Alexis

C'est le premier jour des vacances de Noël. Il a neigé un peu sur les sommets, mais moins que l'an passé. J'ai vérifié tout à l'heure et le col de la Chavade est ouvert, même si les camions au-dessus d'un certain tonnage ne peuvent l'emprunter : Serge va pouvoir conduire Layla et ses parents jusqu'ici sans trop de difficulté. Margot, Gabin et les enfants doivent arriver lundi. Ils repartiront jeudi ou vendredi.

J'ai quitté les Auches en tout début d'après-midi pour me rendre à Montélimar, récupérer Aglaé et Pauline. Elles logeront au gîte. Cela leur laissera un peu d'autonomie, notamment à Pauline : elle pourra ainsi voir Julien tranquillement, si elle le souhaite. J'ai croisé ce dernier au village mercredi midi, pour préciser les commandes des prochains jours, et je l'ai senti impatient de les revoir. Je sais que cela avance tout doucement entre eux et j'espère que ces vacances seront l'occasion pour Pauline de franchir un nouveau pas.

Aux Auches, tout est prêt pour accueillir la famille. Les parents de Layla occuperont la chambre de Tantine, on va laisser la nôtre à Gabin et Margot, les garçons dormiront dans le salon, sur des matelas. Quant à Layla et moi, on dormira dans la salle en dépliant le canapé. Comme je travaille, je partirai tôt de toute façon, pas la peine de déranger qui que ce soit de bonne heure le matin.

Je me réjouis que Layla ait pu décider sa famille à venir ici pour Noël. D'une part parce que je travaille, mais surtout parce qu'elle avait cette envie depuis longtemps. Sans oublier que Maxime insistait pour venir en Ardèche. Il ne garde aucun souvenir de son précédent séjour ici, quand le chantier de restauration de la maison s'était achevé. Je suis certain qu'Aglaé va bien s'entendre avec les neveux de Layla. Elle m'a dit qu'elle avait hâte de faire leur connaissance, et de revoir plusieurs de ses copines d'Antraigues.

J'arrive un petit quart d'heure avant le train et patiente en prenant un café au bistrot de la gare. Les premiers voyageurs passent sous mon nez alors que je règle ma consommation et je retrouve Pauline et sa fille quelques instants plus tard.

- Alexis ! Je suis contente d'arriver et de te voir ! s'exclame Aglaé.

- Moi aussi, Aglaé ! Bon sang, tu as encore grandi ! Ca va, Pauline ? demandé-je en lui faisant la bise.

- Oui, bien. Et toi ?

- Bien aussi.

- Est-ce que Layla est arrivée ? demande encore la petite.

- Elle est sur la route, avec ses parents. C'est Serge qui les amène. Elle s'est rendue à Libourne en milieu de semaine pour plusieurs réunions et bilans. Ils sont partis hier soir, ont dormi à l'hôtel pour que ce soit un peu moins fatigant pour son papa.

- Il va bien ? s'inquiète Pauline.

- Oui, plutôt, de ce que m'a dit Layla. Leur venue était conditionnée à son état de santé, il a vu le médecin jeudi et il a donné son accord sans réserve.

- S'il a un souci, tu le soigneras cette semaine ! fait Aglaé.

- J'aimerais autant qu'il n'ait pas de souci, tu sais. A la moindre alerte, pour lui, c'est l'hôpital. On ne prend pas de risque après ce qu'il a eu...

- C'était grave ? demande-t-elle soudain très sérieuse.

- Oui. Il aurait pu en mourir. Ou garder de graves séquelles.

- Ah...

- Mais tu verras, il vit normalement maintenant. Et je crois qu'il avait très envie de voir les usines, le début du chantier. Layla en est contente : sa curiosité lui fait du bien, alors qu'elle le savait réticent ou hésitant quant à son choix de relancer la production ici.

- Cette curiosité est donc de bon augure, fait Pauline.

- Oui, tout à fait.

- Allez, en route ! dis-je alors que nous nous installons dans la voiture, après avoir déposé leur valise dans le coffre.

Elles ont l'habitude du trajet, maintenant. Elles contemplent les paysages avec plaisir, Aglaé note bien vite les différences avec l'été : elle n'a pas encore vu l'Ardèche en hiver et est ravie quand je lui dis qu'il y a un peu de neige sur les sommets, au-dessus d'Antraigues. Et que quelques précipitations sont annoncées pour le milieu de la semaine.

- C'est chouette d'avoir de la neige à Noël, hein, maman ? fait-elle.

- Oui, c'est joli. Et ça fait vraiment "esprit de fête".

Le trajet se déroule tranquillement. Aglaé me raconte son trimestre, ses notes, me demande si j'ai vu ses copines et... Julien.

- Oui, mercredi dernier. Sur la place. J'ai précisé la commande de viande pour les prochains jours avec lui et notamment pour les repas de Noël. Même si Margot et Gabin se chargent d'apporter le canard et le foie gras.

- Tu lui as commandé des godiveaux ?

- Ah mince, j'ai oublié !

- Je ne te crois pas ! s'exclame-t-elle en riant.

- Tu as raison. D'ailleurs, Julien m'aurait fait la remarque. Il m'aurait certainement dit quelque chose comme "et pas de godiveaux pour la demoiselle du volcan ?". Surtout que je lui ai acheté du saucisson en précisant que tu venais...

- Hum, miam !

J'échange un petit regard avec Pauline. Elle sourit doucement. Je la sens détendue et heureuse de venir. Tant mieux. Là aussi, c'est de bon augure.

Nous faisons un rapide arrêt à l'Enfer pour qu'elles puissent déposer leurs affaires, puis nous montons aux Auches. J'ai reçu un message de Layla me disant qu'ils sont à Mayres, que la descente de la Chavade s'est bien passée : le ciel était dégagé, la route aussi. Le plus délicat était finalement certains endroits sur le plateau. La voiture est équipée en pneus neige et Serge est habitué à la conduite par mauvais temps.

Arrivés aux Auches, je rajoute du bois dans la grande cheminée. Aglaé s'extasie et est ravie de voir que j'ai pu installer un petit sapin. Je ne l'ai pas encore décoré et je la laisse s'en charger.

- La maison est vraiment accueillante, fait Pauline en tendant les mains vers le feu.

- J'y suis depuis mercredi soir, précisé-je. Et j'avais remonté le chauffage dès le week-end dernier.

- Puis-je t'aider à quelque chose ?

- Non, ça va. Le repas est prêt pour ce soir, j'ai cuisiné un grand pot-au-feu. Le bouillon est dégraissé, on pourra en prendre un peu si on veut. Et j'ai préparé une salade de fruits ce matin. On mettra la table tout à l'heure, quand tout le monde sera arrivé. Tu as besoin d'aide, Aglaé ?

- Ca va ! Juste pour mettre l'étoile tout en haut du sapin !

- Ok.

J'attrape l'étoile blanche, l'accroche. Elle est un peu bancale, Aglaé déclare que je suis maladroit. Finalement, après quelques essais, elle finit par être satisfaite.

Layla

Nous arrivons alors que le jour décline. Le voyage s'est bien passé et c'était une bonne idée de faire déjà un peu de route hier soir. Nous avons dormi dans un très bon hôtel, réservé par Serge, un peu avant Clermont-Ferrand. Nous en sommes partis seulement en fin de matinée, Serge préférait que les températures aient un peu remonté pour faciliter la conduite. Nous avons déjeuné à Brioude, puis fait le reste de la route tranquillement.

Nous avons quand même marqué un arrêt à Lanarce, et pas uniquement pour prendre des provisions : avant de s'engager dans la descente de la Chavade, Serge voulait connaître les conditions de circulation, d'autant que la route était fermée aux poids lourds. Il a bien neigé sur le plateau, nous avions pu le constater dès après Brioude : toute la Haute-Loire était sous la neige.

- La route est ouverte et bien dégagée, nous dit la charcutière. Ils ont fermé aux camions, parce que c'est le week-end et les fêtes, pour éviter tout souci. Le chasse-neige est encore passé ce matin. Le chauffeur s'est arrêté rapidement pour nous dire que tout allait bien. Et il n'y a pas eu d'autres chutes de neige depuis. En faisant attention, ça ira.

Je la remercie chaleureusement et nous repartons avec plusieurs sachets de cèpes séchés, deux paquets de lentilles du Puy, deux autres de grains d'orge, de la noix de jambon fumé, plusieurs variétés de fromages. Et un saucisson bien sec pour Aglaé, même si je me doute que Julien en a mis de côté.

Maman sourit en me voyant ramener mes provisions.

- Tu as peur de manquer, Layla ?

- Non, maman, dis-je en reprenant place à ses côtés, à l'arrière de la voiture. Mais Serge te le confirmera : je ne peux pas passer ici sans faire quelques achats !

- Quelques ? Alors que tu sors de la boutique avec deux gros sacs bien remplis ?

- C'est ainsi... C'est un arrêt obligé !

- Je confirme, Madame, dit Serge avec un petit sourire. Mademoiselle Layla a beau dire que c'est pour me permettre de faire une petite pause dans la conduite, avant d'attaquer la descente...

Je m'amuse de sa remarque, papa échange un sourire avec notre chauffeur.

**

Nous passons Vals-les-Bains alors que le soir est en train de tomber. Il fait nuit très tôt en cette saison, nous sommes à la période des jours les plus courts de l'année. Et les montagnes accroissent cette impression. J'ai promis à papa que nous irions lundi faire un tour aux usines. Le chantier sera à l'arrêt, puisque c'est la semaine de Noël, mais il pourra en constater la réalité et moi, en mesurer l'avancée.

Je souris en voyant les lumières d'Antraigues, si douces dans la nuit. Puis nous entamons la montée vers Aizac. Après l'église, je peux constater que les lumières sont allumées aux Auches : Alexis, Pauline et Aglaé nous y attendent et mon cœur s'en réjouit. Je suis certaine aussi qu'Alexis nous a préparé un bon repas et que la maison a été bien décorée. Peut-être même Aglaé a-t-elle ajouté quelques guirlandes ou boules de Noël.

Serge arrête la voiture derrière celle d'Alexis. Je suis la première dehors et bien vite les bras d'Alexis m'enlacent alors qu'Aglaé s'écrie :

- Oui !!! Voilà Layla !

Peut-être nous guettaient-ils tous les trois depuis le salon ou la fenêtre de la cuisine. Alexis m'embrasse langoureusement avant de me relâcher. Les portières claquent, Serge aide papa à descendre de la voiture, alors que maman s'approche pour lui tenir le bras et monter les marches de la terrasse. En haut nous attend Pauline. Aglaé me saute au cou dès qu'Alexis me relâche et je l'embrasse chaleureusement sur ses deux joues.

Nous rentrons cependant bien vite dans la maison et je présente Pauline à mes parents. Aglaé leur fait aussi spontanément la bise, ce qui les surprend. Je vois bien qu'ils en sont tout attendris.

- Quelle jolie petite fille tu es, Aglaé ! dit maman. Layla nous a beaucoup parlé de toi et j'étais impatiente de te rencontrer, ainsi que ta maman. Vous avez fait bon voyage ?

- Oui, Madame, répond Pauline. En train, ce n'est pas fatigant. Et vous ?

- Ca s'est bien passé, dit papa. Hum... La maison est bien décorée... C'est toi qui t'en es occupé, Aglaé ?

- Juste le sapin. Alexis avait fait le reste pour qu'on trouve aussi une jolie maison en arrivant, sourit-elle.

Papa fait le tour de la pièce, s'arrête près du sapin et la complimente, puis il prend place dans un des fauteuils, près de la cheminée. Je ne suis pas étonnée d'y trouver un bon feu.

Alexis nous offre un verre pendant que Pauline met la table, aidée par sa fille et moi-même : j'ai besoin de me dégourdir un peu les jambes après la route et m'activer dans ma maison est une bonne opportunité.

Nous passons cependant à table sans trop tarder, pour que mes parents puissent se reposer et que Serge puisse repartir à Aubenas : il a réservé une chambre dans son hôtel préféré, et reprendra la route dès demain pour passer les fêtes en famille.