L'égyptienne en prison
Le soir était tombé sur le Forum impérial, ensemble de bâtiments de taille colossale aux colonnes et frontons peints avec des couleurs vives. L’imposante demeure de l’imperator actuel Tiberius Aurelius Augustus Maximus les dominait tous depuis le Mont Palatin. Rabirius se sentait minuscule par rapport à cet environnement écrasant, symbole de la puissance et du poids de l’administration des Imperatores. Il marchait vers un bâtiment aux allures de forteresse, plus épuré et moins coloré que les autres. Il n’eut aucun mal à reconnaître la nouvelle prison du Tullianum où étaient incarcérées les personnes ayant porté atteinte aux hommes et aux institutions politiques de Rome avant d’être jugées.
Arrivé devant la massive porte d’entrée métallique, il sortit son volumen électronique de son manteau. Il le déplia et le brandit devant une sphère lumineuse rouge incrustée dans un mur. L’oculus-scanner passa au vert et les portes s’ouvrirent lentement dans un bruit métallique grinçant. Alors que Rabirius entra dans une cour, il fut interpellé par un homme portant une armure constituée de plaques protégeant les membres du corps et armé d’un gladius électrique.
— Centurio, s’exclama-t-il, c’est vous ? Je croyais que vous aviez été dégradé et expulsé des cohortes urbaines depuis plusieurs années.
— Eh bien, disons que mes services sont encore bien appréciés par des personnes haut placées, répondit l’inquisitor en montrant son volumen sur lequel s’affichait un document officiel sénatorial lui autorisant les accès nécessaires à son enquête.
Après l’avoir rapidement parcouru, le gardien le laissa entrer dans la prison la plus sécurisée du monde romain, un endroit très familier de Rabirius. Nombreux étaient les ennemis de Rome qu’il avait arrêtés et emprisonnés alors qu’il exerçait comme centurio au sein des cohortes urbaines. Ses méthodes étaient autant brutales qu’efficaces que ce soit contre les petits délinquants ou les mouvements contestataires. L’inquisitor accèda aux couloirs souterrains des cellules réservées aux prisonniers en attente d’un jugement. Le gardien qui l’accompagnait ouvrit la porte d’une cellule révélant une jeune femme à la coiffure égyptienne et habillée d’une tenue de prisonnier grise délavée. Quand Rabirius entra, l’esclave recula effrayé contre le mur se cachant le visage avec les bras. En s’approchant d’elle, l’inquisitor constata que sa poitrine et ses fesses étaient disproportionnellement et artificiellement augmentées. Sur l’avant-bras droit, était tracé le tatouage de la société Pugmalion, la plus importante corporation vendeuse d’esclaves dont le produit vedette était les esclaves de type Galatea. Des hommes ou femmes d’origines diverses étaient dressées et physiquement transformées, le nec plus ultra des esclaves personnalisables selon les besoins et goûts des maîtres acheteurs.
— Pitié, supplia l’esclave égyptienne, je ferai tout ce que vous voudrez mais ne me brutalisez pas !
— Calmez-vous, Kleopatra, rassura Rabirius, je veux juste vous poser quelques questions.
Surprise par son attitude, la dénommée Kleopatra regarda l’inquisitor qui l’obersvait impassible. Elle se calma, étonnée qu’il ne veille pas abuser d’elle comme l’ont fait de nombreux gardes de prison.
— Voilà, Kleopatra, dit Rabirius la regardant de haut, il y a plusieurs heures, nous avons retrouvé le corps de Publius Domitius Varro, mort un poignard planté en plein coeur d’après les rapports. Or il s’avère que vous étiez à ses côtés quand il a rejoint Pluto si l’on en croit le pistage de vos déplacements que Pugmulion nous a fourni. Vu votre statut et vos origines, vous aurez très peu de chance que les tribunaux vous accordent un procès équitable. Donc, si vous acceptez de me dire ce que vous savez sur la mort de votre ancien maître, je peux faire en sorte que vous changiez simplement de maître au lieu de subir les pires châtiments réservés aux esclaves.
L’esclave égyptienne regarda fixement l’inquisitor et prit une grande inspiration.
— Pour une fois, quelqu’un veut bien m’écouter, je vais vous raconter ce que je sais. Voilà, hier soir, il m’avait invité dans sa pièce secrète strictement réservée à ses orgies et autres activités dionysiaques. Il m’a dévêtue tout en empoignant mes seins et mes fesses. Après avoir été entièrement dénudée, j’ai été obligée de mettre autour du cou un collier égyptisant prétendant qu’il était censé me rendre encore plus désirable. Je lui ai obéi et après… plus rien !
— Comment ça plus rien ? Je ne veux pas connaître les détails de vos ébats de cette nuit mais juste obtenir des éléments éclairants pour mon enquête. J'attends de vous que vous vous rappeliez de la moindre chose étrange, susceptible de m'intéresser !
— C’est là qu’est la chose la plus étrange de cette soirée ! J’ai à peine accroché le bijou autour de ma gorge que ma conscience était comme aspirée dans le vide, comme si Morpheus m’avait d’un coup emportée dans son domaine des rêves et du sommeil. Après un temps que je n’ai pu déterminer, j’ai repris conscience et été choquée par le spectacle auquel j’ai assité. J’étais assise sur le lit et mes mains étaient tachées de sang. Craignant que c’était le mien, je découvris le corps de mon maître, entièrement nu, étalé sur le sol, la poitrine transpercée par un poignard. J’allais hurler quand la femme de mon maître a ouvert la porte me découvrant debout à côté de son mari mort. Choquée, elle a fermé la porte à clé, m’enfermant avec le cadavre de mon maître tandis qu’elle appelait les cohortes urbaines, venues m’arrêter peu après.
— Ce serait donc Servia Valeria Caria, la femme de Domitius Varro qui vous aurait prise en flagrant délit. Pensez-vous qu’elle aurait tout intérêt à vous faire arrêter ?
— Oui, répondit l'Égyptienne retenant ses sanglots, elle me détestait. Mariée à mon maître suite à un arrangement avec les Valerius, elle a été délaissée par celui-ci après lui avoir donné plusieurs enfants. Tandis qu’elle jouait le rôle de l’épouse romaine modèle chargée de veiller aux affaires domestiques et de la famille, mon maître prenait du plaisir avec ses différents esclaves, homme, femme ou enfants, n’hésitant pas à jeter ou revendre ceux qui ne le satisfaisaient plus. Cependant, haïssant de plus en plus l’homme qu’elle a épousé, sa femme s’arrangeait aussi pour se débarrasser des esclaves qu’il entretenait mieux qu’elle. Du coup, tous les jours, je vivais dans la terreur. Soit mon maître abusait de moi et de mes services, obligée d’obéir et ne pouvant le décevoir, soit sa femme me menaçait du regard ou m’insultait quand je passais près d’elle.
Sur ces mots, elle éclata en sanglots.
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