeunes ? demande Roger.

- Volontiers. Nous avions prévu, dis-je en montrant l'étui que porte Alexis.

Comme les équipes sont déjà formées, c'est tout naturellement que nous nous ajoutons, Alexis et moi. Même s'il ne joue plus aussi régulièrement qu'avant, il a l'œil et le geste précis, ce qui compense mes approximations. Nous passons un moment bien agréable, tous ensemble. Les bons mots fusent, les plaisanteries aussi. Au final, nous nous retrouvons au coude à coude avec Maurice et Marcel, Roger et Bernard emportant la partie haut la main. Nous prenons place ensuite à la terrasse de "La Montagne" et j'offre la tournée.

**

Une fois de retour à la maison et après avoir dîné sur la terrasse, nous nous installons au salon, Alexis et moi, pour le dessert, car un air plus frais est en train de tomber. Un peu de musique, une salade de fruits dans les ramequins et nous voilà à profiter des ors du soleil couchant. La lumière est très belle et entre dans la pièce, à cette saison et même un peu tard le soir.

La voix d'Alexis me sort de ma rêverie alors que je pensais au programme de notre journée du lendemain.

- Layla, il y a quelques personnes, sur les photos, que je ne peux identifier. Tu me les présentes ?

- Hum ? fais-je en me tournant vers lui. Oh, oui, bien sûr... Bon, toute la famille, tu peux, je pense...

Je me lève et me place face au mur, commence à désigner quelques clichés :

- Là, Jacob bébé, et là, c'est Maxime. Après, plus grands... La photo de mariage de mes parents, celle de mes grands-parents. Et là, mes arrière-grands-parents posant devant la maison avec Tantine et mon grand-père, encore adolescents.

- On reconnaît bien la maison...

- Là, Tantine jeune fille. Une photo prise pour ses vingt ans. Elle était belle, n'est-ce pas ?

- Très.

- T'ai-je dit qu'elle avait, comme moi et papa, les yeux marine ?

- Non. Et c'est impossible à deviner sur la photo. Et le jeune homme à côté, c'est qui ?

Je marque un petit temps de silence avant de répondre :

- Son fiancé. Fabien. Il s'était engagé dans la Résistance... C'était une terre de lutte, ici.

- Je n'en suis pas surpris. Ca perdure.

- Il... Il a été arrêté, en 43. Emprisonné, torturé et exécuté. Tantine n'a jamais voulu s'engager avec un autre, pourtant, elle avait été courtisée...

Alexis se lève et vient m'entourer de ses bras :

- Je comprends mieux alors pourquoi elle n'a pas eu d'enfants. Et pourquoi elle s'était autant attachée à toi, et à ton frère et à ta sœur.

- Oui. Nous étions vraiment comme ses petits-enfants.

Je me tourne vers Alexis, glisse mes bras autour de sa taille, pour me blottir tout contre lui.

- Elle me manque beaucoup, tu sais. J'aurais aimé que tu la rencontres.

- Tu m'en parles souvent, elle est présente aussi ici. C'est comme si je la connaissais.

Je n'ajoute rien, mais une larme glisse lentement sur ma joue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Pom&pomme ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0