Chapitre 89

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Alexis

Ce vendredi matin, le lendemain de l'inauguration du chantier, Layla se lève en même temps que moi. Si la journée d'hier a été bien remplie pour elle, elle ne va pas chômer pour autant aujourd'hui : réunion sur le site avec les artisans et le maître d'œuvre pour entrer vraiment dans le concret du chantier, puis entretien avec l'équipe du documentaire, visite des lieux avec elle et sans doute une assez longue interview pour évoquer cette nouvelle phase du projet de relocalisation.

Pour ma part, une bonne journée m'attend également, mais nous aurons tout le week-end pour en profiter, Layla ne repartant que lundi, pour Libourne. Serge va l'y conduire pour qu'elle rencontre son équipe sur place. Elle en profitera pour passer un peu de temps avec ses parents.

Et envisager avec eux un projet qui lui tient à cœur : passer ici les fêtes de fin d'année et en profiter pour organiser une petite visite du chantier pour ses parents. J'ai bon espoir qu'elle réussisse à les décider, son père s'étant montré très curieux de l'avancée du projet et n'ayant renoncé qu'avec difficulté à être présent pour l'inauguration.

Nous avons un autre argument, plus personnel, à avancer : je me suis arrangé avec les deux médecins de Vals pour assurer une permanence médicale en continu durant la période des fêtes, afin que chacun d'entre nous puisse prendre une semaine de congés. Au lieu d'être à trois quotidiennement sur le secteur, comme en période scolaire, nous serons deux, et ce durant trois semaines. Je vais bénéficier de la semaine du Nouvel An, ce qui est un vrai cadeau. Il me faudra sans doute renoncer à quelques visites à domicile, ou alors, je les ferai le soir. J'aviserai en fonction des demandes de rendez-vous. Je m'attends de toute façon à ne voir des Valsois que pour des urgences. Mais si une épidémie se déclenche à cette période, nous risquons d'être bien occupés.

Layla

Cette dernière journée de la semaine est aussi chargée que celle de la veille, bien qu'ayant un contenu différent. Avec mon équipe, nous passons la matinée à nous entretenir avec le maître d'œuvre et les artisans. Nous relevons encore quelques points à préciser quant au déroulement du chantier, mais l'objectif est atteint : pouvoir démarrer les travaux dès lundi.

Et cela commencera par la dépose de la toiture à Ucel : en effet, l'expertise des artisans et du maître d'œuvre a mené à ce résultat : la charpente n'a jamais été entretenue et date de l'époque de la construction de l'usine par mon grand-père. Il était plus que temps de faire quelque chose, elle se serait effondrée dans quelques années m'ont-ils assuré. Pendant ce temps, l'équipe des maçons commencera à travailler à Labégude, avant d'intervenir ici, quand l'atelier aura été mis "hors d'eau". Les équipes se relayeront sur les deux sites. Cela représente beaucoup d'heures de travail pour les artisans sollicités et pour eux, ce n'est pas rien. Un gros chantier comme celui-ci, c'est l'assurance de rentrées financières et d'emploi pour leurs ouvriers, voire l'embauche de quelques-uns.

A midi, nous déjeunons à Aubenas, juste mes collaborateurs, Louis Grévin et moi-même. Il est encore question du chantier. A 14h cependant, je les abandonne, car j'ai rendez-vous à Ucel avec l'équipe du documentaire. Tous repartent sur Paris dans l'après-midi. Je m'arrête cependant quelques minutes à Labégude, traverse la cour et gagne l'un des bâtiments. Par la fenêtre d'un ancien bureau, je peux observer les alentours. L'Ardèche coule assez vivement, les pluies de l'automne ayant bien regonflé les ruisseaux et ses affluents. J'entends son flot gronder. Puis mon regard se porte au-delà, sur la rive en face. D'ici, je peux voir les murs de l'usine d'Ucel. Et je souris avec tendresse : d'ici moins d'un an, elle va revivre. Il y aura à nouveau de l'activité dans le secteur.

Je ne m'attarde pas cependant et gagne rapidement Ucel. L'équipe n'est pas encore arrivée, j'ai un peu d'avance. Pour l'heure, les lieux sont calmes, mais dès lundi, les charpentiers vont occuper les bâtiments et engager les travaux. Puis ce sera le tour des maçons : leur intervention sera réduite : la dalle au sol a été sondée et est suffisamment solide pour supporter le poids des machines. En revanche, il leur faut intervenir dans les bâtiments annexes, les bureaux, les sanitaires et le petit réfectoire. Cantines et salles de repos sont en effet prévues dans les deux usines, alors qu'avant la fermeture, seule celle de Labégude possédait un réfectoire. Cela fait partie des éléments désormais nécessaires pour l'amélioration des conditions de travail et c'est une bonne chose.

Alors que mon regard s'attarde sur le ruban de l'inauguration qui flotte encore au vent, une voiture s'arrête dans la cour. C'est l'équipe qui arrive. Je me dirige vers eux, les salue.

- Bonjour, Mademoiselle Noury, dit la journaliste qui réalise l'interview en acceptant ma main tendue. Vous allez bien ?

- Oui, merci. Bonjour à vous tous.

- Nous avons quelques minutes de retard... Excusez-nous, dit le caméraman en sortant déjà son matériel du coffre.

- Pas de soucis. J'ai bloqué mon après-midi pour échanger avec vous. Par quoi voulez-vous commencer ?

- Nous pensions faire le tour des lieux avec vous, et recueillir vos réactions, vos explications au fur et mesure de la visite. Est-ce que cela vous convient ? reprend sa collègue.

- Oui. Commençons-nous par l'atelier ou l'entrepôt ?

- Je préconise l'atelier, dit le caméraman. Il faut qu'on installe un peu de lumière.

Nous nous y rendons alors et je les observe en train d'installer leur matériel. C'est assez rapide. Puis nous commençons l'interview. J'expose ce qu'a été ce lieu, ce qu'il va devenir. Certaines questions reviennent aussi sur l'inauguration, pour faire le lien avec ce qu'ils ont tourné la veille.

Puis nous gagnons l'ancien bureau de mon grand-père, dont la fenêtre donne sur l'Ardèche et d'où nous pouvons voir l'usine de Labégude. C'est un peu un croisement de regards avec ce que j'ai fait en début d'après-midi. C'est assez émouvant pour moi de me retrouver là, avec cette équipe, et je pense qu'ils l'ont vite senti. Je raconte néanmoins :

- Nous nous trouvons ici dans le bureau de mon grand-père, du temps où il ne possédait qu'une seule usine. A cette époque, il faisait fabriquer essentiellement des produits pour les thermes de Vals et de Neyrac, un peu plus en amont de la vallée de l'Ardèche. C'est lorsque ses produits ont commencé à rencontrer un vrai succès qu'il s'est alors porté acquéreur de l'usine de Labégude dont on peut distinguer les murs d'ici et qu'il a fait augmenter la production, passant vraiment à un stade plus "industriel", lui permettant aussi de faire distribuer ses produits à grande échelle, d'abord essentiellement dans le sud de la France, puis très vite, dans tout le pays.

- C'est un bureau chargé d'histoire...

- Oui. Il y a pris de nombreuses décisions concernant le développement de l'entreprise.

- Avait-il aussi un bureau à Labégude ?

- Oui, mais de ce que j'ai entendu dire, car je vous rappelle qu'il est décédé alors que j'étais encore petite, il y allait moins. Peut-être deux fois par semaine, ce qui ne l'empêchait pas de se rendre indifféremment dans l'une ou l'autre des usines. Je pense, sans pouvoir toutefois l'affirmer, qu'il passait chaque jour à Labégude, tout en travaillant plutôt ici.

- Est-ce que vous accepteriez que l'on filme une ou deux photos de lui ?

- Oui, bien sûr. Certaines sont d'ailleurs présentes dans notre plaquette de présentation.

- Effectivement, me confirme la journaliste. Vous nous l'aviez remise dès notre première rencontre. On verra si on peut faire un banc-titre correct avec. Avez-vous l'intention d'installer, pour vous, un bureau ici ?

- Oui, affirmé-je avec volonté. Il me faudra un lieu de travail à chaque fois que je viendrai. A Labégude seront installés les bureaux de l'équipe de direction locale, de gestion, de comptabilité, les bureaux syndicaux également, etc... Ici, l'espace est plus petit et nous limiterons le nombre de bureaux.

- Vous envisagez donc, régulièrement, de vous asseoir à la place de votre grand-père. Une façon d'assurer la continuité ?

- Oui et de renouer un fil interrompu. Interrompu, mais pas brisé. Et d'affirmer aussi, certes très symboliquement, mais nous savons que les symboles ont leur importance, mon attachement à la fabrication française.

- Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder avec vous ce projet de relocalisation. Aujourd'hui, une nouvelle étape est franchie avec le lancement du chantier de restauration. Pouvez-vous nous en dire plus ? Comment avez-vous vécu l'ouverture du chantier ?

- J'étais à la fois très émue et très heureuse : le projet est porté depuis plus d'un an par mon équipe. Une étude longue et sérieuse a été menée pour envisager plusieurs solutions possibles et au final, c'est celle que j'espérais qui a été choisie. C'est à dire le rapatriement de la fabrication de tous les emballages à Labégude et celle des produits de la gamme de luxe ici-même, à Ucel.

- Vous aviez cependant envisagé un projet de moindre envergure ?

- Oui, car nous n'avions pas idée des coûts que cela allait impliquer, ni de sa rentabilité. Plusieurs scénarios étaient donc à l'étude, dont celui de ne pas réhabiliter les usines ardéchoises, mais de tout concentrer sur le site de Libourne. Au final, le redémarrage ici est possible. Cela va donner du travail à de nombreux artisans dans les mois à venir, et en parallèle, nous allons lancer le recrutement et la formation du personnel. Puis il y aura l'installation des machines, toutes les étapes de vérification du fonctionnement de la chaîne de fabrication, les tests divers à effectuer tant pour les machines elles-mêmes que pour le personnel qui y travaillera. Nous espérons pouvoir démarrer l'activité dans un an, au dernier trimestre de l'année 2019.

Le caméraman tourne encore quelques plans dans le bureau, puis nous gagnons l'entrepôt. J'explique à quoi il sera destiné, puis nous nous rendons dans le dernier petit bâtiment qui sera transformé en réfectoire et salle de repos pour le personnel. A la fin de l'entretien, nous nous rendons aussi à Labégude pour qu'ils puissent tourner quelques images, mais nous n'y réalisons pas vraiment d'interview, tout juste me posent-ils quelques questions sur les différents bâtiments.

Lorsque nous nous quittons, nous convenons qu'ils reviendront au moins sur deux journées pour me filmer lors d'une des visites de chantier. Le but est de donner une idée des différentes étapes. Et il est déjà prévu qu'ils viennent lorsque nous commencerons à installer les deux chaînes de fabrication.

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