Chapitre 94
Alexis
C'est une soirée très agréable. Bien que venant de milieux complètement différents, je sens que les parents de Layla apprécient Pauline et Aglaé. Il faut dire que cette dernière est toujours très polie et que sa curiosité et son enthousiasme font souvent tomber quelques barrières. Je ne suis pas étonné que Liliane lui pose beaucoup de questions, plus surpris que Dominique le fasse également. Puis je me fais la réflexion qu'il apprécie la présence de ses deux petits-fils, alors une petite fille un tout petit peu plus âgée, ce n'est finalement pas un souci.
Layla est belle comme un cœur, heureuse à la perspective de passer un nouveau Noël aux Auches, et qui plus est, avec sa famille. Serge se mêle aussi à la conversation, amusé par Aglaé. Il nous quitte cependant sans tarder, proposant de déposer Pauline et Aglaé à l'Enfer, ce qui m'évite de faire le trajet. Je laisse donc les clés à Pauline et les assure que nous passerons les voir demain matin. Elles ont tout ce qu'il faut pour le petit déjeuner. Quant aux autres repas, nous les prendrons tous ensemble ici.
Layla m'aide à débarrasser la table, ses parents veulent profiter un peu encore du salon et de la cheminée. Nous nous installons alors avec eux, autour d'une tisane.
- La maison est vraiment très agréable, fait remarquer Dominique, même en hiver. Du temps de ma tante, elle était plus froide. Enfin, il me semble.
- Les travaux lui ont apporté un confort supplémentaire et appréciable, dit Layla. Et puis, Alexis veille à ce qu'elle soit chauffée correctement, surtout que j'y viens beaucoup depuis la fin de l'été.
- C'est vrai, dit Liliane. Envisages-tu les travaux du grenier ?
- C'est dans mes projets, oui, répond Layla. Pour le moment, je me concentre sur les usines. Néanmoins, c'est possible que cela se fasse au printemps. J'aimerais beaucoup pouvoir offrir des chambres à Maxime et Jacob. Ils sont encore petits, les matelas pour trois ou quatre nuits, ça va faire l'affaire, ils vont adorer car ça fera un peu "camping", mais faire des chambres dans le grenier, ce sera quand même un plus. Surtout si la famille d'Alexis revient à l'occasion, cela permettrait de loger tout le monde.
- Tout le monde va bien chez toi, Alexis ? me demande Liliane.
- Oui, merci. Mes cousins sont avec mon oncle et ma tante, pour le réveillon de Noël, et dans leur belle-famille pour le repas du 25. Ma "nièce" grandit...
- Et ta maman ?
- Elle fête Noël dans la famille de mon beau-père. C'est un moment important pour eux. Je pense cependant qu'ils viendront après l'hiver. Maman l'a évoqué.
Layla me regarde un peu avec étonnement.
- Oui, poursuis-je, je n'ai pas eu vraiment l'occasion de t'en parler, mais ils semblent décidés. Je pense qu'ils prendront l'avion jusqu'à Lyon ou Marseille. Après, je n'ai pas encore les détails, mais ce sera le moins fatigant pour eux.
Layla sourit :
- J'en suis contente. Je m'arrangerai pour être là lors de leur séjour, peut-être pas pour toute la durée, mais en partie, bien sûr.
**
Pour cette nuit encore, et jusqu'à l'arrivée de Gabin et de sa petite famille, nous dormons dans la chambre de Layla, qui est quand même plus confortable. Liliane et Dominique ne se sont pas attardés, même si je les ai sentis contents de profiter de l'atmosphère de la maison. J'avoue que j'appréhendais un peu leur venue, ne sachant pas exactement comment Dominique en particulier allait vivre le fait de revenir dans la maison de sa tante, même si c'est désormais celle de sa fille.
Layla et moi nous nous retrouvons avec bonheur. Nous nous offrons une première étreinte tendre que nous faisons durer. Même si nous nous voyons désormais beaucoup plus régulièrement qu'avant l'été, nous connaissons toujours le même bonheur à nous retrouver.
Layla
Après un dimanche tranquille, avec un tour au marché de Vals le matin avec Pauline et Aglaé, puis une petite promenade au départ de la maison l'après-midi, ce lundi s'annonce comme une journée particulière : Alexis est parti travailler un peu plus tôt, pour être au cabinet dès 8h et assurer ainsi la garde qu'il partage avec un des médecins de Vals. Il a maintenu son passage à la maison de retraite cet après-midi, même si un certain nombre de résidents ont pu la quitter pour être en famille.
Nous attendons l'arrivée de Gabin, Margot et les garçons dans le milieu d'après-midi, et maman et moi nous commencerons les préparatifs du repas du soir. La matinée est cependant consacrée à la visite des usines avec mes parents. Je les emmène d'abord à Labégude où le chantier a déjà bien avancé dans l'atelier.
- Ca a beaucoup changé, fait papa.
- Oui, dis-je en avançant de quelques pas. Dans la mesure du possible, nous conservons les bâtiments, mais à l'intérieur, nous commençons par faire une bonne isolation tant thermique que sonore. De ce fait, on ne voit plus les plafonds et les murs de pierre. Ici la charpente était en très bon état, on n'y a pas touché. Tout juste le couvreur a-t-il inspecté les tuiles et en a replacé quelques-unes qui avaient bougé. A Ucel, c'est différent, vous verrez tout à l'heure.
Nous ne jetons qu'un coup d'œil aux différents bâtiments, pour des raisons de sécurité : la plupart sont en chantier, avec des zones interdites ou à accès limité. Il est possible néanmoins d'y entrer et de regarder les lieux depuis les portes. Après ce premier tour de l'atelier et des entrepôts, nous gagnons la partie administrative. Là, le chantier vient à peine de débuter : les artisans passant d'un bâtiment à l'autre.
- Pour les bureaux, la mise aux normes sera encore plus minutieuse que pour la zone de production, expliquai-je. Triple vitrage aux fenêtres, isolation, refonte complète des fluides... Création d'une salle de repos, d'une cantine. Les bureaux serviront bien entendu pour le personnel administratif et pour la direction, mais il y a aussi deux locaux réservés pour les syndicats.
- Tu penses qu'il y aura la création de groupes syndicaux, Layla ? demande maman.
- Oui, bien sûr. De toute façon, l'usine comptera plus de cinquante employés, nous sommes donc tenus d'avoir un comité d'entreprise, des représentations syndicales, etc...
- J'espère que tu n'auras pas affaire à de fortes têtes.
- J'en côtoie quelques-unes à Paris ou à Libourne, tu sais, et je m'en sors.
Papa esquisse un petit sourire.
- C'est bien, fait-il. C'est encore le début, mais j'imagine assez ce que cela donnera.
- Je vous ferai suivre quelques photos, au fil des prochaines semaines, pour vous permettre de voir l'avancée du chantier. Est-ce que ça va, papa ? Tu ne fatigues pas ?
- Non, pas du tout. Allons à Ucel, veux-tu ?
Nous quittons alors le bâtiment administratif, traversons lentement la cour pour rejoindre la voiture. Nous sortons de l'usine, je referme soigneusement la porte puis appelle le gardien. Il nous attend à Ucel et une fois que nous en serons partis, il viendra faire une dernière inspection ici avant de profiter lui aussi de son réveillon.
**
A Ucel, le chantier est presque plus impressionnant : il fallait revoir la charpente du bâtiment principal, déposer les tuiles, changer les poutres. C'est un chantier à ciel ouvert que nous découvrons. Une grande bâche a été tendue à la place du toit, les tuiles sont empilées sur le côté, formant un amas assez impressionnant.
- Oh là, fait maman. C'est bien différent ici...
- Pour l'instant, oui, mais d'ici quelques semaines, le bâtiment aura retrouvé sa physionomie habituelle.
- Tu nous avais dit, Layla, en effet, qu'il fallait revoir la charpente, ajoute papa. Depuis la construction de l'usine, du temps de ton grand-père, elle n'avait pas été modifiée.
- Oui, dis-je. C'était nécessaire.
- Tu vas donc faire fabriquer les produits de la gamme de luxe ici ? C'est ton choix, finalement ?
- Oui. Parce qu'on limitera les transports. Cette gamme est principalement vendue à Paris, et dans quelques boutiques des grandes villes. Amener l'eau à Libourne ainsi que les emballages qui seront fabriqués à Labégude, pour ensuite les faire partir vers les différents points de vente, c'est aussi simple à faire depuis ici. En une heure trente environ, les camions seront à Montélimar, la production pourra être acheminée soit par l'autoroute jusqu'à Paris comme on le fait depuis Libourne, soit par le train. Le ferroutage recommence à faire parler de lui. J'espère miser sur cet atout.
- Je reconnais qu'en terme de coût, c'est similaire, dit papa.
- J'ajoute que le cent pour cent "made in France" et même "made in Ardèche" sur les étiquettes de ces produits, c'est aussi un plus que j'entends bien mettre en avant. Notre clientèle, pour cette gamme, n'a pas de problème d'argent. En revanche, elle est souvent sensible à ces arguments.
Papa sourit doucement.
- Et pour approvisionner Libourne, pour les emballages, comment vas-tu faire ? La fabrication ici, c'est une chose et j'ai bien entendu tes arguments en faveur de la relocalisation en France, mais le transport depuis une région enclavée ne sera pas forcément facile.
- Pour le moment, je table sur l'existant, même si c'est loin d'être la panacée : c'est à dire, le transport par camions. Mais nous continuons à étudier la faisabilité de l'option ferroutage. Soit en faisant descendre les camions à Montpellier, pour ensuite mettre les conteneurs sur les trains jusqu'à Bordeaux, soit depuis Montélimar.
- Et pour les matières premières ?
- Nous nous ferons livrer le papier et le carton depuis une entreprise basée dans la Drôme. Nous sommes en négociation commerciale avec eux à l'heure actuelle. J'ai bon espoir que cela aboutisse. Pour les autres matières premières destinées à Ucel, nous aurons recours pour la plupart des parfums à la production locale, c'est à dire ardéchoise ou drômoise. Quant aux éléments chimiques et autres composants, ils viendront de Lyon. Je ne remets pas en cause les approvisionnements pour Libourne, je me rapproche simplement d'autres fournisseurs, plus proches d'ici.
Maman s'est éloignée un peu, le temps de notre discussion, se rapprochant du bâtiment administratif.
- Tu fais restaurer ce bâtiment aussi, Layla ? m'interpelle-t-elle.
- Oui. Il y aura quelques bureaux pour les agents administratifs du site et au rez-de-chaussée un petit réfectoire et une salle de repos, dis-je en m'approchant, suivie de papa.
- Pas de local syndical ici ?
- Ce n'est pas prévu, mais un bureau pourra être attribué si besoin. Les locaux syndicaux seront tous regroupés à Labégude.
- Et où sera ton bureau ? me demande-t-elle encore. Car j'imagine que tu viendras ponctuellement travailler ici, ne serait-ce que pour voir Alexis un peu plus souvent ?
Je marque un petit temps de silence, mon regard croise celui de mon père. Je crois qu'il a déjà deviné ma réponse.
- Ce sera l'ancien bureau de grand-père.
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