Chapitre 106
Alexis
- Ca y est ! On est arrivé !
Je souris à Aglaé. Elle est vraiment enthousiaste. En ce dimanche après-midi de fin juillet, Julien est allé les chercher, elle et sa mère, à Montélimar. A peine la voiture était-elle arrêtée qu'Aglaé en est sortie comme une fusée. Julien les a conduites aux Auches pour que nous passions la fin d'après-midi ensemble. Elles dormiront chez lui ce soir, avant l'arrivée des déménageurs demain. Julien ne travaillant pas le lundi, il sera avec elles pour les aider à défaire les premiers cartons.
Après quelques rapides recherches, Julien et moi - enfin, surtout lui - avons trouvé une petite maison à louer dans Antraigues pour Pauline et Aglaé. Pauline ne voulait pas débarquer chez Julien, qui vit dans un petit appartement au-dessus de la maison de ses parents, à Antraigues. Disons qu'il s'agit de l'étage d'une maison, possédant un accès différent de l'entrée principale, ce qui lui confère une certaine autonomie. Mais le logement est petit et à trois, ce serait vraiment juste au quotidien. De plus, Pauline préférait se poser ici, avant d'envisager toute autre façon de vivre.
Je ne suis pas surpris de son choix, j'ai rassuré Julien d'ailleurs. Lui aussi s'attendait à une situation intermédiaire, durant quelques temps. Ils verront au fil des mois.
La maison que Pauline va louer pour une somme modique se trouve en contrebas de la place d'Antraigues, un peu au-dessus du rocher du fromage, avec vue directe sur le volcan d'Aizac. Aglaé est ravie de voir "son" volcan tous les jours, d'autant que la fenêtre de sa chambre y donne.
J'ai prévu un goûter, de la citronnade, des bières au frais et nous prenons place sur la terrasse. Le regard d'Aglaé ne cesse d'aller de la montagne à la vallée, s'accrochant aux toits d'Antraigues.
- On voit notre maison d'ici ! soupire-t-elle avec joie.
- C'est vrai, dit Julien. Tu pourras faire coucou à Alexis et à Layla depuis la terrasse !
- Oui, bien sûr !
Puis elle se tourne vers sa mère et dit :
- Maman, je suis tellement, tellement contente ! C'est tellement, tellement plus beau que Paris !
Pauline sourit doucement :
- C'est certain. Je crois que nous serons bien ici.
- Je l'espère, dit Julien en lui prenant doucement la main.
Avant d'échanger un long regard plein de promesses avec elle.
**
Le lendemain, après avoir vu mon dernier patient, je me rends chez Pauline. Les déménageurs étaient là dès la fin de matinée et en milieu d'après-midi, le camion était entièrement déchargé, les meubles remontés, les premiers cartons déballés. Lorsque j'arrive, un apéritif m'attend sur la terrasse. Mais je ne peux encore en profiter, car Aglaé m'entraîne bien vite dans la maison pour me faire visiter.
J'avais vu les lieux vides, la petite cuisine donnant sur la terrasse, le salon à côté, les deux chambres et la salle de bain à l'étage. Il y a aussi une cave, sèche, fraîche et propre. Pauline pourra y stocker quelques affaires.
Je suis donc Aglaé dans la maison et bien sûr, la première pièce qu'elle me montre est sa chambre. Tout est installé, il lui reste juste quelques cartons de livres et d'affaires d'école à déballer.
- Mais ce n'est pas le plus urgent, me dit-elle en les désignant. Regarde !
Elle ouvre alors en grand la fenêtre de sa chambre, qui donne au-dessus de la terrasse où nous attendent Julien et Pauline, mais surtout face au volcan. Puis elle vient se blottir contre moi et me dit :
- Je suis si heureuse de voir le volcan, Alexis...
- Je m'en doute bien, Aglaé. Tu es la "demoiselle du volcan", il ne faut pas l'oublier...
- Tu sais, la première fois qu'on est venu, avec maman... Quand tu étais encore à l'Enfer.
- Oui ?
- Et bien, j'ai pensé que pa' était quelque part là-haut, au sommet.
Aglaé a toujours appelé mon père ainsi : Pa'. Pas papa, comme je le faisais, mais pa' en disant qu'il était son demi-papa, mais son papa quand même. Cela nous amusait beaucoup et papa trouvait cela touchant. Il avait laissé dire...
Je sens ma gorge se serrer. Mon père repose au cimetière Montparnasse. Désormais seul à Paris. Et me vient alors à l'esprit une idée un peu folle. Mais ce n'est pas le moment d'en parler, et surtout pas à Aglaé qui m'entoure encore de ses bras.
- Je suis certain qu'il serait très heureux de nous savoir ici, toi, maman et moi, dis-je. Il aimait la campagne, la nature. L'Ardèche lui aurait plu, tu sais.
- Et Julien aussi ?
- Oui, bien sûr.
Alors elle sourit.
Layla
- Aglaé est vraiment enthousiaste.
- Ca, tu peux le dire... Cela fait bien longtemps que je ne l'avais pas vue avec un tel sourire. Elle est vraiment heureuse du choix de sa mère.
- Pauline a l'air bien, aussi.
- Oui. Le déménagement s'est bien passé. Emotionnellement parlant, ça n'a pas été trop dur pour elle.
Alexis vient de passer le grand virage en épingle à cheveux à la sortie d'Antraigues, pour nous ramener aux Auches. Je suis arrivée ce midi en Ardèche, et après avoir passé l'après-midi à Ucel, Serge m'a conduite à Antraigues, chez Pauline et Aglaé où j'ai retrouvé Alexis. Julien était présent aussi et nous avons mangé tous ensemble.
- A cause des affaires de ton père ?
- En partie, oui. Mais je lui ai dit de ne pas s'en préoccuper. Qu'elle emmenait tout et qu'on verrait ici. Elle m'a confié deux cartons d'ailleurs. Je ne sais pas trop ce que ça peut être, j'avais pris déjà de mon côté les papiers, les albums photos de famille, et quelques autres bricoles... J'ai mis cela dans le grenier. J'y jetterai peut-être un œil durant l'été. Il ne faudrait pas non plus que mes quelques cartons encombrent trop longtemps l'étage...
Je souris doucement : en effet, dès septembre va démarrer le chantier d'aménagement du grenier. J'ai supervisé la phase préparatoire de loin, faisant confiance à Alexis. Si l'isolation est faite, il faudra cependant toucher encore à la toiture, pour ouvrir deux fenêtres en velux. Mais Alexis m'a bien aidée pour envisager cet aménagement. Au final et parce que la hauteur de plafond n'est pas très élevée, que les pièces seront toutes mansardées, nous avons opté pour deux chambres seulement et une salle de bain. Plus un petit grenier qui sera vraiment sous les combles, à l'arrière. Les deux chambres seront d'assez belle surface, ce qui compensera en partie la faible hauteur de plafond. Mais ce sera suffisant pour accueillir la famille et les amis. Les enfants, et je pense à mes neveux en premier lieu, seront ravis de pouvoir y dormir et y jouer.
- On pourra toujours les mettre dans la chambre de Tantine, tu sais, proposé-je. Tu n'en as pas tant que ça ! Même si on y ajoute ceux que Pauline t'a confiés...
- C'est vrai, mais bon. C'est un peu délicat à ouvrir...
Je glisse ma main sur la cuisse d'Alexis. Je comprends ce qu'il ressent : quand j'ai moi-même dû m'occuper des affaires de Tantine, ça avait été dur et j'avais pleuré à de nombreuses reprises. C'était aussi une étape du deuil, une façon d'accepter son départ. Au final, même si cela avait été douloureux, j'étais contente de l'avoir fait. Et pas d'avoir subi le tri d'une autre personne. Maman, avec toute son empathie, n'aurait pas accordé de la valeur à certaines choses que j'ai gardées, quant à papa... Je retiens un soupir. Je pense que cela aurait été encore plus douloureux et difficile pour lui et qu'il aurait finalement décidé de tout jeter sans rien garder.
- Si tu veux, je serai avec toi, dis-je. Mais si tu préfères être seul pour mettre le nez dedans, ce n'est pas un souci pour moi. Je sais ce que c'est que d'avoir un tri à faire...
- Le tri, on l'a déjà fait, Pauline et moi. Après le décès de papa, quand il a fallu vendre son appartement. On n'avait pas beaucoup de temps devant nous, Aglaé était encore petite, c'était douloureux pour Pauline et moi... Entre ce qu'on ne voulait pas jeter, mais ce qui nous le rappelait sans cesse...
Je hoche la tête. Ce qu'il me dit fait un tel écho en moi !
Nous gardons un moment le silence, puis alors que nous approchons du col d'Aizac, il me dit, d'une voix un peu sourde :
- Je commence à envisager quelque chose, Layla...
- Ah ? fais-je en me tournant vers lui, autant intriguée par le ton de sa voix que par notre discussion.
- Oui... Pour mon père. Maintenant que Pauline et Aglaé sont là, il est comme seul à Paris. Enterré au cimetière du Montparnasse. Alors, je me disais... On aurait pu envisager une crémation et ramener ses cendres ici, lui trouver une place au cimetière d'Aizac. Une urne, ça ne prend pas beaucoup de place...
- Vous n'aviez pas fait de crémation à l'époque ?
- Non. Il n'avait pas laissé de souhait particulier, nous n'en avions même jamais parlé... Et si l'idée de répandre ses cendres en mer au large du Cotentin m'avait une fois effleuré, j'avais aussi le sentiment que ce n'était pas la bonne idée. Et Pauline avait besoin, à l'époque, de garder un lien. Elle allait souvent au cimetière, ça l'aidait. Puis elle a espacé ses visites, petit à petit. Moi, j'y allais... rarement. Ca me fichait le bourdon plus qu'autre chose et comme j'ai vite plongé dans le surmenage au boulot...
- Je comprends. Ce serait une bonne idée que de le ramener ici. Tu en as parlé à Pauline ?
- Non, pas encore. Je préfère attendre. D'autant que je viens juste d'en avoir l'idée. Rien ne presse de toute façon. On peut faire cela dans un an ou deux...
- Tout à fait.
Nous venons de passer l'église d'Aizac. Et le cimetière. Je jette un œil vers la vallée. Oui, ce serait une belle idée que de ramener les cendres du papa d'Alexis ici. Même s'il n'est jamais venu, Alexis comme Pauline sont persuadés qu'il aurait aimé Antraigues. Et Valérie le pense également. Il aurait certainement cherché une maison dans un petit village comme le nôtre, peut-être pas aussi éloigné de Paris et surtout plus proche de la Normandie, pour s'y installer une fois à la retraite, avec Pauline et Aglaé. Alors finalement, pourquoi pas demeurer ici pour l'éternité ?
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