Chapitre 134
Layla
Je me tiens sur la terrasse des Auches, le regard voilé par une émotion nouvelle. En revenant à la maison ce soir, je suis passée au laboratoire pour récupérer les résultats de mon analyse de sang.
Je suis enceinte.
Je porte l'enfant d'Alexis. Notre enfant.
C'est une nouvelle dont je dois prendre la mesure et tout le temps du trajet pour rentrer, je n'ai pas réalisé. J'étais en mode automatique pour la conduite, impatiente de regagner la maison. Un doux soleil printanier illumine ce soir de fin mars. La France vit la fin de sa deuxième semaine de confinement. Je me suis battue avec la Préfecture pour obtenir le droit de maintenir la production, arguant que l'usine d'Ucel allait se consacrer à la fabrication de gel hydroalcoolique et ne reprendrait la production de la gamme de luxe que lorsque les stocks seront suffisants. De même, à Libourne, nous consacrons une partie de la production dite classique à la fabrication de gel. Nous avons tous les composants nécessaires pour cela, il suffit juste de changer les recettes.
A Labégude, nous n'avons pas encore adapté la fabrication desdits emballages, mais c'est en cours. D'ici deux à trois jours, soit en milieu de semaine prochaine, nous devrions pouvoir proposer les contenants adéquats. Petit et grand format, utiles autant pour les entreprises, les centres de soins, que pour les particuliers.
Tout cela en nous efforçant aussi d'adapter la production aux contraintes de protection des salariés.
Mais je suis loin, ce soir, de ces questions. Je dirais même que je les oublie. A cet instant, la pandémie qui s'étend sur le monde n'a pas sa place dans mes pensées, n'a pas sa place aux Auches.
Je vais être mère. Et Alexis est le père de mon enfant.
Je sens comme une nouvelle lumière en moi, qui jaillit de moi. Et non pas, cette fois, une lumière qui viendrait de l'extérieur, se poserait sur moi et m'entourerait. C'est comme une force nouvelle, un sentiment que je n'ai jamais éprouvé.
Il me tarde qu'Alexis arrive, de pouvoir lui annoncer la nouvelle. Je sais qu'il l'attend autant que moi, qu'il a autant que moi envie de cet enfant.
Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve, tout devient si incertain depuis quelques mois. Mais je possède une certitude : celle de notre amour et de l'amour que nous donnerons à cet enfant.
**
Il arrive. J'ai vu la voiture passer sur la route, derrière les châtaigniers. Quelques instants plus tard, il est là. La voiture s'est arrêtée, les portières ont claqué. Alexis entame la montée de l'escalier, la mallette à la main. Il sourit en me voyant, pose la mallette près de la porte et vient m'enlacer et m'embrasser, comme il fait à chaque fois qu'il me trouve sur la terrasse à l'attendre.
Je réponds à son étreinte avec plus de force que d'habitude, prolonge notre baiser. L'émotion me gagne, mon cœur bat comme un fou, comme lors de notre tout premier baiser, ici-même, aux Auches. Sur la terrasse des Auches. Face au volcan, face à la vallée, face à Antraigues.
Une larme coule sur ma joue et aussitôt, Alexis rompt notre baiser. Son regard s'est voilé d'inquiétude. Il caresse doucement ma joue, efface ma larme :
- Layla ? Qu'y a-t-il ?
Je lui souris et soudain, c'est un torrent qui dévale. Son inquiétude grandit, je renifle, prends une profonde inspiration et parviens à articuler :
- Tout va bien. Ne t'inquiète pas...
- Pourquoi pleures-tu ?
Malgré mes mots, il n'est pas rassuré.
- Alexis... Je t'aime. Je... J'attends un enfant. Notre enfant.
Il se fige. Son regard reste planté dans le mien. Ses paillettes se mettent à briller d'une douce lumière, semblable à celle que je sens en moi, qui émane de moi.
- Un... Un enfant ? Tu...
Et soudain, il me serre fort contre lui, son visage se niche dans mon cou.
- Oh mon amour... C'est vrai ? Tu es sûre ?
- Oui, hoqueté-je. Oui, j'en suis sûre... J'ai eu les résultats de mon analyse de sang... Nous allons avoir un bébé...
Alors il me soulève, me fait tourner, puis me repose, prend mon visage entre ses mains et m'embrasse avec fougue. Puis son baiser se fait tendre, et doux.
- C'est merveilleux, chérie. Merveilleux.
Alexis
En ces premières heures qui suivent l'annonce de ma future paternité, de la grossesse de Layla, je n'ai pas une seule pensée pour le contexte dans lequel nous nous trouvons. Il m'est impossible de ressentir autre chose qu'une joie profonde.
Nous avons fait l'amour, longuement, après cette annonce. Le repas est lui aussi passé aux oubliettes. La main posée sur le ventre de Layla, je ne la quitte pas des yeux. J'ai encore du mal à réaliser qu'une petite vie s'y trouve désormais, une petite vie que nous avons fait germer, elle et moi.
C'est tout simplement merveilleux.
Layla est rayonnante. Comme je l'ai rarement vue. Je n'ose imaginer si elle était restée à Paris, si elle avait dû m'annoncer la nouvelle par téléphone... Non, ce ne pouvait se faire qu'ici, chez nous.
Aux Auches.
- Il faudra que tu me montres le résultat de l'analyse, dis-je. Pour avoir une idée un peu précise du nombre de semaines de gestation...
- Je crois que je n'ai pas besoin de ce genre de calculs, me sourit-elle.
- Bien sûr, il y a le repère de tes dernières règles... fais-je.
- Pas seulement.
- Comment ça ?
- Je suis certaine de la date.
- De la date ? De la date à laquelle nous l'avons fait ? m'étonné-je.
- Oui...
Elle me surprend un peu. Layla est restée trois semaines ici en février. Nous avions cessé toute protection car elle avait eu ses règles en tout début de mois, juste avant de revenir. Et c'était suffisant comme repère. A condition que ça marche dès le premier mois, bien sûr... Dans ma tête, je fais un rapide calcul, mais son petit air amusé m'incite à lui demander :
- Alors, dis-moi, puisque tu es si sûre de toi, lui souris-je.
- Je suis certaine que nous l'avons conçu après être montés sur le plateau. C'était une si belle journée ! Je me sentais si sereine et si heureuse... Tout était si beau, si calme. Nous avions aussi eu un si beau cadeau, avec ce magnifique coucher de soleil sur le Mezenc...
- C'est vrai, reconnais-je. C'était une très belle journée. Et j'avais adoré te faire l'amour à notre retour...
Son sourire s'élargit, elle vient se blottir contre moi. Je referme volontiers mes bras tout autour d'elle.
- Je suis si heureuse, Alexis. Je ne pensais pas qu'on y arriverait si vite... Je veux dire, à cause de tous mes déplacements... Mais je suis heureuse. Tout simplement.
- Moi aussi, chérie, dis-je en sentant l'émotion étreindre ma gorge. Moi aussi, je suis heureux.
Et je la serre un peu plus fort contre moi, déposant un dernier baiser sur son front avant que le sommeil ne nous emporte.
Avant que nous ne passions notre première nuit de futurs parents et pas seulement d'amants.
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