Chapitre 95
Layla
- Tata ! C'est... géant !
Maxime se précipite dans mes bras, à peine sa mère l'a-t-elle détaché de son siège auto. Pour une fois plus posé, Jacob monte l'escalier tranquillement derrière son frère. J'attrape Maxime, le fais se tenir debout sur le banc. Les yeux grands ouverts, la bouche tout autant, il tourne la tête de tous côtés pour admirer le paysage.
- C'est le volcan ? demande-t-il en pointant la montagne du doigt.
- Oui, dis-je.
- Sous la neige...
Des étoiles brillent dans ses yeux. L'émotion me serre la gorge, tant sa joie enfantine fait plaisir à voir.
- Oui, de la neige pour Noël, ajouté-je. Et là, en bas, c'est le village. Et au-dessus, il y a un autre volcan, avec un château aussi. Est-ce que tu arrives à voir les tours ?
Je lui explique dans quelle direction regarder et il me sourit :
- Oui, je le vois bien. C'est beau... Et la maison... Elle n'est pas comme les maisons chez nous.
- Non, ce n'est pas la même pierre, ni le même style de construction. Tu feras attention sur le retour et tu verras que selon les endroits, les maisons sont différentes. Dans le nord de la France, c'est encore autre chose. Et dans les autres pays aussi. Chaque région, chaque pays, a ses propres maisons.
- Comme cela, on sait où on habite !
- Oui. Allez, tout le monde est déjà dans la maison. On va rentrer, il ne fait pas chaud. Et je connais une petite fille qui est impatiente de faire votre connaissance.
- Aglaé ?
- Oui, Aglaé.
- C'est une grande, m'a dit maman. Elle est plus grande que Jacob.
- Oui, mais je suis sûre que vous allez bien vous entendre.
Il saute du banc, me prend la main et nous rentrons dans la maison. Il est presque aussi émerveillé du dedans que du dehors et reste un moment sans bouger face à la cheminée. J'ai relancé un bon feu dès le début d'après-midi. Papa est assis à côté, dans le fauteuil de Tantine que j'avais fait restaurer et retapisser. Jacob lui a déjà fait la bise et ils discutent tous les deux.
Puis le regard de Maxime se porte vers le plafond, les poutres, avant de se poser sur la table. Il prend la mesure de la pièce.
- J'aime bien, tata. Ca fait vieux, mais joli et... Oui, j'aime bien.
Je lui souris. Puis je le laisse embrasser maman, avant de lui présenter Aglaé et Pauline. Aglaé lui fait spontanément la bise et s'apprête déjà à entraîner les deux frères dans le salon, en bas, pour jouer. Mais Maxime veut que je les accompagne. J'embrasse rapidement mon frère et ma belle-sœur avant de descendre l'escalier devant les enfants. En chemin, Maxime me demande :
- Il n'est pas là, Alexis ?
- Il travaille aujourd'hui, expliqué-je. Il a des rendez-vous jusqu'à 19h. Vous le verrez pour le repas.
- Ah...
- Demain, pour Noël, il ne travaillera pas. Il sera avec nous toute la journée.
- Il pourra jouer avec nous, alors ? Est-ce qu'on peut jouer au ballon dehors, tata ? me demande Jacob.
- Oui, sur l'arrière de la maison, le terrain est assez plat. Sinon, vous pourrez aussi aller jouer sur la route : il n'y a personne à passer ici, c'est une impasse. Les dernières maisons, ce sont les ruines à côté.
- Pourquoi sont-elles en ruines, les maisons ? demande Maxime.
- C'étaient les maisons des frères de mon arrière-grand-père. Votre arrière-arrière-grand-père à vous.
Maxime réfléchit un instant, je le vois et je n'ajoute rien. Je remarque que Jacob a un peu de mal à mesurer de qui il s'agit. Maxime dit alors :
- Le grand-père de papi, c'est ça, tata ?
- Oui, voilà. Et les grand-oncles de papi. Mais après eux, personne n'y a habité et les maisons ont fini par tomber en ruines.
- Sont-elles à toi, tata ?
- Oui. Un jour peut-être, je les ferai restaurer. Mais pour le moment, je n'ai pas du tout le temps de m'en occuper.
- Quand je serai grand, je viendrai t'aider, dit Maxime.
- Et moi aussi, renchérit Jacob avec enthousiasme. C'est beau, ici.
- Tu t'en souvenais, Jacob ?
- Pas très bien. Et puis, il faisait beau quand on était venu, non ?
- Oui, c'était à la belle saison. En hiver, c'est très différent.
Aglaé nous écoute avec attention. Sur la table basse, elle a sorti quelques jeux de société. Je dis aux garçons :
- Je vous laisse jouer avec Aglaé ? Je dois aider tout le monde à préparer le repas de ce soir.
- D'accord, tata, dit Jacob.
- On va guetter Alexis ! ajoute Maxime.
Je leur souris et les laisse tous les trois.
Alexis
Lorsque j'arrive aux Auches ce soir-là, dans la nuit bien installée, je trouve une véritable ruche. Et cela me fait grand plaisir. Ce midi, j'avais pris Pauline et Aglaé au passage, elles avaient vu Julien le matin-même. Exceptionnellement et pour fournir les commandes de ses clients, il a travaillé hier et aujourd'hui, et sera de repos demain. Ils doivent passer la journée ensemble, au moins Pauline et lui. Aglaé pourra rester avec nous aux Auches. Et d'autant plus qu'elle a certainement fait la conquête de Maxime et Jacob, après avoir fait celle de Liliane et Dominique.
Les trois enfants jouent dans le salon, en bas. Je les aperçois par la porte-fenêtre en arrivant. Aglaé l'ouvre pour me faire rentrer et les deux garçons me sautent dans les bras :
- Alexis ! Te voilà enfin ! C'est Noël !
- Oui ! Bonsoir, Maxime. Bonsoir, Jacob. Alors, vous allez bien ? Vous vous amusez bien ?
- Oui ! Aglaé est trop forte aux dames, dit Maxime. Tu crois que le Père Noël va m'apporter le jeu de dames chinoises que j'ai mis sur ma liste ?
- Ca... C'est un secret du Père Noël ! Ca va, ma puce ? ajouté-je en embrassant Aglaé sur le front.
- Oui ! On a joué un peu aux dames, mais on ne peut jouer qu'à deux, alors on fait des petits chevaux. Et on a trouvé aussi le Monopoly de Layla.
- Houla et ce n'est pas trop dur, le Monopoly ?
- Non, fait Maxime. Mais je n'aime pas trop. Allez, c'est à toi de lancer les dés, Aglaé !
Je souris et les laisse à leurs jeux, entame la montée de l'escalier, la valise de soins à la main. Je ne la laisse jamais dans la voiture le soir.
A l'étage, cela s'active aussi, sous le regard un peu amusé de Dominique, assis dans un fauteuil près de la cheminée. En bon patriarche pourrait-on penser, c'est vrai, mais c'est aussi pour des raisons médicales qu'il demeure au repos. La visite des usines a été un bon exercice pour lui ce matin, sans oublier l'arrivée des enfants.
Les cinq autres adultes s'activent qui en cuisine, qui à dresser la table. Cela embaume de parfums alléchants. C'est un joli Noël qui se prépare. Joli et bien moins calme que le précédent que nous avions partagé juste Layla et moi.
Gabin est le plus proche de moi quand j'arrive et me serre la main, puis j'ai droit aux bises de Margot et à un baiser tout tendre de Layla.
- Tu arrives pile au bon moment ! Nous sommes en train de terminer, me dit-elle. Tu veux te changer ?
- Volontiers. Ai-je le temps pour une douche ?
- Oui, bien sûr.
- Ok.
Je file sans attendre, retourne au rez-de-chaussée. Seul Jacob lève le nez alors que je passe à côté d'eux. La partie de petits chevaux a l'air acharné.
**
- Joyeux Noël à tous !
Je porte le premier toast, debout, le verre de champagne à la main. Dominique et moi-même nous faisons face, présidant la tablée. Les enfants ont pris place au milieu, Jacob assis entre sa grand-mère et sa mère, Gabin aux côtés de celle-ci et à ma droite. Sur l'autre côté se trouvent Pauline, puis Aglaé et Maxime qui voulait absolument se trouver à côté de sa tante. Et comme celle-ci ne voulait être assise qu'à côté de moi... Bon, au final, on a réussi à asseoir tout le monde et c'est l'essentiel.
- Cela fait très plaisir de vous recevoir tous en Ardèche pour ce Noël. Layla y tenait, je n'aurais pu être avec vous, que ce soit à Bordeaux ou à Paris, alors merci d'être venus jusqu'ici. Chérie...
Je tends la main vers Layla qui me sourit tendrement. Ses yeux sont magnifiques. Les lumières de la fête s'y reflètent, me renvoyant des éclats de feu et d'amour. Elle se lève pour se tenir à mes côtés.
- Je crois que tu voulais dire quelque chose toi aussi...
- Oui... Merci à vous d'être venus, surtout papa et maman, car je sais que le voyage n'est pas facile pour vous. C'est une belle occasion de nous retrouver tous aux Auches, même s'il manque Justine ! Et...
- Et Luc ! s'exclame Jacob.
- Et Luc aussi, j'allais le dire ! rit-elle en fixant son petit neveu. Cela me fait en effet très plaisir de tous vous recevoir ici, dans la maison de Tantine, d'y accueillir également Pauline et Aglaé pour cette fête. Et je voulais profiter de cette occasion pour vous annoncer que cette maison sera aussi désormais celle d'Alexis, puisqu'il cessera d'habiter au gîte au printemps. Nous avons décidé que nous y vivrons ensemble, autant que possible.
La déclaration de Layla est suivie de quelques échanges de regards, puis Maxime demande :
- Ca veut dire que vous allez vous marier ?
Toute la tablée éclate de rire.
- Pas encore, Maxime, répond Layla. Mais ça viendra peut-être, ajoute-t-elle très vite, car il affiche aussitôt un air déçu.
Liliane échange un doux sourire avec Dominique. Il lui tapote tendrement la main. Puis il se lève et déclare :
- Bien, à mon tour de porter un toast. Je ne ferai pas long, car sinon, le champagne ne sera plus aussi bon à déguster. Je voulais juste dire que j'étais très heureux de passer ce Noël, ici, avec vous tous. Que Maxime et Jacob puissent voir l'Ardèche sous la neige, même si elle ne décore que les sommets. Et je vous souhaite à tous beaucoup de réussite et de bonheur.
Nous l'applaudissons et reprenons place à table.
Layla
C'est un Noël chaleureux et festif, comme j'espérais bien pouvoir en passer un, un jour, ici avec toute ma famille. Justine est absente, c'est dommage, mais ce n'est pas toujours simple de se réunir tous ensemble. Le repas est délicieux, l'ambiance agréable. Après leur arrivée et s'être reposés un moment de la route, Gabin et Margot nous ont aidées à la préparation du repas. C'étaient eux qui apportaient l'essentiel, en plus ! Foie gras, magrets et confits. Margot a tout de suite sympathisé avec Pauline et elles se sont bien amusées à dresser et décorer la table, pendant que mon frère, maman et moi nous activions en cuisine et que les enfants jouaient dans le salon. Aglaé est ravie d'avoir des copains de jeux, même s'ils sont plus jeunes qu'elle.
Après les toasts et les vœux pour ce Noël, nous entamons le repas. Les échanges sont gais, les enfants juste un peu impatients de découvrir leurs cadeaux. Nous espérons tous que le Père Noël passera avant le dessert. Il va falloir ruser pour faire croire à son passage pour les deux garçons, Aglaé n'y croyant plus, mais étant prête à participer au secret et à la ruse pour les éloigner de la salle et de la chambre de Tantine dans laquelle nous avons cachés tous les cadeaux.
De temps à autre, je glisse un regard vers mes parents. Papa sourit, l'air détendu et pas du tout fatigué par tout ce monde, ni même par notre déplacement ce matin aux usines. Il a fait une bonne sieste en début d'après-midi, avant que Gabin n'arrive et s'est dit tout à fait prêt à participer aux festivités. Maman ne semble pas inquiète, donc tout va bien. Alexis a eu une bonne journée, sans vraiment arrêter. Il a même dû faire une intervention d'urgence à Antraigues, juste avant de partir : un des habitants s'étant coupé la main en voulant ouvrir des huîtres, blessure classique des jours de réveillon... Il a fait trois ou quatre points de suture, a vérifié la couverture tétanique du monsieur et l'a quitté en espérant que les huîtres seraient bonnes. En racontant l'anecdote, il a conclu par un "il faut être Normand ou Breton pour savoir ouvrir des huîtres ! Quelle idée de manger cela dans un pays de montagne !".
J'avais dans l'idée de profiter de cette réunion de famille pour annoncer l'installation d'Alexis aux Auches, je trouvais que c'était une bonne occasion. Personne n'a eu l'air vraiment surpris, plutôt heureux en fait. Maxime m'a bien attendrie avec son idée du mariage... A son âge, il voit les choses ainsi. C'est normal. Nous n'en parlons pas encore, Alexis et moi. Pour ma part, je n'ai pas l'esprit à cela pour le moment et je pense que la vie à deux, ici, sera déjà une bonne avancée.
Alors que le plateau de fromages tourne autour de la table, sans grand succès, car personne n'a plus vraiment faim, Aglaé demande, innocemment :
- Est-ce qu'on peut regarder si le Père Noël est en train de passer à Antraigues ?
- Oui !!! s'écrient Jacob et Maxime en chœur. Et peut-être qu'on le verra arriver à Aizac, hein tata ? ajoute Maxime en me fixant d'un regard brillant.
- Oui, peut-être, dis-je. Bon, on s'habille chaudement, alors et on va dehors.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, les garçons sont descendus, ont attrapé blousons et enfilé chaussures, Aglaé n'étant pas en reste. Et je me retrouve bien emmitouflée à les accompagner dehors. Le but est d'aller dans le jardin, en faisant le tour de la terrasse pour qu'ils ne puissent pas voir les parents s'activer à disposer les cadeaux. Ils seraient capables de rentrer dans la maison en coup de vent et pas du tout au bon moment.
Je commence par leur faire scruter le ciel vers Aizac, mais comme on ne voit pas le village depuis la maison, ils s'impatientent vite. Aglaé tente de les retenir en désignant une forme qu'elle seule voit près du volcan. Puis nous faisons le tour et gagnons le jardin, en contrebas de la terrasse. La nuit est froide, étoilée. La fine couche de neige qui couvre les sommets scintille doucement. C'est beau. Je me promets de passer quelques minutes avec Alexis sur la terrasse, tout à l'heure, avant de nous coucher.
Les enfants scrutent le village. On devine la fumée s'échappant des cheminées, les lumières brillant aux fenêtres. Les quelques guirlandes qui ornent les rues clignotent jusque tard pour ce soir. Le tintement des cloches de l'église monte jusque à nous, signe que la messe de Noël se termine.
- Les cloches appellent le Père Noël, tu crois, tata ? me demande Jacob.
- Oui. Elles lui font savoir qu'il doit se dépêcher.
- Pourquoi ? demande Maxime.
- Parce que c'est comme un signal : le Père Noël sait ainsi que les gens vont rentrer chez eux et il doit finir de distribuer ses cadeaux avant.
- Il doit faire vite pour tout distribuer...
- Il est aidé par les lutins de Noël, tu sais, dit Aglaé. Bon, moi, je suis sûre qu'il se cache derrière le volcan !
A cet instant, la porte de la maison s'ouvre, la silhouette d'Alexis traverse la terrasse.
- Alors, vous l'avez vu ?
- Non, pas encore !
Le reste de la famille le rejoint, même papa, et nous passons quelques instants à scruter le ciel tous ensemble. Puis papa dit, jouant le jeu :
- J'ai un peu froid, je rentre.
Il se dirige vers la maison, puis ressort aussitôt :
- Je crois qu'il est passé...
Ni une, ni deux, les garçons grimpent à toute vitesse sur la terrasse, bousculant leur père et mère. Aglaé suit un peu plus posément, mais quand même bien excitée elle aussi. Elle me glisse :
- On a réussi ?
- Je pense que oui ! Super, Aglaé ! lui dis-je en déposant un baiser sur son front.
Je franchis la dernière marche, Alexis m'attrape au passage et me serre un instant dans ses bras.
- Ca va être une belle surprise, ne traînons pas !
Et nous rentrons tous à notre tour dans la maison, pour assister au déballage des cadeaux. Gabin fait crépiter son appareil photo, les sourires s'affichent sur tous les visages.
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