Chapitre 118
Alexis
- Alors qu'en pensez-vous ?
Nous nous tournons vers le maître d'œuvre. La rénovation de l'étage est achevée, nous tenons la dernière réunion de chantier. Je me suis organisé pour ne pas prendre de rendez-vous au-delà de 16h ce vendredi, et Layla est remontée plus tôt des usines pour que nous puissions prendre livraison de l'aménagement et notifier la fin des travaux aux artisans.
Je suis heureux que le chantier ait pu s'achever alors que Layla se trouve encore ici. Elle remonte sur Paris ce dimanche, pour une semaine, avant de revenir pour deux.
- Cela me convient tout à fait, dit Layla. Les couleurs rendent très bien. C'est chaleureux et clair, lumineux.
- A cette heure, on ne le mesure pas encore vraiment, fait remarquer le peintre.
- J'en ai eu un bon aperçu avant-hier, interviens-je. Lorsque j'avais pu revenir pour déjeuner ici. Nous pourrons le constater mieux demain, mais j'appuie votre propos.
Pour l'une des chambres, nous avons choisi un ocre assez soutenu, tirant sur le jaune, que le peintre a marié avec une frise d'un beau mauve vif, qui rappelle la couleur de la myrtille. L'autre chambre présente des tons plus printaniers : nuances de verts clairs avec une touche de bleu autour du velux et une frise évoquant les fleurs de la montagne : violette bleutée, œillet sauvage rose et jonquille jaune.
Quant à la salle de bain, elle est bleu lavande. Les plafonds sont blancs, même si dans les chambres ils ne sont pas très grands. La pente du toit est blanche aussi, et certains décrochés ont été peints pour rappeler les couleurs choisies pour les murs.
Le palier et petit couloir qui vont desservir les pièces sont peints en jaune paille : il n'était pas possible d'apporter de lumière naturelle dans cet espace, aussi avons-nous choisi une couleur vive. De discrètes lampes complètent l'ensemble.
Le regard de Layla parcourt la pièce où nous nous trouvons, l'une des chambres. Puis elle se tourne vers le maître d'œuvre et confirme :
- Oui, cela me plaît vraiment. Merci à vous, dit-elle en adressant un sourire aux artisans.
Puis nous les invitons à regagner la pièce principale. Nous leur offrons un verre, puis nous signons les divers documents. Ils nous laissent peu après.
Alors que nous regagnons la maison, mon bras s'enroule autour de la taille de Layla. Nous arrivons sur la terrasse et y marquons un petit temps d'arrêt. Le ciel est couvert, la pluie menace. Les couleurs sur la montagne sont encore belles.
- Voilà, dis-je. La maison de tes ancêtres est maintenant totalement restaurée. Il va falloir fêter ça !
- J'ai bien cru apercevoir une bouteille au frais... me sourit-elle.
- Je me suis dit que c'était une bonne occasion. Et ça fait deux chantiers achevés presque en même temps.
- Celui de la maison était quand même moins long et moins prenant...
- C'est vrai. Mais il te tenait autant à cœur.
- A toi aussi.
- Je le reconnais, dis-je.
Un frisson court sur le bras de Layla et nous regagnons alors la maison. Je m'active à allumer le feu dans la cheminée, pendant qu'elle sort les belles coupes du vaisselier. Elle m'a raconté que la vaisselle de luxe lui vient de ses grands-parents. Sa tantine avait peu de choses de prix. Mais la cocotte en fonte ou le saladier décoré de quelques fleurs ont autant de valeur à ses yeux que les verres ouvragés en cristal ou les assiettes en porcelaine de Limoges. Nous ne les utilisons de toute façon que pour de rares occasions. La dernière fois, c'était pour la venue de ses parents : Layla se doutait que cela ferait plaisir à son père de manger dans ces assiettes.
Elle me tend son verre, nous trinquons, puis je l'embrasse tendrement.
- A la fin du chantier ! dis-je. Et à toi...
- A toi, me répond-elle. A nous deux...
Elle m'embrasse à son tour, puis murmure contre mes lèvres :
- Et peut-être à nous trois, un jour.
Je lui souris. Même si elle a avancé l'argument selon lequel l'aménagement de l'étage serait très pratique pour héberger amis et famille, nous avons aussi en tête que les chambres pourraient devenir, au moins pour l'une d'entre elles, une chambre d'enfant. Même s'il est encore trop tôt pour se lancer, il nous arrive d'y glisser une allusion, juste entre nous. Comme ce qu'elle vient de faire.
Nous dégustons nos premières gorgées, puis elle me dit :
- Il va falloir faire les brocantes et les magasins maintenant, pour trouver des meubles !
- Tu t'en es très bien sortie pour les autres pièces. Je crois que je vais déléguer...
Elle rit, me taquine :
- Non, non ! Tu viendras faire les magasins avec moi !
Layla
En ce matin humide d'octobre, je savoure mon deuxième petit café sur la terrasse, un châle de Tantine jeté sur les épaules. Il a plu dans la nuit et la brume monte de la vallée. Tout est ouaté, comme endormi. Un peu comme quand il neige. Sauf que l'air est chargé de gouttelettes. Je repars demain à Paris, pour une petite semaine. Et je suis contente d'avoir pu demeurer en Ardèche encore quelques jours, et d'avoir pu valider la fin du chantier de restauration de la maison.
Comme le disait fort justement Alexis hier, deux chantiers se terminent quasiment en même temps : celui des usines et celui de la maison. Comme si tout se prêtait à ce que je puisse revenir.
Vraiment revenir.
Je ne peux m'empêcher d'y songer. Et je dois bien reconnaître que j'y pense très souvent. Quand j'enfile les virages de la vallée de la Volane. Quand mon regard se perd un instant dans le ciel au-dessus des toits de l'atelier et de l'entrepôt. Quand je me trouve, comme ce matin, à apprécier la vue depuis la terrasse.
Même si le rythme de mes journées est dense, entre le suivi nécessaire de la bonne marche de l'entreprise au niveau national et le démarrage des usines ardéchoises, j'apprécie beaucoup de ne pas tout suivre depuis Paris. Le rythme que j'ai adopté depuis la fin des vacances me convient bien. Il est provisoire, certes. Et c'est mieux que de ne venir que deux ou trois jours au petit bonheur la chance.
La fumée monte de ma tasse, se mêlant à l'humidité ambiante. Je termine rapidement mon café et rentre dans la maison. Alexis est resté bien au chaud. Nous allons pouvoir profiter que le chantier est terminé pour remettre les meubles en place : c'est au programme de ce matin. Tantôt, nous irons ramasser des châtaignes. J'ai hâte de pouvoir profiter à nouveau d'un vrai feu de cheminée et d'en déguster pour un repas. D'autant qu'avec Alexis, ça se termine toujours par un câlin.
- Alors, comment s'annonce ce matin ? me demande-t-il.
Je reprends place à côté de lui et dis :
- Bouché. C'est très humide.
- Ca ne va pas donner un épisode cévenol, au moins ? s'inquiète-t-il.
- Non, car ce n'est pas orageux. C'est de la pluie qui va bien rentrer dans le sol, qui va un peu gonfler les ruisseaux, mais rien d'alarmant. Le risque, ce sont vraiment les grosses pluies d'orage, quand les précipitations sont très denses et concentrées sur quelques heures : le sol ne peut pas absorber toute cette eau, elle ruisselle de partout et les niveaux montent très vite. On a eu de la chance de ne pas en avoir ces deux dernières années.
- Oui. Hum... fait-il en s'étirant. Tu as encore faim ?
- Non, ça va. On s'y met ?
- Je vais m'habiller et je remonte.
Alexis est en effet encore en caleçon et t-shirt, sa tenue détente des matins de week-ends ou de vacances. Alors que j'achève la vaisselle du petit déjeuner, il revient en tenue de chantier : vieux jogging et t-shirt. J'ai enfilé à peu près la même. Nous commençons par tirer la table, placer le tapis. Puis nous la remettons en place, avec les bancs et les deux chaises. Le canapé et les fauteuils suivent eux aussi. A chaque meuble que nous bougeons, nous en profitons pour faire le ménage. Deux heures plus tard, tout est en place.
**
- J'adore les fins de chantier, me glisse Alexis à l'oreille alors que l'eau ruisselle sur mon visage.
- Moi aussi, dis-je en resserrant un peu plus l'étreinte de mes bras autour de ses épaules et celles de mes jambes autour de sa taille.
Si la pièce à l'étage est maintenant propre et rangée, ce n'est plus notre cas et une douche est plus que nécessaire. Elle prend bien vite une tournure des plus coquines que nous apprécions autant l'un que l'autre.
Ses lèvres parcourent mon cou, mon épaule, chatouillent le lobe de mon oreille. Ses mains soutiennent et caressent mes fesses alors que mon dos repose contre le carrelage. Il a beau me dire qu'il fait moins d'exercice depuis qu'il s'est installé, il en fait encore suffisamment pour être capable de me porter ainsi.
Et de me faire l'amour ainsi.
Ses lèvres bâillonnent ma bouche. Notre baiser se fait profond, sensuel. J'ai envie de lui. Mes mains se crispent sur ses épaules, mes ongles s'enfoncent dans sa peau.
- Je te veux, Layla...
- Moi aussi, gémis-je contre sa bouche avant de l'embrasser à nouveau.
Il vient enfin en moi et je lâche un premier soupir. Il entame un lent mouvement de va-et-vient, qu'il accélère imperceptiblement jusqu'à nous rendre plus avides, plus impatients. Nos souffles s'accélèrent, je ne retiens plus mes plaintes, sa voix devient rauque à mon oreille quand il me dit : "oui...".
Et je m'abandonne, alanguie, entre ses bras.
Annotations
Versions