Chapitre 83

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Alexis

Voilà, c'est fait. Je viens de signer la vente de mon appartement. Au jeune couple qui s'était porté acquéreur avant l'été. Ils y seront bien et y mettront sans doute plus de vie que moi. Le notaire va s'occuper de régler les transferts d'argent avec la banque et je devrais pouvoir récupérer un petit pécule. A voir ce que j'en ferai... Pour l'instant, je n'ai aucun projet. Le gîte de Monsieur Duras me convient très bien et il n'a pas l'air de vouloir me mettre à la porte.

Je salue les heureux propriétaires et le notaire, puis rejoins le petit parking voisin où Serge a pu trouver une place. Le rendez-vous pour la vente s'est déroulé dans la matinée. Il avait conduit Layla au travail, puis m'avait emmené au centre de Paris. Il va faire beaucoup de trajets aujourd'hui : je reprends le train en milieu d'après-midi pour Montélimar, il me conduira à la Gare de Lyon. Mais avant, il me ramène à la Défense pour que nous puissions déjeuner ensemble Layla et moi. Passer un dernier petit moment tous les deux, avant... avant son retour en Ardèche au plus tard début octobre.

- Alors, Monsieur, c'est fait ? me demande-t-il en s'engageant dans la circulation.

- Oui, Serge. Et sans mauvaise surprise. Je suis bien content que cela ait pu se dérouler assez rapidement et facilement.

- C'est bien. Cela vous fait une préoccupation de moins à l'esprit.

- Effectivement ! ris-je. J'ai assez à faire désormais. Mes malades m'occupent bien.

- Ils sont contents de vous ?

- Je pense. Et moi... Et bien ma foi, je me rends compte que c'était vraiment cela qu'il me fallait. Continuer à exercer, mais dans des conditions différentes. A l'opposé de ce que j'ai connu...

Il hoche la tête, se concentre sur la circulation pour rejoindre le périphérique. Mon regard se fait songeur. Les immeubles défilent, les avenues s'enchaînent. Je viens de tourner une page de plus de ma vie d'avant. De ma vie parisienne. Désormais, plus rien ne me rattache à Paris, hormis Pauline, Aglaé et Layla. Mais je dirais plutôt que Layla m'enracine chaque jour un peu plus à Antraigues. Même quand elle est ici.

Elle a repris le travail hier. Nous avons quitté Aizac au petit matin, dimanche. Elle a pu profiter durant toute une semaine de la présence de Bruno, Adèle et Jules.

Alors que mes pensées dérivent, que je me réjouis de passer encore quelques jours avec mes amis, que j'espère que Layla ne vivra pas trop mal notre nouvelle séparation, je vois se dessiner au loin les tours de la Défense. C'est son quotidien. Pourra-t-elle tenir ? La question me vient souvent à l'esprit. Je m'encourage en me disant que son projet pour Labégude et Ucel, c'est aussi ce qui la tient, la fait avancer. Et si le chantier peut rapidement démarrer, elle viendra souvent. Au moins une fois par mois, m'a-t-elle dit. De mon côté, après quelques mois d'exercice, je commence à avoir une assez bonne idée de mon activité hebdomadaire. Et j'envisage de fermer le cabinet un vendredi par mois, peut-être toutes les six semaines, pour la rejoindre pour un week-end. Ce sera peu, mais ça permettra d'alterner avec ses déplacements ardéchois. Et de nous voir environ toutes les deux à trois semaines.

**

Je retrouve Layla dans son bureau que nous quittons bien vite pour aller déjeuner. Serge nous conduit jusqu'à la Garenne-Colombes. Lisa a réservé pour nous une table dans un bon restaurant libanais. Ca change de la cuisine ardéchoise.

- Tu connais ce restaurant ? demandé-je à Layla après que nous avons pris place.

- Oui. J'y viens trois ou quatre fois dans l'année, en général avec Laurent. Nous déjeunons rarement ensemble, car nous apprécions l'un comme l'autre de faire une vraie pause à midi et nous savons bien qu'en mangeant ensemble, on parlerait boulot. Donc on évite. Mais parfois, c'est nécessaire. Cela arrive au moins une fois avant que nous ne partions en vacances, lui ou moi, l'été, pour le relais. Et nous en profitons aussi pour parler justement des vacances !

Je souris.

- Ta matinée s'est bien passée ?

- Oui, me répond-elle. Et toi ? Raconte-moi !

- Et bien, rien de notoire. Une vente des plus banales, pas de mauvaises surprises. Les jeunes ont l'air ravi d'être maintenant propriétaires, je peux les comprendre. Ce n'est pas un mauvais choix. Je veux dire, il y a pire en région parisienne. Il y a mieux aussi, c'est vrai, mais avec le budget dont ils disposaient...

- Tu récupères donc un peu ?

- Oui. Pas des cent et des mille, mais enfin... Je vais laisser cet argent sur un compte. Maintenant que j'ai repris mon activité, je n'ai pas besoin de piocher dans ma réserve. Cela pourra servir plus tard.

Elle hoche la tête. Je mesure bien sa retenue : parler salaire et argent, pour Layla, c'est délicat. Parce qu'elle gagne très bien sa vie, qu'elle est totalement à l'abri du besoin et n'a pas d'investissement prévu, du moins pour elle-même. La maison des Auches est payée, restaurée. Elle n'ambitionne pas de racheter les terres vendues par son père, ni de faire creuser une piscine. Et quand bien même, cela ne grèverait pas ses économies, loin de là.

- Bien, dis-je, en jetant un œil au menu. Qu'allons-nous prendre ? Tu as très faim ?

- Pas trop, soupire-t-elle. Si tu en as envie, on peut prendre un mézé. Cela demande un peu de temps pour le manger, car on picore, mais nous ne sommes pas trop pressés, n'est-ce pas ?

Je tends la main par-dessus nos couverts pour prendre la sienne et nouer nos doigts ensemble.

- Non, Layla, nous ne sommes pas trop pressés. A moins que tu n'aies une réunion ?

- Je vois Maïwenn en milieu d'après-midi. Tu seras déjà dans le train...

- Alors, très bien. Prenons cette option. Cela permet de goûter des choses différentes, n'est-ce pas ?

Elle sourit doucement, ses doigts caressent mon poignet.

Layla

C'est un bon choix que ce petit restaurant. Tout y est délicieux et malgré mon appétit amoindri au début du repas, je trouve finalement de la place pour goûter à tous les plats proposés. Feuilles de vigne farcies, salade de haricots, poulet mariné au citron, boulettes de viandes et de légumes frits. Et l'incontournable houmous.

Je m'efforce de profiter au mieux de ce moment avec Alexis. Il me sourit, parle de choses et d'autres, sans évoquer ni le travail, ni l'Ardèche. Puis nous retrouvons Serge. Il est un peu plus de 14h. Il nous conduit d'abord au siège, nous laisse seuls quelques instants, le temps des adieux. Je me suis promis de ne pas verser de petites larmes cette fois.

Je m'installe néanmoins sur les genoux d'Alexis, prends son visage entre mes mains, l'observe avec attention pour en graver tous les détails dans ma mémoire. Son regard est doux, tendre, amoureux. J'espère lui rendre un regard semblable. Puis nous nous embrassons, longuement.

Quand je finis par m'écarter, il me caresse la joue du bout des doigts et me dit :

- A très vite, mon amour. Si tu ne peux pas venir entre la fin septembre et le début octobre, je m'arrangerai pour fermer le cabinet un vendredi et venir sur Paris pour un week-end.

- D'accord, dis-je d'une voix que je parviens à ne pas faire flancher. Je t'aime.

- Moi aussi. Très fort.

Et il m'embrasse une dernière fois avant que je ne sorte de la voiture. Un dernier signe de la main et je me dirige vers l'ascenseur. J'entends la portière claquer seulement quand j'y prends place, signe que Serge a repris le volant et il me semble distinguer le bruit du moteur qu'il remet en route, mais déjà, je suis entraînée vers les étages supérieurs.

J'entame mon après-midi en ayant un peu de mal à me reconcentrer, heureusement que se profile la petite réunion avec Maïwenn. Nous discutons principalement du planning pour les prochaines étapes du projet : maintenant qu'il a été accepté, il faut le mettre en route. Elle a peu d'éléments à me communiquer concernant des devis, la plupart des entreprises du bâtiment fermant au mois d'août. En revanche, les deux chargés d'études ont apporté des précisions à leur rapport et nous en discutons avec attention. Il s'agit principalement d'évaluations plus précises du coût financier de la relocalisation. A cela, Maïwenn a ajouté sa propre estimation du coût de la fermeture des deux usines turque et thaïlandaise. Ses chiffres rejoignent ceux de Charny et de Legris, ce qui nous fait penser que nous sommes plutôt justes dans cette évaluation. Un bon point donc pour nous.

- Dès que vous aurez les premiers devis, Maïwenn, vous nous en informez, Laurent et moi. Pour le rééquipement, je pense que l'estimation faite par les chargés d'études nous donne une bonne indication et que les devis des entreprises devraient être dans la même fourchette.

- Ils ont aussi fait une estimation de l'installation des machines et du coût de la maintenance, me précise-t-elle.

- Oui, et ça montre qu'ils sont sérieux tous les deux. Nous ne devrions pas avoir de mauvaises surprises sur ce plan-là. En revanche pour ce qui touche à la restauration des bâtiments, la mise aux normes écologiques, là, nous pourrions voir des différences importantes. Il faudra bien étudier les devis.

- Nous continuons à travailler avec les chargés d'études pour ce point ?

- Oui, dis-je. Ils sont de bon conseil et nous aideront à voir les pièges, les manques, dans les devis. Nous pouvons aussi faire appel au maître d'œuvre qui a suivi tout le dossier du chantier de Libourne. Nous - je veux dire, la direction - sommes satisfaits de son travail et le chantier va s'achever dans les temps et dans les conditions prévues. Tout avait été bien évalué.

- D'accord, me dit-elle. Est-ce que je prends déjà contact avec lui ?

Je réfléchis un instant.

- Je vais demander son avis à Laurent, je pense que ça va être possible. Maintenant que le projet a été annoncé en CCE, il n'y a plus à cacher quoi que ce soit.

- La presse ne s'est pas encore emparée de la nouvelle... me fait-elle remarquer.

- Non, parce que cette présentation a eu lieu en juillet, en pleine période estivale. Et que ce n'était que la première étape : nous devons encore acter des choix en septembre, une fois que tous les membres du CCE auront étudié votre dossier. Mais dès que nous allons entamer le chantier à Ucel ou à Labégude, et je dirais même, dès que nous allons prendre contact avec les élus sur place, ça va débouler.

- Cela ne vous fait pas peur ?

- Pas du tout. D'ailleurs, cela me fait penser qu'il faut que j'appelle les maires des deux communes. Je leur avais téléphoné juste après le CCE en juillet, pour qu'ils n'apprennent pas la nouvelle par la presse, justement. Je vais leur apporter une confirmation. Nous pourrions aussi avoir besoin de leur soutien pour certains points, voire pour mettre un peu d'huile dans les rouages sur le plan administratif.

- Il n'y a pas de grosses démarches à faire auprès de la préfecture ou des différents services de l'Etat, dit-elle.

- En effet, car si nous ne demandons pas d'extension, il y a quand même un certain nombre d'autorisations à obtenir, notamment concernant les rejets, eau et déchets essentiellement, ainsi que des autorisations ponctuelles pour faire passer certains camions pour le chantier, pour apporter des matériaux, etc...

Maïwenn hoche la tête. La phase qui va s'ouvrir est bien différente de ce qu'elle a réalisé au cours des mois passés. Le projet va se concrétiser pour elle. Et, dans ma tête, il est hors de question qu'elle ne suive pas cette phase, même si ce n'est pas sa spécialité. Je me dois cependant de lui poser une question à ce sujet :

- Maïwenn, dans une certaine mesure, votre travail est quasiment terminé. L'étude est finalisée, il reste des détails bien entendus, notamment en ce qui concerne tous les devis. Le choix définitif concernant l'usage que nous allons faire des deux usines est encore à discuter en CE. Je voudrais cependant savoir si cela vous intéresse de poursuivre le suivi du projet, même si cela dépasse la tâche qui vous avait été confiée.

- J'en serais ravie, Mademoiselle ! Bien sûr, cela ne fait plus appel à mes compétences, mais j'ai tout le dossier en tête, toute l'étude, les données de Messieurs Charny et Legris, je vais voir passer les devis et je vais les étudier... Donc oui, suivre le chantier, ce serait vraiment un plus pour moi ! Même si je comprends que vous confiiez cela à une personne dont c'est le métier.

- Il y aura le maître d'œuvre pour cela et une personne de nos services techniques. Vous aurez toute votre place dans cette phase de mise en œuvre. Je pense que cela vous apportera aussi un bon complément pour vos propres compétences.

Elle me sourit :

- Merci beaucoup de votre confiance, encore une fois, Mademoiselle.

Puis je la laisse prendre congé, jette un œil à mon planning du lendemain, puis je contacte Serge. Il m'attend dans le parking souterrain. Je ne m'attarde pas au bureau pour ce soir, salue Lisa qui est encore là et rejoins mon chauffeur.

Même si Alexis est reparti, même si je viens tout juste de reprendre pied à Paris, même si j'ai encore dans la tête les parfums, les images, les couleurs d'Antraigues et des Auches, je vais m'offrir un moment de détente chez moi.

Cela me fera le plus grand bien.

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