Chapitre 105

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Layla

- Ca a bien avancé. C'est quasiment terminé.

Je me tourne vers Laurent. Nous sommes à Labégude, pour un dernier point sur le chantier, tous les deux, avant ses congés. Il a tenu à m'accompagner en cette veille de week-end de 14 juillet avant de rejoindre sa famille en Lorraine.

- Oui, presque, souris-je. L'installation de la chaîne de fabrication a bien avancé.

- Il reste à achever le chantier dans la partie administrative, intervient Louis Grévin. Ce qui devrait être fait d'ici la fin du mois. Les délais seront tenus.

- C'est bien, dis-je. Ce n'était pas simple... Je suis surtout contente que les machines puissent être installées avant l'été, ici.

- A Ucel, les tests sont concluants. La production va pouvoir être lancée dès septembre, dit Alban. Je crois que vous allez pouvoir fixer la date de l'inauguration, ajoute-t-il en souriant.

- Il va en effet falloir y réfléchir, renchérit Laurent.

- Attendons que la chaîne de production ici soit opérationnelle, réponds-je. Nous aurons besoin d'avoir les emballages sur place, de tester aussi leur transfert entre les deux usines. Néanmoins, nous pouvons envisager cette inauguration pour la mi-septembre ou le début d'octobre. Il faut aussi que cela cadre avec le plan de formation.

Se tenant un peu en retrait, derrière moi, Maïwenn prend soigneusement des notes. Ces derniers mois, elle a été mon relais ici et a presque joué un rôle de secrétaire. Son travail a été précieux, dans la continuité de l'étude menée l'an passé. Elle a beaucoup appris et je dirais qu'elle est désormais quasi-incollable sur la qualité des matériaux, leurs caractéristiques, leur prix. Elle a pu préciser, avec l'aide de Louis, la rentabilité de nos investissements ici, du moins pour tout ce qui touche à la rénovation des bâtiments. Et cela me conforte dans mes choix. Ce sont aussi des données précieuses à apporter lors des prochains CE et pour le bilan annuel de notre activité.

Ce vendredi matin, nous étions à Ucel et nous avons pu constater que l'usine était prête à tourner. J'ai pu rencontrer les premiers ouvriers, ceux chargés de la maintenance et embauchés depuis déjà trois mois pour participer à l'installation et la phase de tests de la chaîne de production. Leur travail ne consistait pas seulement en un aspect technique, mais de faire aussi des préconisations quant aux conditions de travail. Des représentants du personnel et de la direction sont venus régulièrement à Ucel pour échanger avec eux. Comme à Libourne, cette question des conditions de travail est essentielle pour moi. Et un des points sur lequel j'étais particulièrement vigilante concernait les postes adaptés aux personnes handicapées : à Libourne, leur embauche s'était faite petit à petit, les postes avaient été adaptés un à un, alors qu'ici, nous devons envisager que toute la chaîne soit prévue en conséquence. Ce n'est pas une mince affaire et nous avons obtenu l'aide de techniciens spécialisés.

Nous poursuivons le tour des bâtiments, en finissant par les bureaux. Là, en effet, il reste encore à faire : certaines pièces sont terminées, mais les électriciens et les peintres doivent encore intervenir dans d'autres. Côté sanitaires, réfectoire, salle de repos et locaux syndicaux, en revanche, tout est terminé.

- Bien, dis-je, alors que nous nous retrouvons tous dans la cour. Merci à vous pour cette journée, pour vous être rendus disponibles. Monsieur Grévin, je vous revois vendredi prochain et pour la fin du mois également. Pour la fin du chantier.

- Parfait, Mademoiselle Noury. Bon week-end à tous et bon retour sur Paris, ajoute-t-il en nous serrant la main.

Nous nous séparons alors en plusieurs groupes : Laurent et Alban vont prendre la route pour Montélimar, Louis regagne Bordeaux, Maïwenn va rentrer à Antraigues. Quant à moi, je veux faire un dernier petit tour à Ucel, avant de rejoindre les Auches.

**

Tout est calme, désert. Après notre visite de la matinée et l'observation de toute la chaîne de fabrication en fonctionnement, cette dernière a été arrêtée et les ouvriers sont rentrés chez eux. Ils vont revenir au cours des deux prochaines semaines pour vérifier quelques points, apporter les derniers ajustements.

Je me gare dans la petite cour et demeure un moment à observer les lieux. Si je compare avec mes souvenirs de petite fille et avec les quelques photos en noir et blanc que nous possédons de l'ancienne usine, les lieux ont peu changé. Du moins dans leur apparence extérieure. Ce qui est le plus notable, peut-être, c'est la toiture de l'atelier. Mon regard se pose sur les tuiles roses et nacrées que le soleil de ce mois de juillet fait briller d'un éclat nouveau.

Et je repense à ce jour déjà lointain où j'étais revenue voir les usines, le lendemain de ma rencontre avec Alexis. Dans mon esprit, tout est lié : nous deux, mon projet qui devient réalité, mon rêve d'adolescente de revenir vivre ici. Bien sûr, ce dernier point n'est pas encore possible, mais j'ai quand même pu passer beaucoup de temps ces derniers mois en Ardèche et à mes yeux, ce n'est pas rien.

Je me décide à traverser la cour et à rejoindre le petit bâtiment administratif. Au rez-de-chaussée se trouvent une petite salle de réunion, un bureau qui pourra servir aux délégués syndicaux pour des réunions ou des entretiens demandant une certaine confidentialité, une pièce pour les archives. Un ascenseur et un escalier permettent de gagner l'étage supérieur. C'est là que travaillera la direction de l'usine d'Ucel. Une équipe assez réduite puisque l'essentiel du personnel administratif sera regroupé à Labégude : le site offrait plus de place là-bas. Je tenais néanmoins à ce qu'il y ait une petite direction pour l'usine d'Ucel avec un poste de secrétaire. Quatre bureaux ont été aménagés dans cet espace. Des cloisons ont été déplacées, la disposition est bien différente de ce qu'elle était à l'époque de mon grand-père. Cependant, j'avais demandé à ce que son bureau ne soit pas modifié et tout l'aménagement a été pensé et organisé autour de cette pièce, la seule à laquelle les ouvriers n'aient pas touché, hormis pour y refaire l'électricité et la peinture.

J'ai choisi un ocre légèrement rosé dont la teinte n'est pas sans rappeler celle des tuiles du toit. Un menuisier de Saint-Didier-sous-Aubenas a restauré le bureau et l'armoire. Le résultat est superbe. Ma main se pose sur la table, en caresse le bois. La teinte en était très foncée avant la restauration, elle est maintenant plus claire, presque dorée. Un peu comme les paillettes des yeux d'Alexis. Cette idée me fait sourire.

Je m'assois dans le fauteuil - unique meuble que j'ai changé - et mon regard fait le tour de la pièce. Ce n'est pas grand - je suis bien loin du bel espace dont je dispose à la Défense. Mais cela n'a aucune importance.

J'ouvre l'un des tiroirs du bureau et j'en sors plusieurs photos. Un portrait de mon grand-père, portant le costume et un nœud papillon, l'air sérieux, mais le regard espiègle. Une autre, celle qui figure dans notre brochure et qui a illustré de nombreux articles ou reportages sur mon projet au cours des derniers mois, montrant les employés posant dans la cour, autour de mon grand-père. Ces deux photos seront accrochées au mur.

Enfin, la dernière est plus symbolique encore, du moins à mes yeux. Elle sera sur mon bureau.

C'est une photo d'Alexis posant avec Maxime, Jacob et Aglaé sur la terrasse des Auches.

Alexis

L'été est arrivé et avec lui, les touristes, les propriétaires de résidences secondaires. On est loin de la foule de certaines communes du littoral, néanmoins, on sent le changement : les rues d'Antraigues sont plus animées, il faut partir tôt le dimanche matin pour trouver à se garer aisément pour faire le marché de Vals. Il y a aussi plus de commerçants. Avec un peu plus d'une année d'exercice, j'ai maintenant vu à peu près toute la population du secteur. Seules quelques personnes travaillant à Aubenas sont toujours suivies par un médecin généraliste qu'elles avaient pu trouver là-bas.

La semaine prochaine, nous allons faire connaissance avec un jeune dentiste, Fabien, tout fraîchement diplômé, qu'Adèle a eu en stage et qui semble intéressé par une installation en milieu rural. Il n'a jamais mis les pieds en Ardèche, il est originaire d'Orléans. Il doit rencontrer le maire et les représentants de l'ARS. S'il s'engage ici, il aura le même parcours du combattant à mener que moi.

Depuis le début du mois, Layla est très présente. En juin, elle était restée sur Paris pour plusieurs réunions d'importance, avec les bilans à mi-parcours. Désormais, elle revient pour suivre la fin du chantier. A Ucel, tout est prêt à démarrer ou presque. A Labégude, l'atelier a accueilli la chaîne de fabrication qui est en cours de montage. La phase de test se déroulera certainement en septembre.

Même si Layla va encore passer une dizaine de jours entre Paris et Libourne, elle sera à Antraigues à partir de la fin du mois de juillet : pour la toute fin du chantier et ensuite pour ses vacances. Nous pourrons cet été passer trois semaines ensemble, je peux me permettre de prendre des congés sur la durée. Et cette année, pas de visites contrairement à l'an passé.

L'été sera cependant marqué par l'arrivée de Pauline et Aglaé. Leur déménagement va se dérouler la semaine prochaine. Pauline voulait avoir quitté leur appartement avant la fin juillet, pour ne pas devoir payer un loyer pour le mois d'août. Le propriétaire de la petite maison qu'elle va louer à Antraigues était d'accord pour qu'elle arrive en fin de mois et ne lui fera rien payer pour les quelques jours de fin juillet. La maison est située dans le village, dans une des ruelles qui descend de la place. Elles auront la lumière du midi et du soir, et Aglaé pourra voir le volcan depuis sa chambre. La maison n'est pas très grande, mais est très propre et saine. Il n'y a pas de jardin, juste une terrasse assez grande. J'ai visité les lieux en compagnie de Julien, Pauline ne pouvant faire le déplacement. J'apporte ma caution pour la location, ce qui a, semble-t-il, largement suffi comme garantie au propriétaire.

**

Ma semaine se termine et je suis bien content de pouvoir profiter d'un week-end avec Layla. Lorsque j'arrive aux Auches, elle m'y attend, robe d'été, chapeau de paille et lunettes de soleil, sirotant une citronnade sur la terrasse. Les ombres de la vigne forment de jolis dessins sur son visage. Elle est tout sourire et nous savourons notre premier baiser de la soirée.

Elle me propose ensuite de boire quelque chose et, abandonnant sa citronnade, elle s'offre comme moi une bière à la myrtille que nous dégustons tranquillement en admirant le paysage. Elle me raconte sa journée, sa satisfaction aussi à voir que le chantier touche à sa fin. Dans sa voix, toujours le même enthousiasme, la même confiance, la même assurance. Je l'admire pour cela. S'il lui est arrivé d'avoir quelques hésitations, jamais elle n'a douté. Son dynamisme a entraîné avec elle de nombreuses personnes : son équipe en premier lieu, mais aussi les artisans, les formateurs, les encadrants de l'établissement pour handicapés, les recruteurs de Pôle Emploi... jusqu'aux élus du coin.

- Et toi ? me demande-t-elle alors qu'elle achève son récit.

- Oh rien de transcendant... La routine estivale : rhumes des foins, surveillance des risques de déshydradation chez deux nourrissons et cinq personnes âgées. Et du suivi de pathologies, lui réponds-je en souriant. Et l'envie d'aller sur le plateau avec toi demain.

Son regard s'illumine. Nous ne sommes pas remontés là-haut depuis deux mois environ, à la faveur d'un de ses séjours prolongés du mois de mai.

- Très belle idée. On prévoit une randonnée ?

- Si tu veux... Mais il faudra partir tôt. Ca veut dire : "pas de grasse matinée".

Elle fait une petite moue et j'éclate de rire avant de l'embrasser tendrement.

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